La formation des élites en Suisse

Les gens de gauche contestent la nécessité des élites; nous voulons au contraire exprimer des voeux sur la manière de les former

Le malaise dans les élites

Quelques faits

Données de l'annuaire statistique

Personne ne le conteste : l'Occident vit une décadence morale accélérée dans plusieurs pays, freinée temporairement dans d'autres, en cette Suisse épargnée par les guerres notamment. Cependant notre société helvétique avance vers un état de décomposition dont les élites sont responsables, car le poisson pourrit par la tête : la chute d'un pays commence en effet dans la mentalité de ses notables. L'annuaire statistique suisse de l976 reflète entre autres cet état des moeurs. Une omission de taille d'abord, rien sur les avortements. De 1960 à 1975, la natalité dans les villes passe de 15,5 ‰ à 10,7 ‰. A Bâle, les naissances ont lieu par 8,5 ‰ (avec un excédent de décès de 2,5 ‰. A Genève, on constate 8,8 ‰ de naissance, avec un surplus de décès de 1,3 ‰. A Zurich la natalité descend à 7,7 ‰, avec un déficit de 2,9 ‰. Cinq grandes villes totalisant 1'037,800 habitants présentent 8,6 ‰ de naissance avec un déficit de 1,8 ‰ (en 1975). La "citadinisation" progressive signifie l'affaiblissement généralisé de la natalité. Pour la Suisse, de 1875 à 1975 les mariages passent de 9 ‰ à 5,5 ‰, les naissances de 31 ‰ à 12,3 ‰, les décès de 24 ‰ à 8,7 ‰, l'excédent de naissance de 7,8 ‰ à 3,6 ‰. Pour une population qui a presque triplé, on se marie moins, on naît encore moins, et l'on meurt moins aussi: la population vieillit. En 1976, le nombre des mariages qui se défont par décès de l'un des conjoints ou par divorce surpasse le nombre de ceux qui se font. De 1921 à 1975 on passe de 2000 à 9000 divorces. En 1970, pour 1'500.000 couples mariés, on dénombre 65'000 veufs contre 270'000 veuves : un «génocide matriarcal». Par ailleurs la population résidente de 0 à 24 ans comporte un excédent masculin de 48'559, tandis qu'au delà de 50 ans, l'excédent est féminin et atteint 177'610. L'égalisation inconsidérée des conditions aggravera ce déséquilibre.

Indices divers

Quelle relève prépare-t-on? Des jours meilleurs s'annoncent- ils? Suffit-il de laisser les choses se corriger par elles-mêmes? Le potentiel de la jeunesse demeure sans doute, mais ce que nous offrons à celle-ci ne laisse rien augurer de bon. "La formation des jeunes est déficitaire à un point que je ne saurais dire" affirme un curé de Genève. En effet, les écoles de toutes espèces n'osent rien enseigner des vérités de la religion, seules capables d'assurer une armature intellectuelle et morale; le fameux respect des consciences n'est qu'un facteur de dépravation, et l'interprétation de la Constitution sur ce point présente un vice (art. 27, alinéa 3). Même dans les écoles dites confessionnelles, l'enseignement religieux se dégrade, à tel point que les maîtres les mieux intentionnés n'arrivent pas à se faire entendre. En 1976, une classe de type scientifique dans un gymnase suisse comporte deux drogués sur 3 élèves, et le porteur du meilleur baccalauréat n'atteint pas la moyenne au premier semestre d'études d'une Haute Ecole. Dans le même gymnase, l'affaire dite du "baiser" révèle que le maître a perdu sa fonction d'éducateur. Il ne lui reste qu'a dire son cours sans trop regarder autour de lui, et à s'enfuir sans bruit. "...Tant les responsables du Tribunal des mineurs que la police de sûreté notent le recours de plus en plus généralisé à des drogues dures, il s'ensuit des drames effrayants. Le 30 novembre 1975, le Dr. Bernard Kœnig écrit : "...J'ai assisté il y a quelques jours, à l'Université de Berne à une discussion sur l'avortement, et mon étonnement a été grand de constater l'incapacité et la déchéance des étudiants d'aujourd'hui. L'impression fut désastreuse. L'idéologie et l'égoïsme, le manque de compréhension devant la vie à naître, sont inqualifiables. Ces jeunes gens en pleine puberté ne veulent discuter qu'à l'aide de slogans appris et refusent avec aversion d'apprendre quelque chose, même si, en tant qu'étudiants, leur savoir doit s'étendre à tout afin d'avoir plus tard de l'influence sur les autres. L'éducation n'a pas eu lieu. L'aula était occupée par des individus méprisables qui ne laissent rien pressentir de bon".

A Zurich en 1975, sur 1000 jeunes bourgeois de 20 ans, 750 se prononcent en faveur de la "solution" dite des délais. Certains sont déjà divorcés. Le premier mars 1977, un président directeur affronte à l'Université de Fribourg une salle noyautée par des gauchistes. On peut accuser ces derniers, ou la télévision, mais les fautifs a mon sens, ce sont les auditeurs, passifs, incapables de réagir ; or une élite devrait savoir comment se comporter face à une assemblée manipulée. Les faits de cette sorte pullulent, et il faut scruter l'avenir de nos écoles d'une manière plus profonde.

La formation scolaire actuelle

Tests de mathématiques

La jeunesse scolaire acquiert de moins en moins de connaissances solides, enracinées dans la réalité des choses et des personnes. Faire des "mathématiques modernes" par exemple consiste à discourir sur des signes, en ignorant la relation essentielle qui les unit aux choses et ces choses elles-mêmes. La mathématique sort de celles-ci par dénombrement et mesure exprimés littérairement, graphiquement et par des signes; or, aujourd'hui, la manipulation des signes surpasse toute autre préoccupation, au détriment du texte et du dessin généralement bâclés. Pourtant, les savants créateurs se sont tous servis de la langue parlée ou écrite, et de graphismes en tant qu'expression directe des configurations.

Les tests annuels effectués à l'EPFL rendent patente une chute de niveau; en 1975, 42% des étudiants porteurs d'une maturité de type scientifique répondent correctement à la moitié des questions au moins, tandis que pour les étudiants issus du Cours préparatoire de cette Ecole, le pourcentage atteint 84%; le niveau de ce cours égale par ailleurs aujourd'hui celui de 1960 grâce a la présence continue d'un maître ferme, qui n'a joué aucun rôle dans l'élaboration des tests. La situation dans cette même Ecole exige l'introduction d'un cours de rattrapage destiné à compenser mais un peu tard la carence trop fréquente des gymnases.

Un test de mathématique présenté dans une classe d'un gymnase romand révèle que plusieurs notions fondamentales ne sont pas assimilées, les élèves restant incapables par exemple de calculer la hauteur d'une pyramide. Les réformes entreprises sous couleur de coordination intercantonale font reposer l'édifice mathématique sur des bases erronées, élaborées par des personnes incompétentes.

Histoire et révolution

L'histoire repose normalement sur des faits attestés et irrécusables, matière de réflexions personnelles, capables de développer le sens des analogies et des transpositions, et de guider les actions présentes ou à venir; bien comprise elle exerce la vertu de prudence, en montrant ce qu'ont réalisé tels hommes placés dans telles situations, dans tels contextes de civilisation. Les novateurs prétendent que l'histoire événementielle, liste interminable de batailles et de traités doit faire place a l'histoire évolutive où règne le mouvement sans faits; ce qu'on voit poindre, c'est la lecture marxiste du devenir, dont le rôle consiste à prouver l'inéluctabilité de la marche au socialisme, aux côtés d'une sociologie "agitprop". Quelle connaissance de l'histoire nationale peut-on espérer dans les élites si l'on ne peut interroger un candidat de 19 ans sur l'Helvétie romaine ou médiévale parce qu' on a décidé de partir du XVIe siècle, de la défaite de Marignan et des dissensions religieuses génératrices en fait de la Révolution ? Rien sur l'ordre romain, rien sur les monastères civilisateurs, rien sur le St-Empire, rien sur la présence actuelle des cathédrales, rien sur Nicolas de Flue, clé de voûte de l'équilibre fédératif pourtant. La Révolution passe et détruit l'homme: discourir de sciences pseudo-humaines sur de grandes fresques entrevues à travers le brouillard de la superficialité.

