Annexe au texte sur la Franc-maçonnerie

Enfin, pour terminer la présentation succincte des pages 28 à 33 ci-dessus, nous jugeons très utile de publier un document ancien, qui a échappé à l'attention des éditeurs de la Diffusion de la Pensée Française lorsqu'ils ont réédité les "Mémoires pour servir l'histoire du Jacobinisme de l'Abbé BARRUEL.

Actes du Colloque de Lyon 1989 - Chapitre III

La pénétration maçonnique dans la société française ou "comment on prépare une révolution."

Comment on entre en loge

Par amitié personnelle, après avoir perdu la foi, dans l'espoir d'y trouver fraternité, idéal, tolérance, etc… et de n'y pas faire de politique. Dans les réunions en loge, on écoute des discours, puis on en fait. Pure société de pensée, sur deux thèmes : La F.M. est une société sublime, sacrée, humanitaire. Elle a un seul ennemi: Le Catholicisme. Quelques maîtres mots : Raison &emdash; Vérité &emdash; Égalité &emdash; Liberté &emdash; Fraternité, avec maintien de traditions rituelles : Une religion laïcisée. Avec l'affirmation de "tolérance pour toutes les religions", on y enseigne le mépris de la seule Église Catholique, sous une apparence de respect. La F.M. exige un serment répété à chaque tenue de "garder le secret". Le secret n'existe pas au niveau d'une tenue de loge, mais ce serment répété avec menaces précises crée l'inquiétude, les hésitations. Un moyen de tenir les initiés comme des prisonniers.

Quelques questions : La F.M. est universelle, mais divisée en rites distincts. Elles est puissante, mais ses membres sont de médiocre qualité. Derrière des apparences anodines, gentilles, il y a une réalité cachée. L'autorité semble venir d'en bas : élection des officiers en loge par les maçons ; donc impossibilité de transmettre des ordres venus d'en haut.

Une société secrète ?

Qu'est-ce qu'une "Société secrète" ? Les F.M. nient constituer une société secrète : Elle est déclarée, reconnue d'utilité publique. On en connaît les adresses, les dates des tenues, les principaux membres élus, le Grand Maître. La F.M. a pignon sur rue : revues que l'on peut lire, consulter, listes de membres publiées, etc. Protection des rois, des présidents de la République (Amérique, Angleterre), défilés en uniforme, protection de grands personnages.

Il faut considérer comme secrète toute société qui a des secrets : ce sur quoi elle garde son secret. Une société ordinaire déclare son but ; un objet connu de tous, intéressés ou non : société sportive, chorale, etc.

Des hommes qui veulent cacher le but de leur association, peuvent se réunir dans un secret total de lieux, de temps, d'organisation. En fait le secret de ces sociétés est très facile à pénétrer. On ne peut obtenir avec certitude le silence et la complicité de tous les membres de cette société, malgré les ser- ments. On ne peut pas recruter les membres sans révéler le secret. Quand elle perd ses membres, elle perd son secret.

Une société, pour rester secrète, doit trouver un moyen d'associer ses membres sous une façade honorable et publique. Un faux monnayeur doit se trouver un autre métier honnête, par exemple celui d'artiste. Il faut que le but véritable de la Société ne soit connu que des dirigeants et dévoilé progressivement et jamais complètement aux initiés. Ceux-ci travaillent à la réalisation du but, sans le connaître, donc avec bonne conscience et sûreté et en croyant travailler à un autre but plus facile à divulguer. Ainsi ils peuvent commettre des indiscrétions, révéler le but erroné, ils renforcent ainsi l'illusion dans laquelle ils sont et donnent une apparence de vérité à l'erreur.

La F.M. est une société secrète.

a) Elle varie dans ses buts officiels : tantôt humanitaire, tantôt anticléricale, tantôt politique, tantôt philosophique. Exemple : les rites Grande Loge, Grand Orient. Selon les nécessités politiques de l'époque et pour pouvoir durer en paix.

b) Elle cache ses buts à ses adhérents eux-mêmes qui varient dans leurs explications de la F.M., tantôt chrétiens, tantôt tolérants, tantôt sectaires. Elle a enseigné le respect de la monarchie, puis s'est dévouée aux Bonaparte pour les trahir ensuite. Elle a voulu se confondre avec la République dans cer- tains pays mais pas dans d'autres.

