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Autorite participation dans la famille

 

Sous l'avalanche des propagandes et la magie de certaines - expressions à la mode, il nous arrive de nous interroger sur nos comportements et sur nos options intellectuelles, politiques, sociales, voire philosophiques. Peut-être allons-nous jusqu'à remettre en cause les principes mêmes sur lesquels nous avons fondé notre vie ? Alors naît le "doute", cette arme redoutable si habilement manipulée par les révolutionnaires. Le "doute" sape nos convictions; paralyse notre action en nous rendant hésitants, craintifs ; en nous décourageant. Il nous conduit parfois à la passivité totale ; ou pire, à la trahison.

Les fondements doctrinaux de l'Autorité, et la justification de la participation, brillamment exposés dans la lère partie de ce Congrès ont rafraîchi nos connaissances et revigoré nos convictions. Mais la difficulté de l'application de ces principes généraux aux problèmes concrets de la vie quotidienne, reste entière.

C'est le but des réunions de ce début d'après-midi en abordant des cas concrets, de montrer comment,dans la pratique, notre doctrine trouve son efficacité.

Dans la famille, comme ailleurs, le dépositaire de l'autorité, le chef, est une personne qui conduit d'autres personnes groupées autour d'elle, vers un but commun. Il va de soi que "sans but commun" (le bien commun du groupe), le groupe se dissout et, en conséquence, l'autorité n'a plus à s'exercer.

Par référence à l'étymologie, le "chef" est la ''tête" d'un corps - tête et corps sont inséparables non seulement dans l'action mais dans la vie même, - on découvre dans cette comparaison la participation inévitable de tous les organes à l'élaboration des décisions de la tête, et naturellement, à leur mise en oeuvre.

La participation apparaît donc comme l'action qui influence, directement ou indirectement, les décisions du chef qui déterminent le destin du groupe . Elle ne peut s'exercer que dans les limites de la compétence de chacun et au service du bien commun du groupe. Dans le cas contraire, il ne s'agit plus d'une action de participation, mais d'une action de subversion.

Ces bases étant précisées, nous allons consacrer cette rencontre à la Famille en tant que groupe où peuvent s'exercer l'Autorité et la Participation.

Quels sont les caractères spécifiques de la Famille observée sous cet angle ? telle sera notre première partie.

Après quoi nous examinerons rapidement deux cas vécus dans lesquels l'Autorité et la Participation ont joué un rôle normal, c'est-à-dire décisif.

Précisons d'abord la finalité de la Famille. Ce groupe, selon l'ordre naturel, confirmé par la pratique de toutes les sociétés historiquement connues, a pour but de "former des hommes". Cette seule expression contient une oeuvre immense et exaltante. Formations physique intellectuelle, caractérielle, morale, professionnelle, sociale, religieuse. tout est dans la mission de la famille. La réalisation de cette mission , ou "bien commun de la Famille" nécessite la grâce de Dieu, beaucoup d'Amour et une Force considérable. Dans la vie quotidienne, elle requiert une Autorité continue dont l'action doit conduire finalement à l'éducation de l'usage de la liberté par les enfants devenus hommes. Comment faire naître, puis développer des consciences droites, des jugements sains, des caractères forts, des intelligences exercées, sachant user correctement des libertés légitimes sans que les intéressés eux-mêmes participent à cette progression? Plus encore que par sa mission, par sa nature même, la Famille est vouée à la combinaison permanente de l'autorité et de la Participation.

C'est d'ailleurs facile, car la Famille est une société dans laquelle la confiance règne dès sa constitution. Plus que la confiance, l'Amour en est le fondement. Les époux se sont choisis pour construire ensemble cette société, c'est dire leur confiance réciproque. En outre personne au monde n'incarne la confiance mieux qu'un bébé ou un jeune enfant, dans ses sentiments vis à vis de ses parents. Cette confiance naturelle, doit évidemment être maintenue et développée à mesure que la famille s'agrandit et devient plus ancienne. Il faut savoir l'expliquer et la justifier aux enfants, en même temps qu'on la leur fait vivre. Puisque cette famille se place normalement dans une chaîne continue de familles, la connaissance de ce passé peut montrer, même si on doit déplorer des défaillances passagères, quelle confiance on peut accorder à cet immense ensemble dont nous sommes les continuateurs. En tous cas, le meilleur moyen pratique de conserver une confiance enracinée profondément dans le passé par la nature, reste encore de ne jamais la trahir quelles que soient les circonstances,

Rares sont les groupes humains dans lesquels d'aussi bonnes conditions sont réunies pour exercer l'Autorité et la Participation - mais il ne faut pas omettre de mentionner les difficultés.

Que ce soit dans une entreprise, sur un navire, ou dans une organisation quelconque, le chef, après avoir pris tous les conseils qu'il peut juger utiles, décide seul.La Famille est dans une situation différente; ordinairement, dans la vie courante, l'autorité est bicéphale. La nature donne autorité sur les enfants, même si c'est à des degrés différents, à leur père et à leur mère. Cette situation mérite quelques instants de réflexion.

Pour sa formation, l'enfant a non seulement besoin de cohérence, mais d'unité. Comment l'espérer avec une autorité "bicéphale ? Nous abordons ainsi la nécessité absolue de l'unité entre les parents Sur quoi doit porter cette unité ?

D'abord sur la définition précise du bien commun de la famille, sur les objectifs à atteindre. Il importe de ne rien laisser dans l'ombre ou dans le flou, il faut un accord sans faille entre les parents sur ce sujet; c'est l'un des points importants à traiter par les fiancés.

