Encyclique Vix Pervenit1

Ad Episcopos Italia

1er novembre 1745

Extraits

(§ 3) 1. Ce genre de péché, qui s'appelle l'usure, et qui a son siège et son lieu propre dans le contrat de prêt, consiste en ceci que quelqu'un, en raison même de ce prêt, veut qu'on lui rende plus que ce qui a été reçu, et ce en raison même du prêt, qui pourtant, de par sa nature, exige seulement que soit rendu ce qui a été reçu, et (ce péché consiste en ce que ce quelqu'un) prétend que lui serait dû, en raison même du prêt, en plus du capital (rendu) un certain profit. Tout profit de cette espèce, qui va au delà de la remise du capital, est illicite et usuraire.

2. Il n'y a pas moyen d'effacer une telle faute en appelant au secours les diverses raisons suivantes : que ce profit serait non pas excessif et trop fort, mais modéré, non pas grand mais petit ; ou que l'emprunteur auquel on veut réclamer un profit au seul motif du prêt serait riche et non pas pauvre ; ou que la somme qu'on lui aurait prêtée ne serait pas laissée par lui oisive, mais employée à accroître sa fortune ou à être utilement dépensée dans des achats ou dans des affaires dont l'état le requiert (quaestuosis negotiis). Cette égalité une fois posée, il est convaincu d'agir contre la loi du prêt, qui consiste nécessairement (necessario) dans l'égalité entre le prêté et le rendu, celui, quel qu'il soit, qui ne craint pas d'exiger quelque chose en plus à qui que ce soit, en vertu du prêt. Et c'est pourquoi, s'il a perçu un intérêt, il est tenu de restituer par obligation de justice, de cette justice qu'on appelle commutative et dont il faut saintement observer l'égalité dans les contrats humains, tout comme il faut la réparer si elle n'a pas été observée.

3. Par quoi il n'est en aucune manière nié que puissent parfois se joindre au contrat de prêt, de manière à former avec lui un seul tout, plusieurs autres titres, comme on dit, lesquels peuvent peut-être être fort peu renfermés à l'intérieur de la notion du contrat de prêt pris en sa nature propre (minime innatos et intrinsequos), et qu'à ces dits titres apparaisse une cause tout à fait juste et légitime (justa omnino legitimaque causa) d'exiger quelque chose comme un dû en sus du capital. Il n'est pas non plus nié qu'il soit permis à tout un chacun, fréquemment, de placer et de dépenser son propre argent à travers la formation de contrats d'une nature entièrement différente de celle du prêt, soit pour s'assurer un revenu annuel, soit pour exercer un négoce licite et un commerce, et pour percevoir des profits honnêtes 2 (honesta lucra).

4. De même que, donc, dans tant de genres divers de contrats de cette nature, si l'égalité de la justice n'est pas respectée, tout ce qui est reçu en plus du juste, se laisse reconnaître sinon comme une usure (dès lors qu'ici fait défaut par hypothèse toute espèce de prêt tant manifeste que déguisé), du moins comme une injustice imposant avec certitude (certe) la charge de restituer ; de même, si l'on considère tout comme il faut et si l'on exige que tout soit selon la norme de la justice (ad libram justitiae, mot à mot : selon la balance de la justice), il n'y a aucun doute qu'en ces contrats précédemment indiqués un mode d'action licite et la (droite) raison rencontrent de multiples manières les moyens de conserver et de développer le commerce humain et les affaires. Qu'elle s'éloigne bien loin des âmes chrétiennes, cette idée que des commerces fructueux puissent se développer par l'usure, ou par de semblables injustices préjudiciables 3, puisque ceci serait contraire à l'oracle divin : "C'est 1a justice qui é1ève la nation, c'est le péché qui rend les peuples misérables" (Prov. 14, 34).

5. Mais ceci doit être remarqué avec soin : c'est faussement et tout au plus à la légère qu'on se persuaderait que seraient toujours et partout sous la main (de qui prétendrait les trouver) soit les autres titres légitimes de profit qui s'ajouteraient au prêt pour faire un seul tout, soit même, le prêt étant exclu, d'autres justes contrats, à l'abri desquels, qu'il s'agisse d'autres titres ou d'autres contrats, toutes les fois qu'on aurait confié à un autre quel qu'il soit de l'argent, des grains, ou quoi que ce soit, autant de fois on aura toujours le droit de percevoir un profit modéré en sus du capital intégralement rendu et sauf. Si quelqu'un pensait ainsi, il est hors de doute (procul dubio) qu'il s'opposerait non seulement aux textes sacrés et à la tradition de l'Église sur l'usure (divinis documentis et catholicae ecclesiae de usura), mais encore au sens commun humain et à la droite raison. A personne il ne peut en effet demeurer caché que nombreux sont les cas où l'homme est tenu de secourir son prochain par un prêt simple et nu auquel rien de s'ajoute (nudo ac simplici mutuo), surtout le Christ et Seigneur Lui même enseignant : "Volenti mutuari a te ne avertaris"4 ; ni que (sous entendre ici : il ne devrait non plus être caché à personne que) semblablement en de nombreuses circonstances, il ne peut y avoir place pour aucune espèce de contrat juste, en dehors du prêt. Donc, quiconque veut consulter sa conscience doit rechercher d'abord, avec diligence, s'il est vrai que puisse être joint au simple contrat de prêt un autre titre qui soit juste, ou s'il est juste que soit ici formé un autre contrat que celui de prêt, de telle sorte que le profit recherché soit pur et exempt de toute faute.

Benoît XIV . Extraits traduit du latin par Henri Hude

1 Texte latin dans H. Denziger, Enchiridion symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et moraum, 10e éd. révisée par Clemens Bannwart, sj. Fribourg, Herder, 1908, p. 387-389.

2 Je ne sais si on ne pourrait pas traduire ad licitam mercaturam et negotiationem honestam exercendam ainsi : "pour exercer un commerce licite et une activité de crédit" ; negotiatio signifie en effet cornmerce, trafic, mais negotiator est couramment pris au sens de banquier. Le crédit au sens large est permis s'il est une négociation différant essentiellement du prêt.

3 Le texte dit : per similes injurias alienas, ce dernier mot étant sans doute à entendre : toujours en elles-mêmes préjudiciables.

4 Trad. "Ne te détourne pas de celui qui veut t'emprunter", Mt. 5, 42.