Vide littéraire

Littérature rime souvent avec pourriture. Les textes faisandés se multiplient, spécialement en cette époque, et les jeunes intelligences s'y plongent, poussées par des maîtres inconséquents. Rien qui donne des raisons de vivre. Un record de puanteur est décroché par un témoignage d'obsession sexuelle: l'Ogre, sujet d' étude dans un gymnase suisse. Par ailleurs, la Révolution alimente beaucoup d'oeuvres, qui modèlent les esprits en marche vers le Goulag, au travers du mirage. De Voltaire à Rousseau jusqu'à Sartre, la panoplie révolutionnaire s'étale sans contrepartie. Comment ne pas rester stupéfait devant le néant littéraire proposé aux jeunes, ces oeuvres aux qualités linguistiques parfois étincelantes, mais empoisonnées; la tendance à la drogue semble traduire ce vide métaphysique pour une part. Le système éducatif suisse fonctionne avec des maîtres de qualité, soigneusement formés, bien intentionnés, mais par une pente savamment graduée, les pousse vers l'explication des oeuvres douteuses, agnostiques, athées, vers le génocide des intelligences privées de vérité.

Formation religieuse

Seule, l'adoration du Christ peut combler cet abîme et donner une raison de vivre; or, l'enseignement du catéchisme vole bas. Le sel s'est affadi, et l'absence de religion produit la décomposition du corps social : l'éducation religieuse n'a pas lieu. Au lieu de dispenser une doctrine robuste accordée à l'éternité:

"L'homme est créé pour louer, honorer et servit Dieu son Seigneur, et par ce moyen sauver son âme..."

on débite des fadaises sociales, alignées sur la politique dictée par des idéologues, désignant des régimes à abattre; aimer le prochain signifie lutter contre les gouvernements non alignés sur les maîtres rouges, et voter pour le "meilleur socialisme". Les heures de catéchisme évoluent en séance de lavage de cerveau, où l'on ressasse des slogans. On ne voit pas d'élites chrétiennes opérer un sursaut devant cette asphyxie.

Moyens de communication sociale

Les moyens de communication sociale offrent parfois des spectacles de qualité: des retransmissions de concerts, de pièces de théâtre et certains documentaires. Pour le reste, les informations suent l'esprit de gauche, les films étalent érotisme et violence, et les reportages excitent les spectateurs sur des centièmes de seconde. Le sport, cette bonne chose pourtant, tourne au culte primaire des idoles musclées. "Modern" le cinéma-pilote de l'érotisme à Lausanne libère la femme; voyez les titres: "La bête à plaisir", "Luxure", "Ces petites polissonnes", etc.

Libération sexuelle

La "Libération sexuelle" détourne le potentiel d'amour dans le marécage des coucheries, alors que, convenablement canalisé par la raison et par la loi naturelle et divine, il produit de belles oeuvres. Constatons que la mixité généralisée multiplie les relations sexuelles, et par suite obscurcit le discernement intellectuel. L'érotisme carnalise, asservit l'esprit à la chair. Abêtir par polarisation sur le sexe, telle est la tactique de ceux qui veulent abolir les élites naturelles pour y substituer des élites occultes. L'amour jaillissant du coeur des hommes doit se diriger plutôt vers leur Créateur et sur les communautés qu'Il a voulues, pour les fertiliser, au lieu de les polluer.

Signe flagrant de décadence: l'éducation sexuelle à l'école; traiter discrètement de l'aspect anatomique dans les heures de sciences naturelles, à la rigueur. Mais déballer en collectivité des choses si intimes procède du viol des consciences, et les "éducateurs" commis à une telle activité présentent des signes d' exhibitionnisme. De plus, le développement affectif des jeunes s' opère à des âges très variables, et l'enseignement sexuel tombe toujours à faux: en retard pour les précoces, et prématurément pour les autres. Libérer pour salir. Pourquoi avancer de plus en plus l'âge des relations? La sexualité juvénile dérègle la croissance, agit à la manière d'un stupéfiant, aboutissant souvent à la drogue elle-même et produit de jeunes animaux tristes.

Problèmes universitaires

A l'Université, le niveau culturel ne semble pas proportionnel aux investissements, et les étudiants motivés ne constituent pas la majorité: le choix d'une Faculté ou d'une Ecole a lieu par élimination bien souvent. De plus, l'énergie des professeurs se disperse et se dégrade en interminables séances de conseils ou de commissions, où la lucidité philosophique est rare et la naïveté fréquente. En particulier, les commissions dites de réforme fonctionnent pratiquement comme organes subversifs, si bien intentionnés qu'en soient leurs membres; en effet, l'attention des universitaires se porte sur 1' inutile mobilité des structures, ce qui peut les empêcher de se livrer à un travail réellement créateur.

Certains réclament par exemple des organes de décision formés à raison de un quart, pour chaque "corps" professoral, intermédiaire, estudiantin, administratif. C'est se moquer du bon sens le plus élémentaire, car décider sans pouvoir assumer personnellement les conséquences de ses décisions est un non sens. Voter un plan d'étude sans subir soi-même les effets de ce plan, est-ce normal ? Ne prétextons pas quelque "conscience de classe": les idées des gens présents temporairement fluctuent, tandis que le professeur qui organise un enseignement pense à long terme et peut voir un effort scientifique de grande portée annihilé par le vote de jeunes gens qui passent seulement; la démocratie à l'Université affaiblit celle-ci. Par contre, que les décisions se préparent en consultant largement, attentivement et affectueusement les étudiants. Que les professeurs tiennent compte des demandes raisonnables, et donnent à l'étudiant un maximum de responsabilités formatrices, compatibles avec son état transitoire, sachant qu'il ne peut décider à moyen ou à long terme. Ayons le courage d'affirmer que l'élite d'un pays se prépare et que l'Université est un lieu où l'étudiant étudie, et par ailleurs, la culture s'élabore pour rayonner et se transmettre eh liaison étroite avec le passé. Diriger s'apprend dans les institutions spécialisées écoles de cadres, entreprises, organes politiques, etc.

Planification de la recherche

De plus, un malaise règne à l'université en Suisse du fait de l'accroissement des effectifs, des contraintes administratives inhérentes à cet accroissement, et des mesures centralisatrices qui résultent de ces facteurs: planification, coordination, harmonisation, prospective.... Planifier la recherche revient à soumettre celle-ci à la bureaucratie; or, réglementer le travail créateur, c'est le stériliser. Accorder un minimum vital aux chaires et instituts, quoi de plus normal; laisser végéter un professeur sans crédit ni locaux ni personnel représente une cruauté jadis fréquente. Mais le seuil existentiel étant franchi, que l'administration se tempère et fonctionne en intendance discrète.

Finalités et sociolâtrie

L'Université, comme la société souffre d'une crise de finalité; elle contribue à la prolifération de la production pour la production, dans un agnosticisme général. L'absence des affirmations robustes du réalisme modéré se fait fortement sentir. Par exemple, les sociolâtres, psychologues, pseudo-pédagogues, assistants sociaux, etc, toutes personnes utiles pour une part, se multiplient alors qu'elles ne représentent que les signes de la dévitalisation des personnes et des organismes naturels. Une famille équilibrée se passe parfaitement des béquilles "sociolâtriques" et la présence d'un psychologue dans un établissement peut y signifier des carences de personnalité. L'avant-projet de la loi fédérale sur les effets généraux du mariage prévoit de décapiter les familles par transfert de toutes responsabilités véritables au juge et par suite à ses émissaires "sociaux". Les milieux naturels ayant été systématiquement affaiblis, on veut y injecter une vie artificielle sans espérance, alors qu'un esprit sain dans un corps social sain se passe normalement de prothèse.

L'université n'a pas à laisser proliférer les effectifs sociolâtriques obligeant les organismes naturels à les absorber par la suite, pour leur plus grand dommage.

Le malaise brièvement décrit se dissipera-t-il de soi-même ? Ecoutons les propositions des collectivistes du "meilleur des mondes".