La F.M. ne cache pas son existence, mais elle cache ses buts à ses adhérents.

Par ailleurs, elle garde une uniformité d'organisation à travers les différents rites, une uniformité d'idéal humanitaire, à une initiation et à un secret vide de contenu.

Elle doit proposer à ses membres un but d'action pour les attirer et les maintenir sous une certaine pression. Elle a donc deux visages bien différents.

a) un visage conservateur, traditionnel, patriote dans les pays protestants, anglo-saxons: défilés officiels, etc.

b) un visage antireligieux, révolutionnaire, antimonarchique (assassinat des rois) dans les pays de religion catholique: Grand Orient, persécutions religieuses.

Elle se montre d'abord soumise, religieuse, respectueuse. Elle recherche des Grands Maîtres parmi la haute noblesse traditionnelle; puis, lorsqu'elle a acquis de la puissance, insensiblement elle se montre antichrétienne, persécutrice et destructrice des valeurs: la lutte est engagée à mort contre le catholicisme, sans trêve, sans merci.

Elle s'est prétendue respectueuse de la religion, de la foi de ses membres. Elle s'est montrée respectable dans son recrutement. Malgré cela, elle accepte progressivement les anti-chrétiens, en faisant semblant de les refuser. Elle affiche des principes moraux qu'elle contredit au nom de la tolérance. Puis elle exclut par épuration les catholiques, les déistes, etc. Elle a adoré le Grand Architecte De L'Univers, puis l'a rayé de ses constitutions après être passée par la "Déesse Raison" et la "Théophilanthropie". Du déisme, elle est passée à l'athéisme et au matérialisme. Elle affirme ne pas faire de politique, puis ses membres deviennent officiellement maîtres du pouvoir, en 1789, en 1848, en 1871, avec massacres, persécution antireligieuse, etc.

Voilà une incohérence apparente, qui ne saurait engendrer la force et la continuité dans l'action. Elle dissimule ses plans comme un assassin cache son poignard. Elle ne présente nulle part une personnalité officielle parlant en son nom. Les F.M. mentent sans s'en douter. Ils semblent sincères lorsqu'ils disent les choses les plus contraires à la vérité, celles auxquelles les faits donnent les plus éclatants démentis. Monarchistes, puis bonapartistes, puis républicains, selon les circonstances, ils attribuent à la F.M. leurs propres sentiments contradictoires, leurs jugements incertains. Or le frère initié a juré de "ne rien dire ni écrire de ce qu'il aura vu dans les assemblées sans une permission expresse et seulement de la manière qui pourra lui être indiquée" donc de ne pas dire la vérité, car la vérité n'a qu'une manière et elle n'a pas besoin d'être indiquée.

Il faut donc étudier les documents maçonniques avec le souci d'en relever les contradictions et de retrouver les règles de conduite de l'association à travers de multiples variations.

Elle exerce sur ses membres une véritable dictature : le Conseil de l'Ordre trouve les moyens de coercition sur chaque homme politique F.M. : "Il faut mettre au pied du mur les membres du Parlement qui sont franc-maçons en les tenant par leur propre intérêt", "rappeler à ceux qui les oublient leurs serments, juger maçonniquement ceux qui oublient, ceux de nos frères à qui nous avons donné autorité sur le monde profane". Exclusion, non réélection, certains perdent brusquement toute autorité politique, par exemple Napoléon I, Napoléon III, tentative d'assassinat (Orsini). Ils ne sont plus libres, ils ont des chefs qui peuvent "les replonger dans le néant d'où elle les a tirés". "Nous sommes obligés de nous soumettre à une discipline volontairement consentie par laquelle nous recevons l'initiation, nous faisons l'abandon d'un certain nombre de nos droits et de notre initiative individuelle". "La Maçonnerie doit tenir les yeux ouverts sur ses soldats." (G.O. Belge).

