Concepts fondamentaux de démographie

Michel Tricot

Docteur en mathématiques, EPFL 1. Introduction Malgré le titre un peu ambitieux, l'objet de ce texte n'est pas de faire une introduction théorique à la démographie ou à certaines de ses parties mais de permettre à un lecteur grand-public de se familiariser avec quelques uns de ses outils et avec l'analyse critique que l'on en fait gé-néralement dans les milieux autorisés. On entend souvent dire: Oui, ce que les démographes disent ne se vérifient jamais. En l'an 1950 par exemple, ils disaient qu'on serait dans telle situa-tion en 1989 et regardez: cela ne s'est pas réalisé. Les démographes seraient des futurologues, des utopistes, des créateurs de science fiction. Ces propos sont en réalité dénués de tout fondement objectif: La démographie est une science qui, comme la statistique, dont elle est l'une des branches, et comme toute science, procède par hypothèses, raisonnements et conclusion. Si les hypothèses sont vérifiées, les conclusions sont sûres. Quand le démographe énonce un schéma d'avenir à 20 ans, 100 ans et même 400 ans, celui-ci est basé sur des hypothèses. Si celles-ci sont vraies les projections faites sont des certitudes et décrivent rigoureuse-ment la situation à venir. Les lois de la démographie sont aussi systé-matiques que les lois de l'astronomie. Il a de plus la possibilité de dresser des projections selon plusieurs hy-pothèses. En effet, on arrive en général à montrer que la réalité est res-treinte à un petit nombre d'hypothèses. Par exemple, la fécondité va augmenter un peu, pas du tout ou diminuer. L'immigration va être telle ou telle. La fécondité des immigrants sera telle ou telle. Selon chacun des scénarios correspondants aux hypothèses les plus probables, le dé-mographe peut faire des projections exactes. Ceci permet de se faire une excellente idée des diverses situations futures possibles, et cela à long terme. Ces réalités présentent l'immense avantage suivant: supposons que la prédiction soit mauvaise. C'est le cas par exemple pour la Suisse ac-tuellement où, selon des hypothèses très vraisemblables, le Conseil Fé-déral prévoit un déficit de 9 milliards de francs pour l'AVS en 2040 alors que le budget actuel est de 15 milliards [7]. Il suffit de modifier dans la pratique les hypothèses de départ, c'est-à-dire de prendre des décisions politiques actuelles, pour rectifier la situation. Il convient toutefois d'ajouter que la démographie peut aussi être ins-trumentalisée ou déviée. Etant donnés les enjeux politiques, écono-miques et sociaux qu'elle entraine, certains démographes peuvent être tentés par idéologie ou sous la pression de contraintes extérieures, de falsifier, consciemment ou pas, la réalité des choses: ils peuvent dissi-muler un fait, oublier des paramètres, mal interpréter des indices. A ce propos il est intéressant de rappeller l'anecdote du professeur P. Chaunu, confessant son admiration pour le professeur A. Sauvy, lorsque celui-ci était le démographe officiel de la France, directeur de l'Institut National d'études Démographiques: "Monsieur Sauvy, afin de rester libre n'avait pas de voiture de fonction. Pour venir au bureau, il allait à bicyclette…Certains, pour garder leur voiture de fonction, sont prêts a beaucoup de compromissions…" Signalons encore que telles le geai paré des plumes du paon, des per-sonnes se disent démographes, sans avoir la base scientifique à part en-tière. Mais être démographe est une tâche complexe: il faut être à la fois mathématicien, économiste, sociologue, philosophe et j'en passe… 2. Le noyau de la démographie Le principal objet de la démographie est la description des mouvements de population sur un territoire donné. Ceux-ci sont essentiellement de 4 sortes: - Les naissances. - Les décès. - Les immigrations. - Les émigrations. Il s'agit de mouvements que nous qualifierons d'externes ; ils font va-rier l'effectif de la population à l'intérieur du territoire. Nous ne parle-rons pas des mouvements iinternes (à l'intérieur du territoire). La démographie étudie