La solution socialiste

Ecole et société

Guérir la société par aggravation du mal, telle est l'idée des gens de gauche. La Révolution a échoué partout: allons-donc jusqu'au bout de la Révolution. La Révolution a amené de grands malheurs : faisons donc la Révolution jusqu'au bonheur universel. Or faire la Révolution, c'est transformer la Société; pour cela, transformons l'école, anticipation sûre du paradis, grâce à la malléabilité de la jeunesse. Faisons muter l'école, disent-ils, car la structure d'aujourd'hui reproduit celle de la répressivité capitaliste. En effet, les classes dirigeantes utilisent l'école pour perpétuer leur oppression: la sélection opérée vers dix ou douze ans assure aux familles privilégiées le succès de leurs enfants, parce qu'éduqués dans des milieux favorables a cette sélection. L'oligarchie des banquiers et des patrons super-riches se maintient grâce à l'école: à papa patron cultivé, fils de patron cultivé. L'école actuelle, paraît-il, prolonge les familles a privilèges. Bien plus, toute famille constitue comme telle un milieu conservateur et réactionnaire, qui entretient la domination du capital.

L'articulation

emême de l'école recrée les caractéristiques des familles, et les maîtres, dans ces groupes stables constitués par les classes, exercent une autorité paternaliste typique de la société à abattre. Bardé des connaissances témoins des classes dominantes, le maître arrive, donnant automatiquement aux favorisés des avantages décisifs, et les bons élèves, face aux moins bons reproduisent la domination exécrée. En somme, la classe d'école transmet l'assiette au beurre. Supprimons les classes donc, et faisons des individualités ayant éventuellement et momentanément les mêmes motivations, des liens superficiels. A bas les amitiés durables, forgées dans les classes stables régies par des maîtres formateurs donc conservateurs.

Usine égalitaire

L'école doit donc se transformer profondément et assurer à tous les enfants les mêmes chances ; elle doit refléter parfaitement la démocratie égalitaire, et par l'action d'un milieu homogénéisant, accueillir et transformer les enfants venus de milieux provisoirement hétérogènes. Il s'agit d'annuler les effets du terreau familial archaïque et de faire croître les jeunes pousses dans le champ égalitaire. Une seule famille: l'Humanité; l'école : l'Humanité-là. Le père et la mère travailleront tous deux, et les enfants se partageront entre la crèche, le jardin et l'école sans amour, mais où leur seront inculqués le sens égalitaire, les vertus «démocratiques». Les gens de gauche veulent par ailleurs séparer l'Eglise de l'Etat pour substituer à la Révélation du Fils de Dieu la Révélation de 1' Humanité motrice de l'Histoire - La Révolution, la Religion du Peuple-Dieu; ce catéchisme commencera ainsi dans les berceaux des crèches, avec les biberons numérotés. Pour le moment, chaque enfant a par nécessité un père et une mère et la loi ne considère pas normalement qu'ils sont mariés, car l'éducation doit être assurée par l'Etat. Il y a avantage même à dissoudre les familles pour faciliter l'action des bureaux. Quel technocrate socialiste ne rêverait-il pas d'enfants engendrés à coups de seringues dans des éprouvettes et élevés dans des couveuses-usines, réservant à l'acte charnel une fonction socialement hygiénique. Les individus ne constitueraient-ils pas alors cette masse docile d'insectes parfaits sous la loupe des sociolâtres, bétail à voter sous le carcan des statistiques et des sondages ? Pour l'instant le rescapés de la pilule, de la pompe ou du scalpel avorteurs croissent dans des familles squelettiques sous l'oeil d'observateurs attentifs. On s'apprête à dépersonnaliser les familles encore plus en supprimant juridiquement l'autorité du père, le couple étant libre de s'organiser sous l'arbitrage du juge, cela afin que la femme soit "libérée" comme si elle en avait besoin (souvenons-nous des 270'000 veuves face aux 65'000 veufs de 1970). Viriliser la femme afin de la déféminiser, tout en dévirilisant l'homme, tel est l'objectif.

Expériences et tendances scolaires socialistes

Les visées éducationnelles socialistes tiennent-elles? Les expériences faites en Suisse rendent des sons de cloches fêlées.

• A Münchenstein, le gymnase a tenté pour les trois années terminales une expérience de cours à niveau, typiques de la nouvelle pédagogie ; maîtres et élèves ont ressenti l'essai comme un échec, malgré quelques aspects positifs. Du coté des élèves, on a regretté la perte de la relative intimité des classes et par suite des têtes de classes, toujours stimulantes. L'échec fut rendu patent par un niveau nullement amélioré alors qu'on attendait des performances dans les cours "avancés".

• A Dulliken, dans le canton de Soleure, une expérience d'école globale portant sur les années de scolarité 6 à 10 a été récemment arrêtée à la demande des parents notamment, qui ont constaté l'incapacité de la dite école d'assurer une formation digne de ce nom, que ce soit en vue d'un apprentissage ou du gymnase, ou d'autres écoles.

• A Genève, patrie de Calvin, Rousseau, abri de Voltaire et de révolutionnaires nombreux, les expériences fleurissent. Le moins qu'on puisse dire, c'est que là encore, le niveau ne semble pas s'élever du tout; en mathématiques par exemple, les connaissances restent généralement vagues, en raison sans doute du mépris où l'on tient la notion de connaissance elle-même, faute de savoir ce qu'elle est véritablement. C'est la notion de savoir même qui est contestée; un Sarthes ne dit-il pas au Collège de France que "le langage est fasciste" vu que la phrase est un réseau de subordination entre sujet, prédicat, compléments. Les prépositions et conjonctions seraient probablement des gardes-chiourmes à chemises noires ou brunes, comme le relève Thomas Molnar. En conséquence, des travaux d'année de maturité se présentent sans texte suivi, les mots étant reliés par des flèches.

De plus, l'ordonnance fédérale sur la reconnaissance des certificats de maturité (ORM) fournit un cadre qui, dans la diversité des conditions assure aux baccalauréats cantonaux une qualité certaine, freinant pour le moins la baisse de niveau. Elle exige un canon de 11 branches, et pour chacune d'elles des connaissances fondamental, Voila qui gêne les réformateurs; ils écrivent que l'ORM est un carcan à faire sauter. Ils enfoncent des coins et tapent progressivement, afin de lézarder l'édifice. L'histoire et la géographie fusionnent sous le nom de sciences humaines, et la sociologie marxisante se glisse dans la place, par réduction aux conditions économiques. Par petits pas, on établit un système optionnel qui fait sauter la classe; on a proposé ensuite de supprimer certaines des 11 branches toujours sous couleur optionnelle. L'idéal serait les études à la carte, chacun ne s'inscrivant que pour ce qui plaît. Le milieu scolaire socialisant permettrait à chaque élève de s'épanouir ainsi sans entraves, l'école se laissant comparer à un supermarché où chacun se promène librement et gratuitement, remplissant son chariot à son gré. Observons cependant que cette liberté est factice, car dans la grande surface scolaire, les articles portent tous la même estampille idéologique. La religion par exemple, n'y a aucune place: le sel manque. La culture est celle des kiosques; sensations, slogans, érotisme, parmi quelques textes en tape à l'oeil. Jamais par ailleurs les réformateurs scolaires ne se reposeront, car la Révolution, c'est le mouvement "pur": la révolution culturelle se fait en permanence, on vit dans le futur. Au lieu de chercher à enseigner patiemment, humblement à lire, écrire, compter, à s'exprimer correctement oralement et par écrit, pour pénétrer respectueusement l'être des personnes et des choses, on préfère liquider tout cela au profit de méthodes sans objet, de discours peu structurés et superficiels. L'ouverture exclusive au futur ferme la voie vers l'être.

