Des élites de coeur et d'esprit

Daniel Rivaud

"Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les pouvoirs, contre les dominateurs des ténèbres d'ici-bas, contre les esprits du mal dans les lieux célestes". Ephésiens 6 - 10 v. 12.

Vous n'en voudrez pas au pasteur que je suis d'introduire ainsi notre propos par cette citation de Saint Paul dans l'Écriture Sainte. Je le fais non seulement en tant que pasteur mais aussi parce que je suis convaincu qu'au-delà de nos appartenances confessionnelles, réside là la clef de notre compréhension, aussi bien du contexte actuel dans nos sociétés que de la réponse que nous devons apporter en tant que chrétien dépositaire de la révélation divine, témoin et disciple de Jésus-Christ.

Ainsi, je crois que c'est notre relation à Dieu qui déterminera notre influence sur la société et notre regard sur l'autre, le prochain.

Le nouvel ordre laïc - qu'il conviendrait plutôt d'appeler désordre laïc ! - insiste sur la nécessité de séparer la pratique religieuse de la vie courante et de la réduire à une simple affaire intérieure qui ne doit, en aucun cas, s'exprimer publiquement. Cette prétention révèle non seulement une méconnaissance flagrante d'une foi authentique et vécue, mais également une intolérance qui plonge ses racines dans un système qui, s'il a rosi aujourd'hui, n'en reste pas moins rouge du sang de ses victimes.

Une même tentation de séparation, mais pour d'autres raisons, existe également dans l'Église à travers ses différentes composantes. La création de certains ordres religieux catholiques a été basée sur la volonté d'une séparation totale d'avec le monde considéré comme souillé et impur. Dans le protestantisme, un certain nombre de mouvements ont prôné cette même séparation d'avec le monde. Si cette mise à l'écart peut favoriser l'expression d'une foi authentique, elle porte en elle les germes d'une sclérose qui risque d'annihiler les effets même de ce qu'elle voulait protéger. Jésus nous le rappelle lui-même en Matthieu 5 lorsqu'Il nous dit "Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur avec quoi la lui rendra -t-on ? Il n'est plus bon qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds." Ce jugement sévère du Christ lui-même ne pourrait -il pas s'appliquer parfois à certaines de nos églises, jolies boîtes à sel hélas fermées !

Dans son numéro de Juin 97, la revue "Permanences" citait une revue anglaise, elle-même citée dans un article du Père Sertillanges "Il y a-t-il une politique chrétienne ?". "Toutes les barrières dressées entre l'ordre laïc et l'ordre religieux s'effondrent aussitôt qu'on les pousse ; elles ne tiennent qu'en apparence ; car la vie est un tout… Le citoyen chrétien est, comme tout autre, soumis aux conditions normales de la cité ; il défend ses opinions politiques non parce qu'elles sont chrétiennes, mais parce qu'elles sont politiquement sages ; seulement, sa conception de l'excellence politique est déterminée par ses principes de chrétien et si la politique vise les hommes non comme chrétiens mais comme citoyens, toujours est-il que le christianisme des citoyens finira nécessairement par réagir sur leur conception du bon ordre et du bien-être civil, laquelle s'incarnera dès lors dans la législation".

Ainsi Prévost-Paradol, écrivait-il à Taine : "De l'origine ou de la constitution du monde, tel que chacun le conçoit, découlent une politique et surtout une morale appropriée" toujours cité dans "Permanences". Cette même pensée est reprise et développée, de façon magistrale, dans le dernier livre de Michel Schooyans "L'évangile face au désordre mondial". "Pour la connaissance d'une vérité aussi fondamentale que celle qui porte sur le respect dû à tout être humain, Dieu a donné à chaque homme la lumière naturelle nécessaire. Cependant, la révélation apporte à l'homme des raisons nouvelles de respecter tout être humain. La première de ces raisons c'est que l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Le Nouveau Testament permettra à la réflexion théologique de préciser cette ressemblance. L'homme ressemble au Dieu trinitaire. Il est capable de relation avec les autres hommes, qui, eux aussi, partagent l'existence reçue du même Dieu trinitaire. C'est ce Dieu, Père, qui nous porte dans l'existence par son Fils et qui nous y maintient par l'oeuvre de l'Esprit. De là découle l'insistance de la révélation sur l'unité fondamentale de toute la famille humaine. Dès le livre de la Genèse, il nous est dit qu'Ève est "mère des vivants" (Genèse 3 v. 20), et que tous les hommes tirent leur origine d'Adam et Ève (Genèse 9 - v 19). En toute instance, cette unité a là sa source dans la commune référence au créateur".

Ainsi, notre anthropologie nous détermine, non seulement par rapport au créateur, mais également au prochain. Non seulement notre regard sur l'autre peut être changé mais il peut être générateur de changements profonds dans la société. L'exemple merveilleux de Mère Térésa l'a démontré avec une force bouleversante qui restera gravée dans l'histoire de l'humanité. Une Sainte ? certainement." Mais qu'est-ce qu'un Saint demandait justement Mère Térésa, sinon une âme résolue et qui se sert de la force de Dieu pour agir". Là, nous touchons certainement au coeur de notre compréhension du témoignage que les élites devront rendre aujourd'hui et demain dans notre société en perte de repères. Des élites de coeur et d'esprit. Ce coeur du Père céleste plein d'amour et de compassion à l'égard de tous ceux qui errent loin de son Royaume. Des élites remplies de l'Esprit de Dieu, qui seul pourra nous donner le discernement nécessaire contre ces puissances dans les lieux célestes, qui seul saura nous donner la force de contrer ces attaques et de remporter la victoire.

C'est ce que le théologien américain, Michel NOVAK, appelle "le réalisme biblique". Ce réalisme qui doit ainsi diriger nos choix, le choix pour des hommes et des femmes qui, au-delà de leur capacité, de leur don, sauront aimer. "L'amour et le service donnent du sens à notre vie et la rendent belle, car nous savons pourquoi et pour qui nous nous y engageons. C'est au nom du Christ qui nous a aimés et servis le premier. Qu'y a-t-il de plus grand que de se savoir aimé, comment ne pas répondre joyeusement à l'attente du Seigneur ! L'amour est le témoignage par excellence qui ouvre à l'espérance" rappelait Jean-Paul II aux jeunes rassemblés lors de la dernière "Journée Mondiale de la Jeunesse" à Paris.

Des élites, certes, nous en avons besoin à tous les niveaux de la société et dans tous les domaines. Mais l'aune à laquelle nous serons mesurés pour l'éternité sera celle de l'amour. C'est le message central de la Bible. Il ne s'apprend pas, il ne se gagne pas, il est simplement le reflet d'une relation personnelle avec le Dieu de Jésus-Christ.

Puissent toutes les élites que nous souhaitons voir se lever le réaliser pleinement et, qu'au-delà des sensibilités, des clivages, des barrières élevées par les hommes, un peuple nombreux se lève pour préparer le chemin de Celui qui vient.

Pasteur Daniel RIVAUD, Président de l'Association "OUI A LA VIE DIFFUSION FRANCE", de "LA JOURNEE MONDIALE POUR LA VIE " et co-auteur du livre "L'avortement : la tragédie cachée d'une société qui s'effondre"