aussi bien les mouvements de populations ac-tuels que passés et futurs. Notamment, sur la base des données dont il dispose, il peut projeter la situation démographique à plusieurs an-nées à l'avance. Cette projection peut être faite avec une très grande exactitude s'il possède des renseignements exacts sur la natalité, la mortalité et les migrations. Ainsi par exemple, s'il peut savoir quelle sera la fécondité moyenne de la femme suisse (mettons 1,5 enfants par femme), la mortalité moyenne (75 ans) et les taux migratoires, il peut calculer presque exactement quelle sera la population de la région qu'il étudie dans les 100 pro-chaines années. C'est pourquoi, on dit qu'il projette et non qu'il prévoit. Le démographe étudie encore la structure de la population c'est-à-dire, par exemple, le nombre de résidents par âge, sexe, etc. Il utilise, pour présenter ses résultats, des outils statistiques, indices, tableaux ou représentations géométriques qui résument d'une manière simple, immédiatement appréhendable à l'esprit, les grandes quantités d'informations dont il dispose. A ce propos, il convient de préciser quelques points sur ces outils, no-tamment sur les indices statistiques: • Ils résument. Etant donné plusieurs milliers d'observations par exemple, ils transforment l'information qu'elles véhiculent en un seul chiffre, évidemment plus maniable. • Ils décrivent. A l'aide de ces indices, on peut appréhender une réalité de nature complexe mais dont ils mettent en lumière une caractéristique principale qui nous intéresse dans le contexte. • Ils ne sont pas uniques. Généralement on recherche des indices statistiques d'expression mathématiques simples, simples à utiliser et à interpréter. Mais le caractère de simplicité est assez subjectif et plusieurs choix peu-vent être proposés, chacun d'eux disant globalement la même chose mais avec des nuances différentes. Du fait qu'ils simplifient, les indices statistiques peuvent toujours être critiqués car ils ne présentent qu'une partie de la réalité. De plus il existe des situations où ils la retracent fidèlement alors que dans d'autres ils la falsifient ou la biaisent. Il convient donc que l'utilisateur les utilise avec science et avec une pleine connaissance de leur propriétés afin d'avoir tout l'esprit critique nécessaire. Dans cet article, nous étudierons en détails quelques uns des principaux outils démographiques décrivant mortalité et naissance, à savoir: 1] Taux brut de mortalité 2] La mortalité par âge 3] Le taux brut de natalité 4] La fécondité par âge 5] Indice de descendance finale 6] Indice conjoncturel de fécondité 7] Le taux brut de reproduction 8] Le taux net de reproduction 9] La pyramide des âges Avant de les décrire , précisons le sens d'un mot qui reviendra souvent: celui de génération. Nous entendons par là les hommes (ou les femmes) d'un territoire donné, à une année fixée, tous nés la même année. 3. Le taux brut de mortalité. Définition. Il compte le nombre de décès sur l'espace d'une année rapporté à la po-pulation globale moyenne du territoire durant cette année. But Décrire la perte démographique due à la mortalité d'une manière indé-pendante de l'effectif total de la population. Exemple Il a été pour la Suisse de 9,2 pour 1000 habitants en 1985. Analyse. Il ne permet pas en général de bien mesurer la santé démographique de la population pour deux raisons. La première est que, au fil des ans , il ne représente pas toujours la même réalité. Ainsi, il ne signifie pas en 1900, ce qu'il signifie mainte-nant. Cette année-là, il y avait une forte mortalité infantile et sénile. L'indice représentait donc en gros le nombre d'enfants et de personnes âgées décédées. De nos jours il représente principalement le nombre des personnes âgées décédées puisque la mortalité infantile est devenue in-signifiante. De plus l'espérance de vie ayant été en forte augmentation depuis 1900, le taux brut de mortalité est généralement décroissant de-puis cette date. Mais ceci est trompeur car propre d'une période de tran-sition: les enfants qui ne sont