Réactions diverses

Les milieux helvétiques acceptent-ils ce système de mutation "constante"? Le texte témoin des réformateurs reste le "rapport ESD" (Enseignement secondaire de demain) qui s'inspire de la volonté de rupture sans faire apparaître explicitement son principe. La pièce maîtresse du rapport: la classe hétérogène, ne rencontre nullement l'approbation des milieux officiellement consultes (75 réponses négatives contre 14 positives). même un vote populaire massif contre leur réforme ne détourneraient pas les auteurs de leur intention; ils sont persévérants: l'oeil rivé à leur chimère, ils foncent; certains savent même que leur marche est une course à l'enfer, leur école une maison de damnés: ils ont affirmé cela dans un bal aussi mondain qu'universitaire. Leur dire que l'école globale produit un nivellement par le bas, qu'elle engendre de grands ensembles déshumanisants, qu'elle agit contre le développement de la personne, que les cours à niveau aggravent le caractère sélectif, que la tâche des maîtres se complique en se détournant de la chose enseignée, rien ne peut les arrêter. Le coin idéal à enfoncer dans l'ORM serait le fameux article expérimental: autoriser la Commission fédérale de maturité de superviser des réformes qui s'écarteraient franchement de l'Ordonnance; par l'ORM, détruire l'ORM. Mieux vaudrait un effort synthétique tendant à intégrer ce qui peut l'être. En attendant, le maintien de l'Ordonnance assure seule la validité universelle des certificats de maturité. Toute expérience "hors ORM", hors du canon des 11 bronches et des 5 types remettrait en question cette validité, et pourrait autoriser les Universités à exiger des tests ou des examens d'entrée.

Actuellement, celles-ci sont forcées d'accepter le tout-venant des gymnases même en perte de vitesse; en Suisse romande pour le moins, elles restent sans influence véritable sur la formation des bacheliers, sur les options des maîtres. Les programmes secondaires s'inspirent d'idéologies ou d'attitudes scientifiques fréquemment incompatibles avec les nécessités universitaires. Le pédagogue coupé des choses à enseigner discourt sur la façon d'enseigner, et met sous sa coupe jusqu'aux organes politiques. De plus, l'action massifiante n'oublie pas le facteur géographique: l'école-usine n'est rentable que si les enfants sont concentrés dans des complexes négateurs des communautés naturelles: les ramasser le matin par bus ou par train, les plonger toute la journée dans l'étuve scolaire, puis les ramener à leur "dortoir" en fin de journée. Dans une vallée, les enfants dès 6 ans se voient séparés pour la journée de leurs parents. La nature enfantine violentée réagit à sa manière: dans telle école modèle les jeunes "libérés" n'ont rien du bon sauvage de Jean-Jacques; à la cafeteria ils prennent ou cassent les services, en occasionnant des frais annuels chiffrés en milliers de francs.

Egalités des chances

Démontons maintenant la mécanique de l'Egalité des chances. Il faut, disent les socialisants, que les enfants aient tous les mêmes chances. Cela signifie ceci: l'école-usine possède le monopole de l'éducation, les apports extérieurs - ceux de la famille - devant être supprimés ou totalement égalisés. Mais vouloir que tout enfant puisse s'épanouir comme un Mozart, et cela dans école-usine frise l'absurdité, l'atteint même carrément, car Mozart est la fleur unique d'une famille unique. La dynastie des Bach musiciens ou des Bernoulli mathématiciens suppose une ambiance familiale inimitable. L'école voudrait par une action massifiante produire des génies par essence prodigieusement différents ? Les mêmes chances, voilà qui produit les mêmes hommes, les mêmes robots sociaux, les mêmes individus castrés mentalement qui ne peuvent penser et agir que dans des groupes manipulés.

Autant alors attribuer à chaque enfant un numéro et tirer au sort chaque année les appelés à telles études ; la notion même d'égalité des chances fait penser à l'égalité des billets face au tirage d'une loterie. Le pays ne peut vivre que par des élites aussi différenciées que possible: les chances de même ne seront pas égales, affirmons-le. Par contre, elles seront aussi diversifiées que possible : que celui qui a les aptitudes requises à telle formation puisse la recevoir s il a la volonté correspondante; que celui qui tardivement ressent telle inclination puisse s'éprouver. Forcer des plantes toutes différentes à pousser dans le même terrain, voilà qui ne convient guère. Par ailleurs, dans la patrie du socialisme, l'appareil policier de l'Etat- le KGB- représente une structure élitaire sévèrement construite, la pureté doctrinale des familles étant rigoureusement contrôlée lors des promotions; les femmes ne sont tolérées qu'au rang obscur de secrétaires. Jamais une société n'a pu se passer d'élites

Non directivité

On peut observer que l'action socialisante marque de grandes préférences pour l'action non directive, aux aspects très variés et que le moteur de la massification, c'est le groupe informel, microcosme de la société faite apparemment d'égaux, mais où règne la hiérarchie strictement articulée des animateurs visibles ou invisibles. La suppression des élites naturelles et apparentes produit une contre-élite occulte et sévère qui prolifère grâce à la coagulation des esprits séparés de leur milieu naturel, de leurs groupement organiques; la dynamique de groupe, tel est le signe par excellence de 1' opération. Se réunir sans chef, sans thème, avec un meneur de jeu qui se veut aussi discret que possible, laisser libre cours aux propos les plus saugrenus, les plus décousus, savamment conduits néanmoins vers toujours plus d'incohérence. Réaliser là la société d'égaux, en petit groupe, pour faire du pays et de l'humanité une telle société. La pédagogie institutionnelle vit de cette conception: du magma amorphe devrait jaillir le bonheur.

Culte de l'homme

C'est ici qu'on saisit le mal profond du socialisme, le culte de l'Homme. L'auto-adoration de l'humanité découplée de la nature créée, les relations interpersonnelles non médiatisées par les choses porteuses de Dieu, par la vérité latente ou révélée. Les hommes n'ont plus de finalité en dehors d'eux-mêmes. Les réformes scolaires visent uniquement le style des relations entre les personnes; jamais les connaissances sûres en tant que liées à des choses créées ne font la matière des discussions. C'est toujours l'optique marxiste: transformer la nature humaine sans la connaître, sans connaître la vérité des choses qui lui sont soumises. Construire ensemble une société juste et fraternelle sans se référer initialement aux dons du Créateur comme tels aboutit on le sait à la terrible fraternité des camps, à la justice des mouchards omniprésents.

Les réformes des entreprises centrées sur la participation aboutissent au même défaut. Le style des relations humaines est seul en cause. Tous patrons, sans qu'il soit question de compétence, de capacités attachée à la connaissance des choses, d'enracinement responsable. Par ailleurs, le capitalisme qui réduit la propriété à ses signes monétaires se lie profondément au socialisme: les relations humaines se réduisent ici à l'échange des signes de papier, découplés des choses produites et échangées, ce qui aboutit au mépris des travailleurs producteurs de ces choses, et à une lutte permanente. Le capitalisme n'est que le socialisme de l'argent séparé des biens produits. De même qu'un billet de banque ou un titre quelconque a une capacité universelle d'achat, représente un pur pouvoir d'ac-quisition, quelle que puisse être la chose acquise, de même le socialisme considère l'homme comme un pur pouvoir d'action universel: quelconque. C'est là le sens profond de l'égalité tant recherchée "tous égaux parce que tous capables de tout", et l'"affreux" capitaliste qui jouit du pouvoir de ses actions ne diffère pas de l'ouvrier qui "cogère" en toute incompétence. Par ailleurs, la participation égalitaire n'est qu'un fruit de la possession égalitaire des actionnaires: le socialisme accomplit le capitalisme, chose connue. Le remède à ces maux réside dans les communautés finalisées, où les choses créées servent de tremplin vers la vie éternelle.

III Sur la nécessité des élites

La ramification de l'ordre

La société ne peut vivre sans un pluralisme d'élites articulées ; son fonctionnement requiert un ordre ramifié et même une multiplicité d'ordres harmonisés. Le saint, le sage, l'homme politique (député, conseiller, magistrat, juge), le producteur économique (patron, paysan, artisan, ouvrier), tels sont les principaux témoins de l'ordre spirituel, de l'ordre culturel, de l'ordre politique ou économique. Telle personne au plus bas niveau dans l'ordre politique ou économique se révèle au plus haut degré dans l'ordre de la sainteté, et sa présence illumine même les autres ordres: voyez St-Nicolas de Flue en 1481. Tel haut magistrat s'incline devant la qualité du travail de tel ouvrier ou artisan et ainsi de suite. La société est formée d' ordres superposés, imbriqués, ramifiés, et la réduire à l'arrangement linéaire politico-économique, à la hiérarchie de l'argent, aboutit à la dialectique oppresseur-oppressé et à la confusion des divers ordres dans l'économie matérialiste.