Dans un Parlement où un groupe de députés suit avec discipline les ordres reçus de leur société secrète, les parlementaires non affichés sont désorientés et combattent en ordre dispersé ou se laissent circonvenir par les suggestions des initiés.

La vraie force de la franc-maçonnerie

Deux méthodes: la double hiérarchie et les cercles inté- rieurs où l'on pratique la dynamique de groupe. Malgré la diversité des rites, purement superficielle, la diversité des orientations dues aux circonstances de temps et de lieux, il faut connaître les caractères communs à l'ensemble des loges. a) La discipline du secret. b) L'existence des grades par lesquels certains ont des secrets pour les autres, à qui on les dévoile progressivement et qui constituent des sociétés fermées à l'intérieur de la F.M., caractère commun à toutes les maçonneries, ininterrompu depuis deux siècles. c) La force de son organisation. En effet, la valeur personnelle du frère est en général bien médiocre : il est attiré par vanité, par souci de sa situation, pour une aide mutuelle, par haine antireligieuse. Les chefs officiels, vénérables, officiers, grands maîtres, etc, sont élus dans le tout venant des loges. Donc même médiocrité.

Une organisation administrative très simple : des fédé- rations de loges. Au point de vue administratif : des rites (français, écossais, misraim, etc), qui sont des réglementations de cérémonies rituelles. Élection de délégués à des convents annuels, à un conseil de l'ordre, sous la présidence d'un Grand Maître. Dans chaque atelier ou loge : un Vénérable, un orateur, un secrétaire, un trésorier, etc. Les rituels d'initiation sont d'une stupidité affligeante. Existence de trois grades : apprenti, compagnon, maître ; Ils constituent la Maçonnerie bleue : rites grossiers, chambre du milieu, mort et résurrection d'Hiram, le constructeur du Temple de Salomon. Les tenues de loge sont d'un ennui mortel, longues palabres politiques, cérémonies burlesques. Aussi beaucoup de frères n'y assistent plus. Stupidité apparente, médiocrité des personnes, mais durée de plus de deux siècles et Universalité, puissance politique mondiale. Il faut une cause proportionnée à un tel effet, une Intelligence organisatrice, une volonté patiente et fidèle à son but. Les générations passent, la F.M. subsiste. Aucune société humaine ne peut tenir, agir avec constance et intelligence sans une tête, une direction.

Objections

a) Il est vrai, la F.M. varie dans ses aspects superficiels ; pour mentir, elle revêt de faux masques variés, mais elle garde des règles communes et invariables à travers les siècles.

b) Il est vrai, la force de l'Idée peut être une explication; mais l'idée toute seule ne peut rendre compte de l'organisation d'une institution si stable, d'autant que l'idée maçonnique est un verbiage creux, de mots abstraits.

La F.M. ne s'est pas faite toute seule. Le pouvoir n'y règne pas d'en bas par l'élection, mais d'en haut, d'une manière cachée. Or nous ne voyons pas dans la F.M. administrative une transmission d'ordres venus de supérieurs.

La double hiérarchie

Instruments de transmission d'une volonté qui veut rester invisible : les ordres et les hommes chargés de les transmettre doivent rester invisibles aux subordonnés ; d'où le caractère ridicule des Hauts grades pour détourner l'attention des profanes de leur importance ; d'où aussi son caractère antidémocratique, puisqu'en apparence du moins le principe d'égalitarisme est la base de la F.M. Il n'était pas possible de faire accepter une hiérarchie à des hommes à qui l'on enseignait l'égalité. Donc il fallait une superposition de grades, inconnus par les inférieurs, formant des sociétés secrètes superposées et pénétrant les unes dans les autres.

Le grade d'apprenti est un pur noviciat préparatoire.

Dans les tenues de loges, il y a des signes distinctifs pour apprentis, compagnons et maîtres, mais aucun signe distinctif pour les hauts grades. Ces derniers peuvent pénétrer dans n'importe quelle tenue de loge comme invités, y parler, y circuler, sans qu'on puisse connaître leur grade.