pas morts et qui vieillissent davantage vont quand même mourir! Avant que le phénomène ne soit stabilisé, cet indice sous-évalue donc la mortalité réelle. Il est indicateur de nos jours de l'hygiène plus que de la mortalité. La seconde raison est que si la population est croissante en effectif (ce qui est le cas actuellement) et que la mortalité n'atteint que les personnes âgées, l'indice reflète la mortalité de générations maintenant âgées, beaucoup moins nombreuses que les jeunes générations actuelles. Pour cela également, il sous-évalue la mortalité réelle, intrinsèque de la po-pulation. Quand le progrès dû à l'hygiène plafonnera et que la population cessera de croître, le taux brut de mortalité croîtra d'une manière importante. Par conséquent le taux brut de mortalité ne peut servir à évaluer globa-lement la santé démographique d'un pays ou du monde que si cette po-pulation est constante ainsi que sa mortalité par âge. Ce qui est loin d'être la situation au XXème siècle. 4. La mortalité par âge. Définition. Il ne s'agit plus cette fois d'un indice statistique mais de la donnée, à une année fixée, pour chaque âge, du nombre de décès rapporté à la po-pulation de cet âge. On représente graphiquement ces nombres au moyen d'une courbe. But. Connaitre la nature de la mortalité à chaque âge. C'est la donnée brute. Analyse. On complète souvent ces données par une information de même nature: dans une année choisie, pour chaque âge, on calcule le nombre de décès des personnes qui auraient eu cet âge, rapporté à la population de cet âge. On obtient ce qu'on appelle une courbe de survie. Exemple Nous présentons (annexe: figure 1) une courbe de survie pour les époques 1900 et 1980, par sexe. L'axe vertical, comporte, en ordonnée, une graduation de 0 à 1000, et l'axe horizontal, en abscisse, une graduation de 0 à 90. Notons (x,y) un point de la courbe, x représentant l'abscisse du point et y l'ordonnée. x est égal à une génération (45 ans par exemple). y est égal au nombre de survivants de cette génération (en 1900, sur 1000 hommes de la génération de 45 ans, il en reste environ 650). Les deux principales leçons que l'on peut tirer de ces courbes sont les suivantes: • La variation de la mortalité infantile entre 1900 et 1980. • La plus faible mortalité des femmes à tout âge. 5. Le taux brut de natalité Définition. Il est égal au nombre de naissances qu'il y a eu dans l'année rapporté à la population globale moyenne. But. Cet indice a pour but de donner une idée de l'apport à la population dû aux naissances. Exemple. En Suisse ce taux a été de 11,5 pour 1000 en 1985. Analyse. Il est évidemment meilleur que le nombre même de naissance dans l'année. En effet supposons par exemple qu'il y en ait eu 100.000: pour une population de 5 millions d'habitants, c'est beaucoup ( TBN = 20 pour 1000). Pour une population de 50 millions, c'est peu (TBN = 2 pour 1000). Mais, comme son parent, le taux brut de mortalité, il est trompeur à double titre. En premier lieu, il n'indique que partiellement la qualité de la fécondité des générations fécondes. Prenons un exemple. Supposons qu'un pays donné ait 4 millions d'habitants. Les générations fécondes se situent entre 15 et 45 ans pour les femmes. S'il y en a 500.000, la fécondité est élevée. Mais s'il y en a 1 million la fécondité est deux fois plus faible! Cela le taux de fécondité ne le dit pas. En second lieu, on le compare souvent au taux brut de mortalité [5]. Par exemple en Suisse, on voit qu'en 1985, la différence entre ces deux taux qui représente le gain en personnes, selon l'échange mortalité-nais-sance sur l'année considérée, est de 2,3 pour 1000. On en conclut habituellement que la population augmente (c'est vrai) et que la santé démographique est bonne (ce n'est pas nécessairement vrai). En effet, dans le cas d'une population qui a été croissante et qui reçoit de plus de l'émigration féconde, les générations fécondes (15-45 ans) sont beau-coup plus nombreuses que les générations en âge de décès (70-90 ans). La comparaison entre les 2 taux ne fait que