Les quatre causes

De même qu'il existe une nature humaine aux caractères permanents dont on voit bien par l'histoire le caractère multimillénaire, les sociétés manifestent des traits invariables et obéissent aux causes traditionnelles :

toute société a un but: c'est la cause finale. On propose un bonheur total ou partiel :louer, honorer et servir Dieu le Créateur, ou construire ensemble une société juste et frater-nelle, ou améliorer la race chevaline, etc. L'appartenance à une société présuppose l'adhésion des membres au but de celle-ci.

la société est formée de membres, dispose de locaux, de moyens divers: c'est la cause matérielle, l'aspect tangible, visible de la société; pour une nation, la cause matérielle en est partiellement le territoire, etc.

de plus, la société a une structure, des règles de fonction-nement: comité, bureau, assemblée, etc : c'est la cause formelle,

et finalement qu'est-ce qui anime la société, la pousse vers le but, la fait s'accroître, sinon un président vigoureux, un comité dynamique, un groupe dirigeant ou voir même un prophète, un roi..., vous avez reconnu la cause efficiente.

Lisez les statuts d'une association selon le Code civil suisse: vous y apercevez toujours la mention implicite des quatre causes. Ces constatations nous permettent maintenant d'esquisser une définition:

L'élite d'une société se compose des hommes qui, particulièrement conscients de la finalité de celle-ci, connaissant suffisamment les caractéristiques de ses membres, sa structure et ses moyens, contribuent à la propulser vers le but chacun selon sa vocation et ses possibilités.

Landsgemeinde

L'ancienne démocratie d'Uri, Schwytz, Unterwald, Glaris, Zoug et Appenzell fournit une illustration remarquable de société répondant aux quatre causes, dotée d'élites agissant en pleine lumière dans la "Landsgemeinde". Cette assemblée populaire, se tenait avec une solennité particulière, avec tout un apparat religieux: On commençait et on terminait par la prière, la cause finale latente dans le Pacte national unissant le destin terrestre de la patrie au destin éternel de ses membres. Les conceptions politiques se basaient sur la foi, et le pouvoir de l'assemblée se subordonnait au pouvoir de Dieu: qu'il s'agisse des lois, du droit de vie ou de mort, du droit de déclarer la guerre, de conclure la paix, de régler la politique extérieure. L'assemblée nommait les titulaires des fonctions et dignités les plus importantes, en gardienne de la cause formelle. Egaux devant Dieu, les membres de l'Assemblée devenaient égaux en droits et en devoirs, libres d'exprimer leur avis sur la marche de leur canton. Mais l'Assemblée déléguait la cause efficiente au Landamann, personne dotée d'une forte personnalité, placé à la tête de la république paysanne, élu chaque année. En fait, les réélections étaient fréquentes à tel point que les chefs les plus énergiques et capables furent continuellement confirmés dans leur charge, et qu'il se forma même de vraies familles de chefs, tant il est vrai que le sens de l'autorité se respire dans une famille où le père l'exerce avec art et plénitude. Cependant, l'accessibilité des plus humbles au plus hautes fonctions restait garantie. Par ailleurs, le landamann ou avoyer-chef était entouré d'un Conseil de 60 membres élus à vie par les corporations politiques ou religieuses du pays, chargé de remplacer l'Assemblée dans les affaires de moindre importance. Quel bel exemple de société élitaire, la participation de tous s'exerçant par des personnes choisies capables de déployer leurs qualités dans la stabilité.

Les élites et l'être

Essayons de pénétrer encore la nature de l'élite d'une société, d'une nation. Nous appartenons à cette élite si, selon nos aptitudes respectives, nous entrons profondément dans la nature et le but des choses, dans leur être. Connaissant d'une manière suffisamment profonde la nature de ces choses, j'agis selon les lois qu'elles portent; je m'accorde avec elles selon l'intention du Créateur et non selon les constructions de mon esprit isolé. Ainsi mon action pourra s'avérer bénéfique, parce qu'accordée à l'être. Fait partie de l'élite celui qui a l'habitus de l'être, celui qui par habitude agit selon la nature créée des choses et des personnes. L'être est infiniment riche et divers: multiples seront ainsi les façons d'appartenir à l'élite, et la capacité économique, la fortune liquide ne confèrent la qualité de membre de l'élite que si elles s'accompagnent d'un engagement suffisant de la personne dans le processus producteur finalisé vers le bien des consommateurs. Celui qui en ce sens fait partie d'une élite accroît la vie de ceux avec lesquels il est en contact; il acquiert la capacité de communiquer son habitus, et c'est cela l'autorité : le rayonnement d'une personne plongée dans l'être.

Autorité et pouvoir

Par ailleurs l'autorité s'extériorise en pouvoir, dont l'exercice consiste à décider en vue du bien commun. Engagé dans la nature du groupe ou de la société, je suis appelé à subir les conséquences des décisions que je prends ou auxquelles je contribue. Décider, c'est assumer les conséquences de la décision, personnellement et pour le prochain. Beaucoup ignorent ce que rappelle Bourdaloue dans son sermon sur l'ambition: les honneurs élitaires sont des charges, des servitudes, des engagements à servir; ce sont aussi des calices de souffrances, des sources d'amertume; de plus, ils ont en eux un caractère sacré et redoutable, en ce qu'ils participent à l'écoulement de l'autorité de Dieu, et ne constituent un profit pour personne. Pourquoi donc chez tant d'hommes cette soif du pouvoir et des honneurs, et cette envie surtout ? Selon la conception proposée ici, le membre de l'élite enraciné dans l'être exerce une autorité extériorisée en un pouvoir, doté de moyens adéquats: la propriété notamment, prise non dans le sens de la possession égoïste, mais dans celui de l'être qui rayonne, en vue d'une meilleure communication des biens. Tous membres de l'élite chacun selon son être; et donc : tous propriétaires diffuseurs...

D'où vient donc cette haine du caractère élitaire ou élitiste de la société, de l'école, sinon du rejet de l'être, de la haine de soi-même en fin de compte, de l'aveuglement portant sur le fait que tout homme peut appartenir à une élite, dans son état, s'il le veut ?

Vie trinitaire

Allons plus profond encore, en faisant appel à la vie trinitaire, combien préférable à la triade dialectique révolu-tionnaire: thèse, antithèse, synthèse. Regardons la vie interne de l'Etre lui même, Dieu, principe exprimé dans l'amour. Plonger dans l'être, c'est percevoir cette vie, s'en inspirer, et la faire passer dans sa vie concrète. Saint Augustin exprimait cela grâce au triple : mémoire, intelligence, volonté; plus près de nous, Soljenitsyne expliquait à la télévision les conditions de la création littéraire, nécessairement trinitaires' Mémoire génératrice : rassembler et trier une vaste collection de faits, de témoignages, de notes, de documents, de références... Intelligence :méditer continûment jusqu'à ce que cette masse s'ordonne, se structure, et que jaillisse l'étincelle d'un regard unique. Volonté: le jet qui réalise le texte, non pas du premier coup, mais dans son essentialité, puis dans sa perfection. Cette constatation est fondamentale pour la mise en oeuvre d' une éducation profondément accordée à la nature créée des hommes et des choses, et capable de susciter les élites diversifiées indispensables à la vie de notre communauté nationale.

