Le wahhabisme

LE WAHHABISME, UN PROSÉLYTISME SANS LIMITE

Du Maroc à lIndonésie, la Malaisie, le Cambodge, en passant par les Etats-Unis et lEurope, les Saoudiens ont propagé et financé leur version extrémiste de l'Islam (le wahabisme).

L'Islam violent, nihiliste, prôné par Oussama Ben Laden et ses disciples ne représente ni une majorité de musulmans, ni les valeurs islamiques traditionnelles. Mais il ne s'agit pas non plus d'un simple détournement de la foi. L'Arabie Saoudite est le plus riche et le plus puissant des pays musulmans, et les Saoudiens ont utilisé leurs immenses ressources pétrolières et leur contrôle de deux lieux saints - La Mecque et Médine - pour propager dans le monde entier une forme extrémiste de l'Islam. Au fond, tous les Saoudiens issus des familles au pouvoir partagent la même façon de voir l'Islam. C'est un fondamentalisme sûr de sa vérité qui ne porte que mépris aux autres courants de l'Islam et est profondément convaincu que le monde entier finira par devenir musulman, et musulman selon leur conception de l'Islam. La certitude d'être porteurs de la seule lecture légitime du Coran s'associe avec celle d'avoir reçu la bénédiction divine qui leur a apporté le pétrole et ses richesses. Les Américains, considérés comme infidèles au sens religieux, sont méprisés en tant que tels mais il faut bien composer avec eux pour des raisons économiques. Les grandes associations caritatives saoudiennes, telles que l'Organisation internationale, du secours islamique, employaient certains des kamikaze du 11 septembre (une majorité des pirates de l'air étaient saoudiens), mais elles n'ont pas été nommées sur la liste des commanditaires du terrorisme établie par les autorités américaines, par crainte, dit-on, de gêner la famille Saoud. En 1744 Muhammad ibn Saoud fut le fondateur de la dynastie qui se trouve aujourd'hui à la tête de l'Arabie Saoudite. Ce pays n'a toujours pas de Constitution, les Saoudiens sont privés des droits les plus élémentaires et même du droit à soutenir le régime sans autorisation. Les femmes, qui détiennent une large part des richesses nationales, sont traitées comme des citoyens de seconde zone. Une femme n'a pas le droit de quitter le pays sans l'autorisation écrite d'un homme de sa famille. Une telle situation plonge les Saoudiens dans le désarroi, ils n'ont ni dignité ni sentiment d'appartenance. En 2000, lorsque les Taliban ont menacé de fàire sauter les anciennes statues de Bouddha en Afghanistali, les universités de Qom, en Iran, et d'Al Azhar, en Egypte, les ont exhortés à renoncer, faisant valoir que 1'1slam est une religion de tolérance. Une délégation wahhabite venue d'Arabie Saoudite a conseillé aux Taliban d'exécuter leur projet. Ce qui fut fait.

L'Etat saoudien subventionne le wahhabisme dans tous les pays musulmans, du Maroc à l'Indonésie, la Malaisie, et jusq'aux Cham du Cambodge : il forme les imams, construit des mosquées et recrute des combattants pour mener des opérations dans des endroits comme la Tchétchénie et l'Ouzbékistan. Tous les musulmans le savent depuis longtemps. En 1993, les médias cairotes ont révélé que des terroristes égyptiens avaient obtenu un soutien financier et militaire des Saoudiens, notamment du prince Turki al-Fayçal, chef du service des renseignements saoudien, qui a été brusquement démis de ses fonctions.

La police religieuse saoudienne avait mis en place un organisme à son image en Afghanistan. C'est cette force entramêe par les Saoudiens qui aurait soustrait les femmes afghanes à la vue du public. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le réseau wahhabite saoudien est particulièrement actif parmi les musulmans américains, par l'intermédiaire de l'un de ses principaux groupes écrans, la Société islamique d'Amérique du Nord, le régime saoudien et son réseau religieux influencent une majorité de mosquées aux Etats-Unis, au point qu'ils peuvent décider du ton et de la teneur des sermons prononcés lors de la réunion hebdomadaire et des prières du vendredi. Il est même arrivé que le sermon du vendredi, la khutba, ait été faxé aux mosquées américaines depuis la capitale saoudienne. Et la même tendance a été observée dans toute l'Europe. De toute évidence, il ne sera pas facile pour l'Occident de forcer les Saoudiens à renoncer à cette double politique,