dire si les enfants de générations nombreuses comblent bien le vide dû au décès de gé-nérations moins nombreuses. Mais la santé démographique d'un pays ne se mesure pas objectivement de cette manière: elle se mesure au fait de savoir si Chaque génération se renouvelle en elle-même ou pas, et com-ment. Cela, la différence entre les deux taux l'indique si et seulement si la croissance de la population est 0 depuis plusieurs généra-tions. Le raisonnement est un peu complexe mais parfaitement véridique. Dans les pays (ou les milieux scientifiques) où la compréhension de l'outil statistique est encore à l'âge de la pierre (ces pays et ces milieux sont plus nombreux qu'on ne pense), il n'est pas encore compris. Cela crée de graves erreurs d'appréciation sur la santé démographique d'un pays ou même de la planète. 6. La fécondité par âge Définition. Elle est égale, pour une année fixée, à la donnée, pour chaque âge des femmes, du nombre de naissances rapporté à la population moyenne globale des femmes de cet âge. But. La donnée de la fécondité par âge est une donnée exhaustive de l'information sur la fécondité. C'est la donnée brute. Exemple Nous donnons (annexe: figure 2) la fécondité par âge de la Suède selon plusieurs années depuis 1900. L'examen du graphique montre une baisse régulière de la fécondité des femmes suédoises depuis le début du siècle. Analyse. Elle a l'inconvénient d'être trop riche et aussi de ne pas donner de ren-seignement immédiat sur la santé de la fécondité de la population étu-diée: est-on en-dessous ou en-dessus du seuil de renouvellement étudié? Elle permet toutefois de le calculer aisément. Par ailleurs, elle ne permet pas de savoir par exemple si les enfants sont dus à beaucoup de femmes ayant peu d'enfants ou à peu de femmes ayant plus d'enfants. 7. L'indice de descendance finale. Définition. Il est égal au nombre moyen d'enfants obtenus par les femmes d'une génération donnée une fois qu'elles ne sont plus fécondes. But. Il donne la mesure exacte de la santé de la fécondité d'une population. Exemple. On admet qu'une population dont les membres ne restreignent pas arti-ficiellement et sans grave motif leur fécondité, a un indice de descen-dance finale de 4 à 5 enfants. Nous montrons (annexe: figure 3) la courbe de descendance finale pour la France concernant les femmes nées entre 1910 et 1945. On voit que la population française s'est suffisamment renouvelée durant cette pé-riode. Le sommet pour les générations des années 30 correspond au baby-boom des années après la guerre de 45: les femmes ayant environ 25 ans ont eu alors beaucoup d'enfants. Ensuite, on voit que l'indice de descendance finale rechute. L'étude de la fécondité actuelle des jeunes générations, très faible par rapport à la fécondité des générations des années antérieures, laisse prévoir que cette chute va continuer et des-cendre en-dessous du seuil de 2,1, déjà presque atteint par les généra-tions des années 45. Il est intéressant de savoir également le passé de cet indice de descendance finale: d'un plateau de 5,5 enfants par femme au XVIIIème siècle, il a lentement et régulièrement chuté jusqu'à nos jours. On peut comparer ce comportement à l'indice de descendance finale de la RFA (annexe: figure 4): il est en tout point semblable à celui de la France: la légère remontée que l'on constate pour les générations des années 1915-1935 est due au phénomène du national-socialisme et du baby-boom d'après-guerre. Ensuite l'indice se remet à descendre régu-lièrement. Analyse. Cet indice est approximativement égal au nombre moyen d'enfants ob-tenus par un couple durant sa vie. Avec le niveau d'hygiène de l'Europe de la fin du XXème siècle, pour que la population en Europe, reste à un niveau constant, il faut que cet indice ait une valeur de 2,1. Cela est logique, car tout enfant est, normalement, dans notre société, le fruit de l'union d'un couple. Il faut donc que celui-ci est au moins deux enfants pour être renouvelé. Mais compte tenu qu'il y a, statistiquement parlant, un peu plus de garçons que de filles