La famille, vie trinitaire

La famille pour commencer ne peut être vraiment éducatrice ou si les rôles s'y diversifient conformément à la nature profonde de chaque membre. Le père, principe générateur de la famille, qui accomplit la demande en mariage, qui donne normalement son nom à la famille, est comme la mémoire de la continuité, la personnification du patrimoine, des traits principaux de sa lignée, mémoire sélective qui accueille ce qui convient, et rejette ce qui est étranger au corps mémorial. La mère, l'épouse, affirmation qui va surprendre, égale en dignité a l'époux est l'intelligence même de la famille; elle sait exprimer par exemple les pensées les plus secrètes de son mari, les pressent tout au moins et ne manque pas de les énoncer. Son charme manifeste celui du couple et dans un échange constant, mémoire et intelligence familiales se répondent en vue de la finalité commune. L'enfant, normalement procréé ou éventuellement adopté, constitue alors la volonté qui résulte de l'échange, l'amour personnifié des époux: le couple qui refuse l'enfant se détruit, par refus de vie trinitaire. Cette haute conception de la famille peut faire sourire, à notre époque particulièrement, et l'on me demandera s'il existe un exemple, celui de la Sainte Famille mise à part. Personne cependant refusera la nécessité de s'en inspirer dans l'éducation au mariage: savoir que le mystère de la famille est accordé par analogie au mystère trinitaire, non seulement dans l'abstrait, dans la théorie, mais dans chaque instant de la vie concrète. Le Sacrement de mariage est la marque de l'entrée en vie trinitaire, et s'en priver fait de l'union du couple une caricature dangereuse-

Action trinitaire

Chaque acte même porte le caractère trinitaire, en ce qu'il implique la triade: voir, juger, agir. Voir : réunir les faits, les informations~ les expériences de l'histoire, du passé récent ou non, les principes sûrs, la tradition, se rappeler les quatre causes: le but, les moyens, leur articulation, les responsables. Voilà qui exclut le subjectivisme, les opinions trompeuses. Voir consiste à entrer en réalité, alors que la table rase cartésienne ouvre la porte du néant. Nous touchons ici le sens profond de la prière: par elle, nous entrons en réalité, dans la Mémoire totale de Dieu le Père. "Notre Père"... et nous participons à Son regard. En passant, nous sentons ici la faiblesse du Dieu des monothéistes absolus, dépourvu de vie intérieure par refus du Fils. Juger consiste à exercer sa réflexion dans le champ délimité, à exprimer l'essence de la situation, à dire ce qui ressort de soi-même de la masse génératrice. L'1ntelligence s'accorde avec le réel, signifie cet accord, exprime si possible la totalité des virtualités. Agir. du couplage de la réalité et de l'intelligence jaillit l'action présente, qui accomplit le donné dans un geste renouvelé et fécond. Tel est le fondement de l'action libre.

Mesdames et Messieurs, participants de ce Congrès: les conférences, les stands, le forum, la librairie, autant d'éléments soumis à votre mémoire. Et pendant toute la journée et je l'espère, pendant les semaines et les mois qui vont suivre, vous allez réfléchir, assimiler, juger, méditer. Puis vous agirez, grâce à une volonté fondée sur des éléments sûrs, soumis aux rayons X de vos intelligences. Peut-être êtes-vous suffisamment familiers de la vie trinitaire ainsi présentée, mais, compte tenu des circonstances, vous ne sauriez la porter à un potentiel assez élevé, sans la participation à la vie d'un cercle. En effet, nos cercles, cellules, ou foyers civiques sont par essence les lieux où l'on s'exerce à la vie trinitaire en société, les microcosmes de la chrétienté postrévolutionnaire Cette journée ne vaut rien si elle n'engendre pas de nouveaux cercles. Essayez, et vous serez saisis par l'efficacité de ce moyen pacifique, pacifiant et fort.

Education et vie trinitaire

L'éducation elle-même évidemment participe alors a la vie trinitaire, et tout particulièrement l'éducation scolaire. Apprendre voir, à juger et à agir; exercer la mémoire, l'intelligence et la volonté. Présenter à l'enfant des faits, des choses sûres, des objets certains; l'exercer à ce discernement; lui apprendre a s'accrocher à la réalité, à tirer des informations; assouplir sa mémoire et l'enrichir quand i1 est temps, accorder cette mémoire au passé lointain ou récent pour constituer la dimension temporelle de son être, mais sans s'appuyer sur des hypothèses fallacieuses et incontrôlables telles que l'évolution,. lui apprendre à réfléchir sur la base de ces données sûres, à exprimer le contenu des situations, à maîtriser dans ce sens une ou plusieurs langues, d'autres modes d'expression (dessin...). Lui apprendre à agir en l'exerçant à des actions prudentes, à produire par exemple des choses belles et travaillées selon son stade de développement: exercer une créativité qui corresponde à la réalité, sans lui donner l'illusion d'une soi-disant aptitude à trancher de tout. Lui donner pour la vie l'habitude de voir grâce à une mémoire constamment enrichie et assurée, de juger par une réflexion capable de s'exprimer en serrant de près la réalité créée, et d'agir avec fermeté et caractère dans le sens de la finalité de cette réalité.

Educateurs élitaires

Les éducateurs, à quelque poste qu'ils se trouvent font partie de l'élite, s'ils prennent conscience du caractère trinitaire de 1' acte éducatif. Le maître, celui qui enseigne, exerce la fonction mémoriale génératrice: il sait et peut; il présente ou représente la réalité, les faits; i1 apprend à voir, à enrichir la mémoire, à l'assouplir; à la rendre sélective, à ne pas absorber passivement le bouillonnement du devenir. Il apprend à ses élèves à s'élever à son niveau et si possible à le dépasser par la réflexion et l'expression de cette réflexion, de manière que sur tel point, l'élève devienne véritablement l'égal du maître. La volonté commune au maître et à l'élève s'incarne alors dans l'objet étudié, dans le théorème, dans le fait mystique, biologique, chimique...et l'élève acquiert ici la capacité d'agir sur du réel en toute lucidité. Hausser l'élève au mode de vie trinitaire, tel est le programme éducatif, producteur d'élites. La classe stable, telle est la répondante du maître consistant; l'acte éducatif exige des amitiés stables qui ne se nouent que par des relations permanentes entre élèves et maîtres; transformer l'homme en un générateur trinitaire accordé à la nature créée, et voilà rendue possible la transformation de la nature, non pas dans l'orgueil marxiste, mais dans l'humilité de celui qui ayant tout reçu, vit de la vie même du Donateur, en pleine liberté amoureuse.

L'être et l'éducation

Dans l'éducation, l'accès à l'être se diversifie selon ses aspects indéfiniment variés. La pénétration peut se faire de multiples manières; or, aujourd'hui, l'appréhension intellectuelle porte essentiellement sur l'aspect quantitatif, et les méthodes des sciences exactes s'infiltrent partout, mutilant l'être. Les études supérieures portent la marque de cette suprématie. Auparavant, c'était le niveau linguistique qui caractérisait le degré de formation grammaire, rhétorique, logique et la mathématique elle-même n'était que discours linguistique particulier. Au Moyen-Age, grâce aux écoles ecclésiastiques, chacun pouvait accéder à cette culture supérieure: un simple berger s'élevant jusqu'au trône pontifical. Seulement, la formation linguistique ou formaliste n'est qu'un mode d'accès à la connaissance profonde, et le Christ considère cela comme une entrave à la plénitude de la vie. Ses paraboles s'adressent à tous, et l'homme le moins intellectualisé peut en saisir le sens profond. Là réside la parfaite "égalité des chances". S'il est nécessaire à l'Eglise de disposer de nombreux théologiens bien formés, il n'en reste pas moins que les réalités qu'ils scrutent peuvent être atteintes en toute sûreté par un analphabète qui prie suffisamment, et le théologien, malgré toute sa science, passera à coté de son objet, s'il ne prie pas.

Diversification des élites

De même, dans la vie d'un pays, de nombreuses personnes pourvues d'une formation linguistique ou scientifique suffisantes sont indispensables, et chaque personne, apte à l'acquisition de cette instruction doit pouvoir y parvenir; cependant, dans de nombreux secteurs, l'exercice de l'intelligence discursive n'est pas nécessaire et la réalité peut être atteinte plus sûrement par une saisie directe. Le passage par les études supérieures peut représenter un piège, et provoquer l'orgueil intellectuel. Il faut restaurer la noblesse des carrières non intellectualisées, en faisant valoir les richesses plus sûres qu'elles recèlent. "Hors de l'Université, pas de salut", voilà un slogan à proscrire. Seulement, pour que les métiers procurent une plénitude humaine, il faut qu'ils permettent l'accès à l'être, et ne soient pas soumis à la déshumanisation souvent liée à la "civilisation" industrielle. Produire de la beauté, telle est la nécessite; ou: servir dans une humilité supérieure : - celui qui s'abaisse sera élevé -. Alphabétiser, d'accord, mais pas pour endoctriner, seulement pour mieux vivre de ce qu'offre la Création.