Comment monter dans les hauts grades ? Plus d'élection, mais un choix venant d'un supérieur qu'on ne connaît pas. Le grade obtenu par initiation est à vie alors que les officiers élus le sont pour l'année. En effet, une fois en possession d'un secret, on ne peut l'oublier. Aussi les bas degrés de cette hiérarchie ne possèdent aucun secret important. Les F.M. bleus sont observés par les hauts grades. On fait sur eux une étude des possibilités d'initiation. Il y a sélection rigoureuse. La plupart des maîtres ne passent pas aux grades supérieurs. On rassemble des hommes pour les étudier, les endoctriner et choisir les instruments d'un pouvoir. Les Maîtres sont les maçons parfaits, ils président les tenues, croient diriger réellement les loges. On les détourne de s'intéresser aux hauts grades. Ceux-ci leur obéissent en apparence dans la marche administrative des loges, mais ils participent à toutes les activités ordinaires. Ils sont peu nombreux, se sont concertés avant la tenue et y suggèrent les décisions prises. Transmettant leur pouvoir par la force de l'en- tente secrète, les hauts grades constituent des cercles intérieurs, fonctionnant à l'insu des grades inférieurs.

Les hauts grades suggèrent des orientations de pensée, des projets d'intervention, observent les hommes et étudient leur carrière. Ils résistent aux directions non conformes à celles voulues par les chefs de la Maçonnerie. Ils laissent aux participants l'impression de la liberté de parole. C'est la "dynamique de groupe".

Les hauts grades

Il y a 33 grades, mais huit seulement sont pratiqués. Autrefois, il fallait inspirer l'esprit antireligieux très progres- sivement pour éviter des oppositions violentes. Aujourd'hui, les hommes sont suffisamment déchristianisés pour faire sauter les étapes. Les légendes, les symboles, les instruments rituels ont pour objet de sonder les esprits, de voir leurs réactions, leurs résistances. Ainsi le rite du meurtre d'Hiram excite à la haine, à la vengeance. Le rite de Rose-Croix incite au mépris de la religion et à une profanation du rite catholique. Il se veut une reproduction très sérieuse de la "'Cène" du Christ. Partage du pain : "Prenez et mangez"; calice : "Prenez et buvez". Une concélébration liturgique, parodie de la Vraie Cène.

La F.M. est un lieu d'attente, un réservoir d'hommes, un appareil de filtrage, un canal de transmissions.

Il existe donc un pouvoir occulte international qui circule parmi les hauts grades, qui transmet les suggestions, qui choisit les futurs dirigeants par cooptation : peu d'hommes, triés sérieusement dans un monde très particulier, liés par trop de secrets les uns aux autres pour se trahir mutuellement. Exemple : Palmerston, Disraëli, Massini. Aujourd'hui, les "Bilderberger", la Trilatérale.

Londres fut au XIXe siècle le centre de toutes les révolutions européennes. Ces hommes organisent l'Humanité-Divinité. Ils sont fanatisés, maîtres de leurs secrets parce que convaincus qu'ils vont créer un monde nouveau, parfait, dont ils seront les maîtres tout puissants. Orgueil de domination, réalisation d'un Idéal, inversion radicale de la religion de Jésus-Christ.

Ces hommes choisis et cooptés le sont pour la vie. On ne peut retirer l'initiation à celui qui l'a reçue, on ne peut que l'assassiner s'il cherche à échapper au système. Par exemple : Mirabeau &emdash;Trotsky &emdash;Napoléon III. Ils se surveillent, chacun ayant le plus grand intérêt à ce que personne ne trahisse.

Pourquoi avoir fondé la franc-maçonnerie ?

Cette fondation fut un travail laborieux, difficile. En valait-elle la peine ? Les fondateurs se heurtaient à une opinion hostile ; ils n'avaient pas la force pour imposer leurs buts. Quand on est fort, on ne ment pas, on ordonne. Au début, ils durent compter avec une mentalité chrétienne, mais divisée entre protestants et catholiques. Or la F.M. est traditionnelle et conservatrice dans les pays protestants ; elle est révolutionnaire et violente, anticléricale dans les pays catholiques. Elle dut corrompre, altérer, puis détruire la conscience catholique. Mais c'était difficile. Il fallait renverser l'obstacle de la Foi catholique sans l'avouer. Pour séduire une opinion, il faut lui faire absorber des principes destructeurs, en les lui présentant comme des idées nourricières.