qui naissent, de la mortalité hommes-femmes avant l'âge de la fin de la fécondité (cette fois à l'avantage des femmes), il faut un peu plus que deux enfants par couple pour assurer le renouvellement. Mais cet indice a l'inconvénient d'être à retardement: en 1989, on ne peut connaitre que l'indice de descendance finale des femmes âgées d'au moins 45 ans c'est-à-dire nées avant 1944. Il ne permet pas de dé-crire la situation à la suite de l'évolution rapide des mœurs depuis 1970: celle-ci étant caractérisée, de notoriété publique, par une forte variation de la fécondité intrinsèque de la population entre les années d'après-guerre (époque du baby-boom) et les années après 1970 (époque du féminisme, de la contraception, de l'avortement légalisé,…). C'est pourquoi ce n'est pas cet indice qui généralement est choisi pour analyser la fécondité, mais le suivant. 8. L'indice conjoncturel de fécondité Définition. Il indique pour une année déterminée, le nombre moyen d'enfants que mettrait au monde une femme si, à chaque âge (de 15 à 45 ans), elle avait la fécondité observée au cours de cette année chez les femmes de cet âge.[6]. On l'appelle encore indice synthétique de la fécondité. But. Il donne la mesure approchée de la santé de la fécondité d'une popula-tion: pour l'année en cours il donne une bonne estimation de la fécon-dité des générations de femmes fécondes de cette année-là. Exemple. Nous montrons (annexe: figure 5) l'évolution de l'indice conjoncturel de fécondité depuis le XVIIIème siècle [2]. On voit que conformément à ce que dit l'Histoire et l'indice de descendance finale, la fécondité du peuple français chute régulièrement. Elle a toujours été au-dessus de 2,1, sauf: - à des moments très brefs, pendant les deux dernières guerres mondiales. - depuis 1973. Ce graphique montre bien l'implantation progressive d'une mentalité anti-enfant, avec une brusque chute à partir des années 65, suivie d'une stabilisation à 1,8 environ, 10 ans plus tard. Cette courbe reflète le comportement général de l'indice conjoncturel de la fécondité pour tous les pays industrialisés. Selon l'historien P. Chaunu [3], les pays du Tiers-monde sont en train de suivre le même chemin, mais beaucoup plus rapidement, à la mesure des moyens ac-tuels de communications. Analyse. L'expérience montre que cet indice décrit relativement bien la fécondité réelle des femmes fécondes du territoire, au moment observé. En faisant des hypothèses raisonnables sur son comportement dans le futur, il permet de projeter l'évolution de la population sur l'avenir. En lui-même, il constitue un taux de natalité très amélioré: au lieu de rapporter brutalement le total des naissances, en une année, au nombre total de femmes dans la population (taux brut de natalité), il rapporte d'abord les naissances d'enfants des femmes d'un certain âge à leur nombre, puis il fait la somme des pourcentages ainsi obtenus.La construction de cet indice permet d'en conclure une évaluation du taux de descendance finale des femmes fécondes de l'année considérée. Il est clair que celle-ci n'est bonne que si les conditions de fécondité dans lesquelles il est calculé restent relativement stables. 9. Taux brut et net de reproduction Définition. Le taux brut de reproduction est en tout point semblable à l'indice conjoncturel de la fécondité, à part qu'il ne tient compte que du nombre de filles qui naissent (au lieu du nombre d'enfants). Le taux net de reproduction est égal au taux brut, sauf que l'on multiplie le nombre de filles qui naissent par le taux de survie de la génération des femmes qui les enfantent. But. Le but de ces deux indices est de montrer comment se renouvelle la po-pulation féminine. Etant donné les mécanismes de la reproduction natu-relle, cela suffit pour avoir une idée de la reproduction globale de la po-pulation. Analyse. Si la population féminine reste constante, le taux brut de reproduction est approximativement 1 et le taux net égal à 1. Ces taux sont en général préférés par les spécialistes pour l'étude de la fécondité car ils sont plus