Un cas intéressant de l'action de l'Arabie saoudite est celui de la Tchétchénie. Chacun sait que depuis les tsars, les Russes s'efforcent de contrôler le Caucase et ses farouches montagnards tchétchènes. Si Grozny porte son nom (qui signifie "redoutable" en russe), c'est qu'il s'agissait d'une forteresse au pied du Caucase, souvent menacée par les raids de montagnards. Ainsi les Russes ont détruit une ville russe bien plus que tchêtchéne. Les fondamentalistes ont trouvé là un terrain favorable pour leur subversion contre les infidèles. Ils ont arrosé de dollars les jeunes Tchétchènes sans emploi, ce qui leur a permis d'acheter des armes aux soldats russes pour mieux les combattre. L'état de délabrement de l'armée russe a permis ce jeu invraisemblable, nullement contradictoire avec la lutte sauvage et sans merci menée de part et d'autre, Il faut noter que l'Islain wahhabite a choqué les vieux Tchétchênes. Ce conflit de générations est exploité par les Russes pour diviser les Tchétchènes. Les wahhabites, connus sous le nom de jamaaty, par le financement d'un certain Fatri, émigré tchêchène originaire de Jordanie, s'impIantèrent à Ourous en Tchéchénie et y organisèrent un groupe de fondamentalistes islamistes. "Ils parlaient d'enseigner l'arabe, puis ils se mirent à propager l'idée de l'établissement de la charia, en contradiction avec la tradition locale, C'est comme ça que les Tchéchênes, peuple connu pour sa tradition d'accueil, acceptèrent que les wahhabites prononcent des fatwas contre tous ceux qui coopéreraient avec des non-musulmans." Ainsi les choses ne sont pas simples, moins simples que nos idées sur la défense des droits de l'homme ou, au contraire, de la lutte contre l'islamisme.

La presse ne se hasarde guère à analyser la position et le rôle de l'Arabie saoudite dans les récents événements. On ne fait qu'effleurer ce paradoxe d'un "allié indéfectible" des Américains depuis un pacte scellé en 1945 entre le président Roosevelt et le roi Abdclaziz Bin Saoud dont le pays est dirigé par une caste de 30 000 membres de la famille royale, qui n'hésite pas à déchoir de la nationalité saoudienne l'un des siens parmi les plus brillants, Oussama ben Laden. Mais qui, simultanément, défend une conception de l'Islam parfaitement archaïque, source de tous les fondamentalismes et soutien de bien des terrorismes, celui de Ben Laden en particulier.

Au fond, cela arrangerait le monde entier que le régime de l'Arabie saoudite, profondément corrompu et fort peu coranique dans ses moeurs, soit renversé, ce qui n'est pas inconcevable puisque 70 % des actifs sont des travailleurs immigrés (Palestiniens, Egyptiens, Libanais, Pakistanais, Philippins, Vietnamiens, etc.). Il ne faut pas espérer l'éradication du terrorisme islamiste si l'Arabie saoudite reste ce sanctuaire inviolable de l'amitié arnéricano-arabe où se concoctent tous les coups bas contre l'Occident et la démocratie. Pourquoi ? Contrairement au cliché qui présente les Saoudiens comme figés dans leurs traditions tribales, la société saoudienne connaît de profondes mutations. Sous la forme d'un choc de cultures qui affecte une majorité des citoyens, les citadins (80 % de la population). Ceux-ci, en effet, reçoivent une éducation traditionaliste mais vivent dans un ultra-modernisme des moyens de communication synonyme d'ouverture sur le monde, avec les portables, l'internet et aussi les très populaires télévisions par satellite.

Mais l'improbable identité hybride qui résulte de ce choc se meut aussi dans un paysage social sinistre, car, on le sait peu, chômage massif et paupérisation rampante font des ravages en Arabie, où la jeunesse - deux tiers des Saoudiens ont moins de 25 ans - offre ses doutes en pâture à des imams parfois fanatises. Ces imams-là n'hésitent plus à mettre en cause la famille régnante et ses moeurs dénoncées comme dissolues, critiques atténuées par l'arrivée d'un "régent" très pieux, Abdallah, demi-frère du roi Fahd frappé par la maladie depuis huit ans. La culture du "jihad" ou guerre sainte contre les infidèles gagnerait malgré tout du terrain, nourrie par le despotisme des uns, le fondamentalisme des autres et l'injustice en général.

Les Saoudiens ont bien conscience du malaise. Tirant les leçons d'une modernité technique désormais à la portée du plus grand nombre, ils ont, récemment et prudemment, ouvert les vannes de la liberté d'expression dans la presse. Avec, pour résultat prévisible, un déchaînement de critiques anti-américaines et anti-israéliennes. Les attentats de Ryad du 12 mai dernier vont peut-être casser la dynamique de radicalisation. Des Saoudiens sont morts (bilan provisoire : 9 kamikase dont les corps calcinés ont été retrouvés, 91 morts dont 10 de nationalité américaine et 194 blessés). Dans la presse, l'idée d'une unité contre le terrorisme est de plus en plus présente.