Mais il existe un pouvoir politique ou religieux qui exerce une certaine vigilance, capable de réagir fortement. D'où la méthode du mensonge et du secret. Il fallait substituer à l'opinion régnante une autre opinion patiemment fabriquée par falsifications successives et progressives de l'ancienne. D'autre part, l'esprit chrétien est absolument imperméable aux méthodes des Sociétés secrètes. En particulier, le triomphe du Christianisme a éteint les sociétés antiques et leur initiation à des mystères.

I°) Difficulté rencontrée : rassembler des individus qui ne fussent pas hostiles aux buts des fondateurs, par exemple : les mécontents. Mais ils ne pouvaient pas déclarer publiquement leurs intentions sans provoquer le soulèvement de toute l'opi- nion publique. Il fallut dissimuler le but véritable tout en le préparant. Obtenir une tolérance officielle de la Société et un recrutement initial défectueux. La déclaration initiale, la "Constitution d'Anderson" affirme les principes qu'elle veut détruire, mais en même temps, elle prépare les déformations et les falsifications suivantes. Elle proclame l'existence de Dieu, le respect de la religion de ses adhérents. Elle interdit toute discussion religieuse, mais elle est philosophique et progressive et elle a pour but la "recherche de la Vérité" et la "liberté de conscience". Contradiction énorme : comment rechercher la vérité, si l'on doit respecter toutes les religions ? Comment garder sa liberté de conscience, si l'on doit professer l'existence de Dieu, etc. Devant de telles contradictions possibles, les fondateurs pouvaient répondre n'importe quoi selon les circonstances et les résistances des esprits. On avait mêlé à cela de belles déclarations sur les Arts, la solidarité, la morale, la tolérance. Apparence de société tolérante, pacifique, affirmant Liberté, Égalité, Fraternité. Puis on pousse les contradictions : la tolérance ne peut se combiner avec le respect de toutes les religions, parce que certaines sont intolérantes. La recherche de la Vérité suppose la suppression de tous les dogmes religieux, puisqu'ils sont immuables et qu'ils sont une Vérité déjà acquise.

Lorsque les Papes condamnèrent, dès les débuts, la F.M., les fondateurs les déclarèrent intolérants et provocateurs.

En passant d'une première interprétation de la Constitution qui permettait l'établissement au grand jour de la Société, à la deuxième interprétation, on préparait les esprits à la révolution. L'antipathie des chrétiens à l'égard de la société secrète s'explique par l'éducation qui repose sur l'idée que Dieu voit tout, même ce qui est caché, et que notre vie actuelle n'est qu'un moyen de parvenir à une vie supérieure, conquise par des sacrifices. Voilà qui engendre le sentiment de la responsabilité personnelle. La société secrète au contraire annihile toute responsabilité. Il fallait aussi aveugler les gouvernements sur les vrais buts pour obtenir l'autorisation d'exister et pouvoir agir efficacement sur toute une population. Sinon impuissance. Comment refuser une association plaisante, avec rites d'initiation égyptiens, antiques, singeries philosophiques, attrait de l'amusement mondain (cf. Cagliostro) ? Attrait du secret, dans la mesure où il ne recouvre aucun secret réel, un appât pour les badauds. Appréhension des gouvermements. Pourquoi se cacher s'il n'y a pas de secret ?

2°) Difficulté : le grand nombre des adhérents et leur extrême hétérogénéité.

a) Les bonnes âmes naïves servaient à fortifier la confiance dans l'association: une garantie d'honnêteté morale, de respectabilité sociale. Pammi les plus vaniteux, on les flatte d'être les plus intelligents, les plus "éclairés", pour les détourner insensiblement de la Foi.

b) les intrigants et les besogneux attirés par l'ambition, prêts à tout pour tirer un profit: les futurs politiciens.

c) les imaginatifs idéalistes, sincères, bavards, futurs orateurs de loges, prédicateurs illuminés, futurs hauts grades, passionnés d'occultisme, se croient au sommet de la hiérarchie et méprisent les politiciens. Enfin le caractère stupide et enfantin des rites détoume les âmes les plus droites et les plus sensées de rester dans la société.