exacts. Ils permettent en effet de ne pas tenir compte de la différence de comportement des populations masculines et féminines ni des problèmes de remariages, divorces,… 10. La pyramide des âges. Définition. C'est la représentation graphique (bien connue) de la donnée, pour une année fixée, des effectifs des individus de la population ayant un certain âge. But. Il s'agit d'une donnée brute. On visualise comment sont distribuées les unes par rapport aux autres, les couches d'âges de la population. Exemple. Nous présentons ici trois exemples. • Celui de la pyramide des âges de la population masculine française en 1977 (annexe: figure 6). On voit nettement l'interruption de fécondité due aux deux grandes guerres de ce siècle. Puis on voit les nouvelles générations arriver en 1976, 1977 déjà moins nombreuses que les générations supérieures. A ce stade, ce fait a manifestement deux causes principales: - La baisse de la fécondité intrinsèque. - La faible natalité des générations des années 40. C'est pourquoi quelques années plus tard, à la suite du baby-boom des années 50, on constatera une légère reprise de la fécondité. Mais le premier facteur restant identique et même empirant, cette reprise ne peut être que très provisoire. • Celui de la pyramide des âges de la France en l'année 1740 (annexe: figure 7). C'est la pyramide caractéristique d'une population jeune avec une forte mortalité chez les personnes jeunes et âgées. • Finalement nous présentons la pyramide des âges de la ville de Zurich (annexe: figure 8). C'est la pyramide caractéristique d'une population en train de vieillir. Si la ville de Zurich vivait en autarcie démogra-phique, une telle pyramide signifierait l'extinction rapide de la popula-tion car elle suppose que la fécondité de celle-ci est largement en-des-sous de 2,1. Ce phénomène pour une grande ville peut avoir dexu ex-plications: d'une part les familles avec enfants ont tendance à habiter en dehors de Zurich où la vie leur est plus aisée, et d'autre part les per-sonnes âgées aiment être en ville où elles sont mieux assistées. C'est deux raisons suffisent-elles à expliquer une telle pyramide? Analyse. Les démographes reconnaissent trois types de pyramides d'âges (annexe: figure 9). • Les pyramides élargies. Elles signifient une forte natalité et une faible espérance de vie. Elles sont caractéristiques d'une population où l'enfant est considéré comme une richesse importante et où le manque d'hygiène implique une forte mortalité à tous les âges. Elle suppose une croissance plus ou moins forte de la population qui est très jeune. On les rencontre dans les pays du Tiers-monde et les pays européens des siècles passés. Toutefois de telles pyramides sont trompeuses car elles ne présentent qu'une partie de la réalité: elles n'indiquent pas l'avenir comme le fait l'indice de fécondité. Ainsi un pays qui a une fécondité à la baisse peut très bien avoir une pyramide des âges élargie. Cela est le cas justement des exemples que nous venons de citer. • Les pyramides champignons. Elles sont l'autre extrême des pyramides précédentes: les couches d'âge des jeunes sont très inférieures en nombre aux couches d'âge des vieux. Elles indiquent une population où l'enfant disparaît peu-à-peu de l'habitude sociale et où le nombre de personnes âgées non-actives sont en augmentation. Elles supposent l'extinction à brève échéance de la population de souche. La population est vieille. Les pays industrialisés ont de plus en plus des pyramides d'âge de ce type. • Les pyramides stables. Dans ces pyramides les couches d'âges sont grosso modo également représentées, sauf la couche d'âge du tiers supérieur, qui l'est moins, du fait de la mortalité. Ce sont les pyramides d'âges où l'effectif de la population reste constant, sans migration. Vraisemblablement aucune population n'est encore parvenu à maintenir une telle situation. Certaines ont passé ou passent par ce stade qui est transitoire en allant d'une pyramide élargie à une pyramide-champignon. Est-ce la structure idéale de la population dans une planète où l'aménagement du territoire serait réalisé de manière parfaite? C'est une question que l'on peut se poser. 