Et le régime est soumis à une très forte pression pour engager un "Programme des réformes". Pas un domaine ne devrait échapper aux changements décidés par la famille royale qui semble avoir reconnu que le temps presse. De véritables réformes se profilent en Arabie Saoudite: un plan ambitieux qui prévoit des transformations dans le domaine de l'économie, mais aussi dans celui de l'éducation, des droits de l'homme, participations des femmes. Elles seront appliquées en dépit de l'opposition des groupes religieux extrémistes. La première vague de cet effort prendra la forme d'un remaniement ministériel. Des technocrates plus jeunes, plus ouverts aux réformes et éduqués en Occident seront intégrés à l'équipe au pouvoir et se verront confier des postes clés comme le ministère du Commerce (qui gérera l'entrée dans l'OMC dans les prochaines armées).

Et si les Américains ont décidé, en avril dernier, de fermer leur grande base aérienne Sultan près de Ryad, chacun sait lâ-bas qu'ils resteront à portée de fusil dans les bases qu'ils possèdent chez les petites pétro-monarchies du golfe Persique.

Mais avec ses nouveaux points d'appui en Afghanistan, en Irak, dans le Golfe et à Djibouti, la plus puissante armée au monde tisse un maillage serré qui bouleverse la donne régionale. Dans ce dispositif l'allié saoudien, pourtant juge indispensable pendant un demi-siècle, n'est plus qu'un élément parmi d'autres. Les Etats-Unis pourraient même s'en passer, puisqu'ils viennent de déménager définitivement leur QG vers le Qatar. La réussite de leur plan irakien, après le succès afghan, leur fournit enfin une chance d'éliminer les derniers vestiges de la guerre froide : l'Europe de l'Ouest va voir les bases américaines se réduire comme une peau de chagrin, au profit des nouvelles démocraties de l'Est, du MoyenOrient, de l'Asie centrale et de l'ExtrêmeOrient où la présence américaine est bienvenue et vitale pour les Etats-Unis du 21e siècle. D'Europe en Asie, il n'y a plus qu'un seul mot d'ordre : la migration vers l'Est. Pour faire face aux menaces du XXI* siècle et régler d'autres comptes diplomatiques, le recentrage pourrait se faire sentir jusqu'au Pacifique et aux abords de la Chine, croient deviner les experts. Pour donner à ses troupes une mobilité et une flexibilité accrues, le Pentagone compte déplacer la 2e division (14000 hommes) au sud de la zone démilitarisée entre les 2 Corées avant la fin de l'année. Dans son déploiement, le Pentagone renforcera ses anciennes bases et courtiserait de nouveaux appuis aux Philippines et même au Vietnam, afin de contrebalancer le Japon et la Corée du Sud, alliés trop réticents à l'arrivée de renforts américains contre le terrorisme islamiste international.

Les attentats de Ryad du 12 mai ouvrent une nouvelle période après la fin du régime de Saddam Hussein. Ils veulent frapper de terreur les Occidentaux et fasciner les nouvelles générations arabes. Ils préservent les populations musulmanes des "influences pernicieuses de l'Occident, fatalement véhiculées par les touristes et les hommes d'affaires occidentaux. La Tunisie avant-hier, Bali hier, Casablanca aujourd'hui pour affaiblir les gouvernements "impies"des pays musulmans vivant du tourisme. Devant l'hôtel AI-Farah dévasté, des hommes politiques, des responsables du Parti de la justice et du développement (PID, islamistes modérés) sont venus constater de visu les dégâts matériels occasionnés dans cet hôtel du centre de Casablanca, après l'assaut d'un des cinq commandos-suicides quasi simultanés, qui, le 16 mai dernier, ont fait 41 morts (dont 3 français) et une centaine de blessés dans la capitale économique du Maroc. Les 14 kamikaze sont tous de nationalité marocaine et les attentats terroristes font voler en éclats l'idée que le Maroc était épargne par le fondamentalisme belliqueux. Quatorze enquêteurs français sont déjà sur place avec plusieurs confrères européens dans le cadre d'une "mission de liaison" et de coopération technique (comme à Bali après les attentats du 12 octobre dernier). Londres de son côte craint des attaques d'AI Qaida eu Afrique de l'Est et suspend ses vols vers le Kenya. L'Europe volens nolens ne peut pas demeurer immobile face à cette nouvelle menace.

Sources:Le Monde 5 et 14-11-02, 25-3 et 5-6-03, Le Figaro 22-11-01, 3 et 15-03,19-5-03, Cl-New Statesman 15-10-01, Wall Street journal 25-10-01 Asia Times 28-11-02, Daily Star 28-5-03, La Croix 30-10,30-11-02,16-11-03,7-2-03,Feer ll-02,5-12-02,26-2-02,16-1-03,13-3-03,Le Soir 14-4-03).

Nhân Quyén Nouvelle série. Été 2003