3°) Difficulté: Impossibilité de commander par ordres directs

La F.M. n'est pas un organe d'action, mais d'éducation, dont les éducateurs doivent rester inconnus. Aussi impossible de transmettre des ordres. En ordonnant on dévoile la source de l'ordre, la personne qui commande. Or, on peut faire exécuter sa volonté sans donner d'ordre. On la dissimule sous des idées bien choisies, destinées à saper indirectement l'autorité reli- gieuse ou politique que l'on veut détruire pour y substituer une opinion nouvelle par suggestion.

La franc-maçonnerie est une société d'éducation.

a) Sélectionner des sujets aptes à recevoir certaines suggestions, les nourrir de celles-ci, opérer parmi eux une nouvelle sélection en vue d'autres suggestions en imprégnant des idées qui doivent régner dans les esprits, éliminer les adeptes impropres ou ne pas leur faire dépasser le degré où ils sont arri- vés. Il faut 50 ans pour préparer une révolution. On enfonce les suggestions dans les esprits, on profite des contradictions ins- crites dans les principes pour accentuer les uns et taire les autres. Peu à peu, on rend ces suggestions plus violentes, plus despotiques sur les esprits, jusqu'au fanatisme. La F.M. n'est pas une ligue d'action, mais son enseignement prépare des apôtres et des hommes d'action.

La F.M., au début, reçoit toutes sortes d'esprits, hommes paisibles et honnêtes, incapables de penser à un assassinat politique par exemple, des inquiets, des aigris, des ambitieux, capables de tout. Il faut donc éliminer progressivement les pre- miers. Ils quittent la loge spontanément, soit dégoûtés, soit indifférents. La porte de sortie est largement ouverte. Pour éli- miner, il suffit d'accentuer l'enseignement dans un sens qui déplaira à beaucoup. Il y eut ainsi de nombreuses défections retentissantes, dues à un sentiment d'honnêteté qui fait claquer les portes, par exemple : le préfet de police Andrieux. Ce fait se produit lorsque le pouvoir occulte veut obtenir une action révolutionnaire plus intense. Le nombre des adeptes varie peu, les départs sont compensés par de nouvelles recrues.

b) Suggestion.

Transformer les ambitieux, les mécontents, en apôtres d'un "esprit philosophique et progressif éclairé". Voilà comment masquer les passions humaines, leur permettre de se ruer en se glorifiant, de se croire champion du progrès, supérieur aux pratiquants des vieilles vertus routinières. Le succès de la faction philosophique au XVIIIe siècle est dû non à la qualité des écrivains, ni à un mouvement spontané des esprits, mais à la force de l'organisation maçonnique, d'après la correspondance de Voltaire, entreprises de colportage, etc.

c) Conditions pour une dynamique de groupe:

Petit nombre d'adhérents par atelier, moins de vingt, circulation libre et fréquente des hauts gradés dans les ateliers, surveillance facile des apprentis et compagnons. Plusieurs loges, même dans les grandes villes, pour éviter l'excès du nombre, mise en condition par le rite d'ouverture et de fermeture des travaux, "rites et mystères accoutumés"; le frère exerce à ce moment un véritable sacerdoce religieux. Ces rites qui prêtent à rire au début deviennent sérieux, intimidants. Les sceptiques abandonnent les loges.

La franc-maçonnerie est une contre-église.

Deux grands enseignements de la F.M.

1°) La F.M. est sainte et sacrée ; son origine "se perd dans la nuit des temps". Origine lointaine, mystérieuse, obscure des rituels "nuageux" avec un symbolisme compliqué, équivoque, des Légendes, Mort d'Hiram et résurrection…

La légende d'Hiram remonte à celle de Cain, odieusement calomnié par la Bible, victime de la jalousie d'Abel, ancêtre de tous les grands inventeurs de l'histoire. La F.M. est "mère de la Civilisation, du progrès et des Lumières."