11. Conclusions On retiendra que la démographie est une science et non une futurologie qui ne traite pas des phénomènes aléatoires dont le comportemnt est plus ou moins sujet au hasard (comme le jeu de la roulette) mais de phénomènes tout-à-fait précis et mesurables qui permettent de décrire et de projeter exactement les situations. De plus on a pu constater qu'il s'agissait de manier avec beaucoup de soin les indices de la démographie: faute de quoi on risque des inter-prétations ponctuelles erronées. Il y en deux exemples récents et fa-meux: les prévisions de l'ONU [1] et celle de la RFA dans les années 68 [1]. Une remarque aussi nous semble extrèmement importante car rarement soulignée: dans les pays dont la fécondité est en-dessous du seuil de re-nouvellement et qui sont donc en voie d'extinction, la fécondité est en baisse depuis deux siècles. Le phénomène a donc des racines très profondes. C'est la raison pour laquelle nous semble superficielle la pensée de cer-tains démographes, pourtant de grand renom (tel G. Calot actuellement no 1 de la démographie française [2]) attribuant à la contraception le mauvais état démographique des pays industrialisés. Ceci n'est qu'une cause primaire et n'explique pas pourquoi est né le besoin de la contra-ception…De plus le phénomène de la baisse de la natalité est bien anté-rieur à l'apparition des techniques contraceptives. Pourtant la possibilité d'utiliser une technique aussi puissante et efficace a certainement accé-léré le processus actuel de désintégration démographique. Pour finir et souligner l'idée-force de notre exposé, nous invitons les lecteur à contempler la figure 10 de l'annexe. Elle représentent le logo de la grande multinationale alimentaire suisse Nestlé à sa naissance, en 1867, puis modifié, il y a deux ou trois ans. Il nous paru frappant car la rénovation du logo initial refléte bien l'évolution démographique des pays industrialisés. En effet il y a deux ou trois ans, Nestlé a voulu moderniser son logo âgé d'un siècle, le préparer peut-être en vue de la conquête du marché européen. Elle a ainsi modernisé la fonte des caractères, aéré le dessin, et notamment, afin de le rendre plus conforme à la réalité de la famille d'aujourd'hui, au lieu de trois oisillons dans le nid, elle en a mis deux. Ce dernier fait nous suggère trois réflexions: D'abord se conformer à la réalité de la famille d'aujourd'hui n'est pas seulement pour une telle entreprise une question de look externe. Cela conditionne aussi l'élaboration de tous ses produits, l'emballage,… On ne nourrit pas de la même manière la famille nombreuse ou la famille de l'an 2000. Avec deux petits oiseaux dans le nid, ce logo prophétise l'extinction inéluctable des pays industrialisés puisqu'on est alors en-dessous du seuil de renouvellement. Bien entendu il est très certain que Nestlé ne l'a pas pensé ainsi: elle n'a fait que se conformer a une certaine réalité. Quelle sera la situation dans un siècle? Nestlé remettra-t-elle un nouvel oiseau dans le nid ou en ôtera-t-elle encore un? Michel Tricot Bibliographie [1] Birg H., "Die demographische Zeitwende", Spektrum der Wissen-schaft, 1989. [2] Calot G., "La fécondité en Europe: évolutions passées et perspec-tives d'avenir", Symposium on population change and european society, Florence, 1988. [3] Chaunu P., "Projections ou prospectives? ", dans ce livre. [4] Chaunu P., "Un futur sans avenir". [5] Di Comite L., "Croissance démographique et phénomènes migra-toires", dans ce livre. [6] Geinoz F.,"Projections du futur démographique dans les pays in-dustrialisés", dans ce livre. [7] OFS, "L'influence de l'évolution démographique sur le financement de l'AVS", Rapport 18 mars 1988. [8] Pressat R., "Démographie statistique", PUF, 1980. [9] Zurfluh A., "La démographie, un problème d'avenir", Actes du 1er Congrès de la Société Suisse de Bioéthique, Lausanne, Edisud-Suisse, 1986. Concepts fondamentaux de démographie M.L. Tricot