Diversification des écoles

Au stade scolaire par ailleurs, c'est l'éducation industrialisée, schématisée, soumise à un carcan administratif. Que l'Etat favorise l'élévation du niveau de la culture, rien de plus normal; mais que par des usines scolaires, il quantifie, planifie, voilà qui mutile les personnes. Un réseau extrêmement varié d'écoles de tous types éliminerait la dialectique primaire- secondaire, et si les familles, les organisations professionnelles prenaient cela en charge, aidées par l'Etat et non contraintes par lui, les antagonismes s'atténueraient. Former des élites professionnelles, tel peut être un aspect important de l'éducation. Les écoles des familles, soutenues par l'Etat, assurent le seuil d'alphabétisation et la base culturelle conforme au génie du pays. Les professions prennent le relais pour donner aux aptitudes leur actualisation optimale, tandis que l'Etat régularise les professions en respectant leur autonomie au maximum. Les aspects spéculatifs de la culture - philosophie notamment - seraient soutenus par les professions et par l'Etat, avec un mécénat aussi bien privé qu'étatique- L'Académie fondée par Platon, le Lycée d'Aristote, autant de fondations privées tout à la gloire intellectuelle de la Grèce. Dans la situation présente, on ne voit pas comment sélectionner plus tard qu'à douze ans les deux types primaire - secondaire résultant de la massification de l'éducation. Retarder jusqu'à seize ans cette sélection abaisse le niveau général, et décapite les élites; action sciemment subversive, quels que soient les cours à niveaux, cours d'appuis, etc.

Formation des élites culturelles

L'élite d'un pays dans l'ordre culturel comprend les penseurs de toutes espèces, artistes, philosophes, écrivains, savants; ce sont des cultivateurs dans le champ de la raison, et leur rôle n'est pas d'ouvrir la porte aux tendances obscures et malfaisantes, mais de produire de la beauté, de peindre les hommes en vérité, d'associer leurs misères à la souffrance rédemptrice, de révéler à leur manière la splendeur de l'être. S'ils ne sont que les serviteurs de l'idéologie dominante, ils se parjurent. Ils ont les moyens intellectuels de pénétrer profondément le mystère de l'Etre et des êtres; que leur art en soit une communication et non pas une mutilation systématique. Par un processus connu, le libéralisme culturel produit l'anarchie, puis le totalitarisme culturel, l'expression plastique, musicale ou linguistique des slogans imposés par le pouvoir. La culture se règle sur la réalité, sinon l'intelligence n'atteint qu'elle-même et se dégrade.La formation des élites culturelles, amorcée a l'école, se poursuit par l'action personnelle de gens de talent, ou dans des sociétés où l'on met en commun des perspectives semblables, fonctionnant à la manière des cercles par exemple.

Formation des élites politiques

Particulièrement délicate, cette formation s'opère actuellement de diverses manières: au sein des partis, des syndicats, des associations patronales, dans l'armée, etc. Elle est inspirée par des comités, des loges, des livres etc. Les révolutionnaires deviennent tels par le travail révolutionnaire précisément, et le moteur de la formation c'est très souvent la soif du pouvoir camouflée en joie de servir le peuple. Or, croire au Peuple est plus ardu que croire en Dieu, car le sacerdoce populaire est bien moins transparent que le sacerdoce sacré.

Former des élites politiques au sens du droit naturel et chrétien, voilà qui est urgent. Une seule solution, historiquement éprouvée de nombreuses fois: le cercle, réunion fréquente et régulière d'amis qui se soumettent à la vérité exprimée d'une manière sûre, par ceux dont le ministère-leur fait connaître profondément la nature humaine créée.. Envoyer dans les arènes politiques des personnes peu formées revient à envoyer des agneaux chez les bêtes féroces. Ce combat nécessite une préparation poussée, dans des cercles assidûment suivis pendant quelques années, où l'on pénètre en profondeur la nature perverse de la Révolution, ses ruses, le miel avec lequel elle enduit la gueule de l'ours débonnaire, son histoire, ses formes multiples, ses progrès, ses buts, ses relations avec le capitalisme, etc. Dans ces cercles s'étudie le droit naturel et chrétien, ses fondements scripturaires, patriotiques, ecclésiaux, philosophiques ; la pensée des auteurs contre-révolutionnaires fait l'objet d'une assimilation particulière. Sachant qu'une Europe socialiste ne serait qu'une courte phase "kerenskienne", les hommes politiques formés dans de tels cercles agiraient avec cette vigueur de l'atome de bien qui disperse des myriades de phénomènes malins. Les initiatives révolutionnaires leur deviendraient transparentes; rendus sagaces, ces hommes renverraient promptement les textes douteux à leurs auteurs, et préviendraient les manoeuvres destructrices Ils pourraient promouvoir le bien des familles, des écoles accordées aux familles, de l'économie des communes et des cantons, dans le sens même de la Suisse née chrétienne, rendue à ses origines après le passage des vagues révolutionnaires.

Formation des élites économiques

Les menées de la gauche dans le secteur économique posent des problèmes difficiles aux chefs d'entreprises; le patronat en Suisse s'est remarquablement organisé pour prévenir les attaques, mais il me semble qu'il n'a pas toujours une connaissance suffisante de la nature profonde du mal. Les occasions de formation très nombreuses restent pourtant à la surface des choses. Dans quelle mesure le style même des entreprises ne mène-t-il pas au collectivisme, par une logique inhérente au fonctionnement de l'entreprise en régime capitaliste ? Est-il possible d'échapper au mécanisme grégarisant par une transformation graduelle de l'esprit des entreprises ? Le patronat suisse connaît-il le cheminement qui permet d'éviter les manoeuvres préparées avec minutie par certains sociolâtres ? Se prétendre démocrate, et éviter la démocratisation de l'entreprise... L'économie politique, science remarquable et que nul membre de l'élite ne saurait ignorer, montre bien les lois fondamentales qui régissent la production et l'échange des biens, mais souffre actuellement d'un manque de finalité. L'échange passe avant la production, et la finalité de celle-ci n'est guère perçue. On produit plus pour s'enrichir que pour servir et les besoins véritables restent voilés. Le marché regorge de produits créés en vue de besoins artificiels, suscités comme tels. L'économie, pouvoir sur les choses des personnes ou associations privées, fondement du pouvoir politique, devrait rester au service de la culture et de la spiritualité, comme au Moyen-Age, où le travail de tout un peuple débouchait sur les cathédrales, sur l'art au service de Dieu. Nostalgique ? Non, mais que l'on me montre aujourd'hui des témoins de civilisation comparables. La science économique oscille entre Riccardo et Marx. D'un côté le capitalisme britannique, l'intérêt direct pour l'argent, 1' économie politique s'intéressant aux échanges plus qu'à l'usage, la réduction de la valeur des produits au travail humain, la perte du sens véritable de la propriété, par l'enrichissement exclusif et croissant des propriétaires.

De son côté, Marx réduit de plus le travail au temps (temps moyen de travail socialement nécessaire), mais débouche par là dans le messianisme révolutionnaire avec l'abolition de la propriété privée, par l'appropriation collective des moyens de production. On se rapportera aux exposés d'économie politique, aux cours universitaires. Un facteur absent, c'est l'enseignement de la doctrine sociale chrétienne en matière économique.

Trop souvent, on le réduit à ce qui concerne la famille, ou l'école; on cite éventuellement Rerum Novarum, mais la thèse générale est que cette doctrine a échoué, et qu'il faut se tourner vers un socialisme respectueux des valeurs spirituelles (à supposer qu'il existe). Le Pape Jean XXIII promulgue en 1961 l'encyclique Mater et Magistra qui entre autres rend obligatoire l'étude de la doctrine sociale de l'Eglise, du catéchisme au grand séminaire, mais en vain. Le moyen pourtant d'ignorer les injonctions qui résultent de la personne humaine créée, sujet de droit, le principe de subsidiarité, et le principe du caractère organique de la vie sociale. Les échanges laissés au jeu des lois économiques, c'est la jungle; il ne faut certes pas ignorer ces lois, mais défricher pour civiliser. Les finalités du capitalisme sont celles du communisme, la dépersonnalisation de la propriété entraînant la collectivisation de celle-ci. L'esprit d'entreprise, signe de vitalité certes, mais parfois singulièrement sauvage, féroce même, ce barbare devrait savoir se mettre à genoux, et faire de son domaine non pas le temple de l'argent, du veau d'or des sacrifices humains, mais un lieu où les biens économiques, totalement amoraux, retrouvent leur sens du vrai bien, de tremplin pour une vie active ordonnée aux valeurs supérieures.