2°) La Tolérance

Pour attirer les chrétiens, on la proclame respectueuse de toutes les religions. On a supprimé l'article du "Grand architec te de l'Univers" pour ne pas blesser la conscience de ceux qui ne croient pas à l'existence de Dieu. On n'a pas supprimé "le respect de toute foi religieuse, solidarité étendue à tous les membres de la Famille humaine, sans distinction de religion. Parmi toutes les opinions qui se heurtent, le frère peut défendre les unes, mais doit accepter le voisinage des autres et les respecter." Mais, dans les loges, ce sont les violents, les "avancés" qui prêchent les idées dont la diffusion est nécessaire à la F.M. La tolérance y est prêchée avec fanatisme par ces derniers contre les modérés. Ils reprochent aux modérés leur mollesse devant les ravages de l'Intolérance, leur manque d'ardeur pour prêcher la Tolérance. "La F.M. doit être l'apôtre de la Religion de la Tolérance." Ils affirment leur respect pour un catholique "tolérant", mais leur colère contre le catholique "intolérant". Puis au nom de cette tolérance, on ameute les frères; les Jésuites sont intolérants, il faut protéger les "bons" catholiques contre les autres, les croyants "sincères" contre les fanatiques, puis contre l'absolutisme du Dogme. "Les hommes les plus doux sont fatalement condamnés à devenir fanatiques dès lors qu'ils croient à un dogme." En effet, si un dogme affirme que ceci est vérité, il déclare par là même que cela est erreur. Il faut donc défendre les âmes sincères contre le dogme. Voilà la vraie guerre antireligieuse ; la "vraie tolérance" du F.M. est toujours armée, ne tolérant p ! us aucune religion positive. "Le Cléricalisme, voilà l'ennemi", dit la F.M. Elle prétend s'attaquer seulement à l'intrusion du Catholicisme dans la politique, "le prêtre à la sacristie !"

Si, devant les attaques des frères, les catholiques outragés s'efforcent de se défendre, ils sont accusés d'attaquer, de manquer de tolérance. Ils sont des provocateurs. C'est le loup de la fable qui accuse l'agneau qu'il veut dévorer. Puis lorsque l'heure semble mûre pour l'action, on laisse tomber les initiés qui "ne suivent pas le train". On ne respecte plus la tolérance contenue dans les statuts, on crie fortement la vérité : "La distinction entre le cléricalisme et le Catholicisme est purement officielle, subtile, pour les besoins de la tribune. Mais ici en loge, disons le hautement, pour la Vérité, le cléricalisme et le Catholicisme ne font qu'un". Ce qu'ils appellent "vérité" est un mensonge. Ils disent "hautement" alors qu'ils parlent en loges, dans le secret, sans risques.

 

Les franc-maçonneries extérieures

L'action maçonnique dans le monde profane

Journalistes, publicistes, auteurs dramatiques, chansonniers, professeurs, instituteurs, tous les maçons diffusent dans la Société profane les idées reçues en loge. Même le journal catholique subit un frère qui n'y écrit que ce qu'il peut y faire passer, mais qui se retrouve en loge avec l'enragé anticlérical.

Les sectes ésotériques : Roses-Croix, Illuminés, Marti nistes, Kabbalistes, Occultistes, Spirites, etc. Associations variées, très antichrétiennes destinées à détacher les âmes de la morale et de la vérité chrétienne. Les représentants du pouvoir occulte se retrouvent dans ces sociétés ésotériques et se retrou vent entre-eux avant et après.

La franc-maçonnerie est une école de préparation à l'action.

Longue période de propagande, de création de l'esprit nouveau pour préparer quelques heures d'une action brutale et rapide. La F.M. prépare l'action et s'efface lorsque l'heure a sonné. Elle dresse les hommes et, au moment de l'action, elle se "met en sommeil". Elle échappe ainsi aux conséquences des échecs. En cas de besoin, elle pourra recommencer. À ce moment les frères se font appeler Jacobins, théophilanthropes, communards, radicaux, etc. À la place d'ordres, des "influences individuelles soigneusement couvertes" ou des circulaires confidentielles, mais non officielles. Les frères doivent comprendre ce qu'on attend d'eux, sans qu'il soit besoin de peser ou de préciser la ligne à suivre.

Brusquement naissent les "clubs révolutionnaires", les Sociétés de Jacobins et autres, des groupes de jeunes armés, selon une apparence de génération spontanée (l'anarchie spontanée" de Taine), avec méthodes d'action, organisations très savantes douées pour l'action. La France devient une vaste loge. Toute la vie publique s'y déroule maçonniquement : Conventions, Président, Secrétaire, Orateur, Assemblée, Symboles, Formules (Liberté, Égalité, Fraternité"), etc. Puis les loges se sabordent. Elles sont devenues inutiles. Les clubs font le travail : "Le Grand Œuvre". Émeutes, pillages, assassinats, rassemblements. Par exemple : Barnave, le 16 juillet 1789 : "Nous comptons sur vous pour lancer le mouvement. Le même existe de partout. Il est concerté d'ici."

Il n'est plus question de laisser fonctionner un organisme à vide. Le pouvoir occulte ou noyau dirigeant est maftre de la place. Le 23 juillet 1789, le frère Corbin de Pontbriand dans la loge de la "Parfaite Union" de St. Brieux fait sonner une triple salve en l'honneur du Frère Le Chapelier, président de l'Assemblée Nationale : "Mes très chers Frères, le triomphe de la Liberté et du Patriotisme est le triomphe le plus complet du véritable maçon. C'est de vos temples et de ceux de la véritable philosophie que sont parties les premières étincelles du feu sacré qui, s'étendant rapidement de l'Orient à l'Occident, du midi au septentrion de la France, a embrasé les cceurs de tous ses citoyens. La magique révolution qui, sous nos yeux, s'opère en si peu de jours, doit être célébrée par les disciples du véri- table maître, avec un saint enthousiasme, dont les profanes ne peuvent partager les douceurs. Les cantiques que les seuls enfants de la Veuve chantent maintenant sur la montagne sacrée, à l'ombre de l'Acacia, retentissent au fond de nos cœurs et les mains levées vers le Grand Architecte de l'Univers, nous devons tous conjurer notre maître de porter à l'autel de tout Bien, l'hommage de notre vive gratitude… Aucun de nous, mes très chers frères, n'ignore que notre respectable Grand Maître, le duc d'Orléans, a concouru plus que personne à l'heureuse révolution qui vient de s'opérer…"

Évidemment, la plupart des Frères imbéciles n'avaient pas voulu cela. Les révélations de F.M. désabusés sont lamen tables. Voici, dans les Mémoires de Dufort de Cheverny : "Je me souviens que, dans les commencements du club des Jacobins, pendant les six premières semaines de son établissement, quand j'y étais entraîné par Beauharnais, l'abbé d'Espagnac et beaucoup d'autres gens que je croyais et que je crois encore très honnêtes et qui ne devinaient pas plus que moi où l'on voulait en venir, quelqu'un, dans cet antre affreux, lança un propos tellement révoltant, appuyé par Lameth, d'Aiguillon, et Rœderer que quelqu'un s'écria : "Où veut-on donc nous mener ; Qu'on le dise, qu'on s'explique ! Serait-ce possible qu'on voulût convertir le royaume en république ?" Des rires sardoniques furent la réponse. Sedaine, qui était avec nous, le remarqua avec le même effroi".

Les sources

Barruel : Mémoires pour servir à l'Histoire du Jacobinisme, 5 vol. Réédition en 2 vol. Editions de Chiré. 86190 &emdash; Chiré en MontreuiL

Crétineau-Joly : L'église Romaine en face de la Révolution

P. Deschamp et Claudio Jannet : Les Sociétés secrètes et la Société, 3 vol.

Mgr Jouin et 1a R.I.S.S de 1912 à 1939.

D'anciens maçons repentis : Copin-Albancelli et Marques Rivière.

Les documents maçonniques publiés par Bemard Fay de 1940 à 1944 sur les Archives confisquées par le gouvernement de Vichy.

Œuvres de vulgarisation : Léon de Poncins : ses livres sont composés d'extraits authentiques d'auteurs franc-maçons et autres regroupés avec méthode. Réédités par D.P.F. 86 190- Chiré en Montreuil.

Actes du Colloque de Lyon, 1989

Etienne Couvert