"Les choses qui sont sur la terre sont créées pour l'homme, pour l'aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant".

Les élites économiques, comme toutes les autres, se formeront aussi dans des cercles, où les impératifs techniques s'effaceront ou se verront rectifiés par les impératifs moraux; la multiplicité des antagonismes pacifiée par l'organicité des corps, l'entreprise cessera d'être le lieu privilégié des luttes politiques parce que fondée souvent sur le profit déshumanisant, et deviendrait une communauté de propriétaires, enracinée dans les besoins véritables d' une région ou d'un pays, d'un continent.

Formation des élites spirituelles

Le domaine spirituel comprend les réalités qui échappent au pouvoir de l'homme. De tous temps les religions ont tenté de s'accorder avec les mystères, et il a fallu la Révélation pour avoir les certitudes, et irradier les domaines culturel, politique et économique. On demande donc aux élites spirituelles d'entraîner les hommes vers le Dieu Révélé, de susciter la foi qui érige les cathédrales, l'espérance de la vie éternelle, et la charité, amour de Dieu dont le signe est l'amour du prochain, même ennemi. Que se lèvent sur elles la lumière de la face divine, de manière que l'ordre culturel ainsi éclairé produise des oeuvres artistiques, architecturales, littéraires, scientifiques, porteuses d'éternité. Pas de société juste et fraternelle sans élites plongées dans la source de la charité, dans la charité même, au lieu de macérer dans le jus sociolâtrique. Pas de société d'abondance matérielle reçue sans effort, car l'attachement aux biens matériels produit le culte de l'argent, et la misère spirituelle porteuse de misère matérielle. Les témoins du spirituel rappelleront que l'ordre économique n'existe qu'en raison de sa finalité transcendante. Et surtout les chefs spirituels témoigneront ardemment de la vie trinitaire scrutée dans sa réalité et vécue intimement à la manière de St-Augustin, de St-Thomas par exemple. Les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption transforment les personnes, et aussi la société civile; à bien plus forte raison le mystère de la Trinité lui aussi a ses effets- Nous attendons donc des spirituels qu'ils montrent comment ces mystères peuvent effectivement être vécus tant au plan de la personne que de la société. Tout bien considéré, seul l'exemple de personnes plongées dans l'Etre, ou dans quelque noyau spirituel, agit sur les sociétés. On demande donc aux hommes de religion d'enthousiasmer pour le Christ afin que les êtres humains ainsi métamorphosés transforment la société; personne ne leur demande de jouer au sociolâtre, de se dissoudre dans la foule autonome, de se régler sur l'Emile de Jean-Jacques, et de se préoccuper d'éducation sexuelle. Qu'ils nous mettent sur l'escalier élévateur vers Dieu.

IV Agir en Suisse

Volonté d'agir

Des faits nombreux et précis étoffent notre mémoire; notre intelligence a tenté de pénétrer les thèmes socialisants et de synthétiser les éléments du droit naturel et chrétien. L'heure de la volonté se profile; foin des excommunications mutuelles, des querelles de femmelettes: rassemblons nos forces pour tendre vers notre but: la vivification des organismes naturels et par là des domaines culturel, politique, économique. Pourquoi toujours subir, gémir, se défendre, alors que notre vocation civique demande des initiatives énergiques ? Attaquons; nos armes : la vérité dans la charité, des esprits fermes dans des coeurs fermes et doux, mortifiés s'il le faut. Aurions-nous capitulé intérieurement; la marche au socialisme serait-elle inéluctable? Voyez Soljénitsyne décrivant dans "Le chêne et le veau" le combat d'un homme pratiquement seul contre tout l'Appareil. La résistance paie, si elle se fonde sur des principes clairs et fermes: décidons ici de résister et de vaincre, en prenant une attitude de combattant, celle d'un Wurmbrand, d'un Werenfried, d'un Gemayel. Voulons-nous combattre la maladie par la santé, ou bien nous laisser étrangler doucement, disant à chaque étape: "tout va bien, je respire encore, et complètement étranglé, je soufflerai encore...". Ce Congrès, ces conférences, ces stands ne peuvent avoir de sens que s'ils débouchent sur une action immédiate et durable.

Articles constitutionnels sur l'éducation

Notre Constitution fédérale vaut ce qu'elle vaut; née dans un siècle révolutionnaire, elle porte cependant beaucoup d'éléments spécifiques du génie propre de la Suisse et de son origine chrétienne, directement ou indirectement. Or, article après article, initiative après initiative, les ferments "égalitaires" la sapent, et si le peuple et les cantons d'instinct, en repoussent beaucoup, ils finissent néanmoins par avaler le mal. Contre-attaquons dans les formes légales.

Les articles constitutionnels sur l'éducation proposés en mars 1973 et rejetés par les cantons vont réapparaître sous une forme différente, tout aussi massifiante. Pourquoi ne pas saisir le taureau par les cornes et proposer aux milieux compétents le lancement d'une initiative par exemple; quelles idées faire passer, et comment ?

Politique éducationnelle en famille

Toute la politique éducationnelle doit être repensée en fonction des familles solides dont le pays a besoin, où les rôles du père, de la mère et des enfants soient distincts et conformes aux natures diverses. L'avant-projet de loi sur les effets généraux du mariage doit donc être vigoureusement combattu: faisons le siège des conseillers à ce propos. Une famille robuste ensuite prend en charge elle-même son destin, dans toute la mesure compatible avec sa situation dans les organismes plus vastes; en particulier, si difficile que soit l'environnement, elle se considère comme première responsable de l'éducation de ses enfants, avant l'âge scolaire, pendant la période scolaire aussi et même après. Cas échéant, elle contribue avec d'autres familles à l'ouverture et au fonctionnement d'écoles accordées aux vrais besoins des enfants. L'économie ne fonctionne que grâce au dynamisme des entreprises privées; de même, l'éducation scolaire n'est vivante que si un nombre suffisant d'écoles privées stimulent le niveau général des établissements d'éducation. Le fait pour une école d'être gérée par l'Etat ne lui confère nullement l'infaillibilité; les faiblesses éclatent au contraire aujourd'hui en beaucoup d'endroits. Ce qu'il faut reprendre à la base, ce sont les fondements conjoints de la famille et de l'école, en affirmant clairement le rôle éducateur des familles, et leur nécessaire influence sur l'école. Ce n'est pas parce qu'aujourd'hui les familles ont des airs misérables, et que l'Etat s'hypertrophie qu'il faut capituler.

Tout est prêt : la Déclaration donne les principes, l'Association "Familles éducatrices" va les mettre en action.l) Fondons tout de suite une association dans chaque quartier, ville ou village représenté ici. Que chaque jeune foyer prenne langue avec un autre; que chaque foyer plus âgé fasse de même :.grands-parents, quel apostolat pour vous... Et voici des suggestions pour des réunions hebdomadaires, pour les lectures familiales; le climat culturel des familles subit la dégradation des mass media: réagissons en proposant dès la petite enfance des ouvrages toniques. La liste proposée 1) n'a rien d'exhaustif; elle donne des idées pour la constitution d'une bibliothèque saine et éducatrice dans chaque famille, des suggestions pour les cadeaux, aux personnes de tous âges.

Conclusion

La marche au socialisme exige, selon ses sectateurs, une transformation profonde de l'école, produisant à coup sûr le naufrage des élites; cherchons au contraire à les former dans tous les milieux, par ressourcement dans la vie trinitaire, dans l'Etre, présente dans les actes les plus humbles. Ce travail s'enracine dans les familles devenues conscientes de la force de leur autonomie, dans le cadre des entités dont elles sont les cellules irremplaçables et vivificatrices.