- Ce premier point implique nécessairement une unité profonde entre les époux au plan spirituel et religieux, puisque de cette irremplaçable base découle tout le reste.

- Il semble encore bien nécessaire d'y joindre une unité profonde au plan affectif. L'enfant ressent, inconsciemment peut-être, mais très profondément, l'Amour de ses parents l'un pour l'autre, leur unité. Les carences, les ruptures dans ce domaine entraînent souvent des conséquences très graves.

- Pour essentielles que soient ces données, elles ne constituent pas le tout de la vie courante. Il faut donc encore que les parents manifestent une réelle concordance dans leurs comportements courants, et une compréhension très large dans leurs tendances intellectuelles, leurs opinions diverses, et plus généralement dans les activités de l'esprit.

Mais alors, comment s'accommoder des différences caractérielles ? Force est bien de les admettre puisqu'elles existent naturellement. Non seulement il faut les admettre, mais l'expérience prouve combien elles sont souhaitables. Elles ne constituent pas des oppositions, mais d'heureuses diversités, des complémentarités, s'il y a réellement unité absolue sur les objectifs à atteindre et sur les principes fondamentaux. Les discussions sur les moyens les meilleurs pour réaliser une oeuvre ensemble sont souvent constructives : elles conduisent parfois à l'application simultanée de méthodes différentes, mais convergentes, élaborées et décidées ensemble, pour atteindre le résultat cherché sur lequel l'accord est total et absolu. C'est ainsi qu'on peut arriver, en fait, à une sorte de "partage des missions" qui ne nuit en rien à l'oeuvre commune. Ces discussions se raient au contraire stériles, voire destructrices si elles remettaient en question le but lui-même ou les principes fondamentaux.

Cette dualité de l'autorité n'est donc qu'apparente ; d'autant plus qu'en cas de nécessité absolue (si, par exemple, sur un point précis l'accord des parents ne pouvait se réaliser), la décision finale, l'Autorité, appartiennent au père. Ce n'est pas une question de valeur, mais une question de fonction, comme nous le rappelle J.M. VAISSIERE dans "l'Amour Humain" (1), en citant l'exemple de la Sainte Famille, dans laquelle le plus saint des trois était le plus soumis des trois.

Une autre difficulté doit encore retenir notre attention elle réside dans l'évolution continuelle du groupe familial, et de l'ambiance dans laquelle il vit. Comme il est naturel, tout le monde vieillit : grands parents, parents et enfants. Les générations se multiplient, c'est la partie visible de la grande chaîne que vous évoquions tout à l'heure. C'est dire que le dosage entre l'Autorité et la Participation est en perpétuelle adaptation. Tel jeune ménage que l'on voit admirer son premier bébé sera peut-être, quelque cinquante ans plus tard, le centre d'une imposante "tribu''. Tel enfant, troisième d'une famille de 6, accède au rôle d'aîné lorsque les deux premiers ont quitté le domicile familial pour fonder eux-mêmes un foyer : c'est parfois l'occasion pour cette personnalité de se développer, de s'affirmer, alors que dans la précédente situation elle demeurait terne et sans force. Cette souplesse nécessaire pour s'adapter aux situations successives, exclut toute sclérose, tout vieillissement de l'esprit ; aussi, n'est-ce pas la moindre des difficultés rencontrées dans la vie du groupe familial.

Si dans une entreprise l'exercice de l'Autorité et de la participation est parfois réglé par une loi, une convention ou quelque règlement intérieur, dans la famille cet exercice est aussi naturel que l'emploi de la prose par Monsieur Jourdain. C'est le fait permanent de la vie ordinaire. Mais certains moments particuliers de la vie familiale peuvent développer et approfondir cette collaboration entre tous les membres du groupe.

Les vacances au cours desquelles on peut plus facilement re grouper tout le monde autour du père de famille totalement libéré de ses obligations professionnelles. Cette période est favorable aux échanges pendant les voyages, les promenades, et surtout pendant les jeux. Il serait bien utile que les parents trouvent le temps de jouer avec leurs enfants, c'est un moyen de se bien connaître et de faciliter les progrès de l'éducation.

Les études peuvent aussi être un bon tremplin. Actuellement, les enfants ont de plus en plus fréquemment ce que l'on appelle des "difficultés scolaires". Les classes très nombreuses, les continuelles modifications des programmes et des méthodes pédagogiques, le désordre à l'école dû à l'absence d'autorité chez les maîtres et à l'insignifiance des efforts chez les élèves, la politisation de tout, les offensives de la pornographie et de la drogue, la distorsion voire l'opposition entre les idées inculquées à l'école (fut-elle religieuse ) et les principes de la famille : autant de faits qui conduisent les parents à assumer de plus en plus une large part de la charge des études. C'est incontestablement gênant et très occupant : mais il faut savoir utiliser cette"charge" nouvelle pour approfondir la confiance entre parents et enfants, pour accroître l'autorité des parents et pour développer la participation active des enfants à leur progrès personnels, ainsi qu'aux progrès de leurs frères et sœurs plus jeunes.

A ce propos, je tiens à rappeler une évidence : l'influence du père de famille et «a fortiori son autorité ne peuvent se développer ni même se maintenir s'il n'est pas activement présent. Dans certains pays les membres des professions libérales, les commerçants, les cadres notamment, sont si accaparés que, chez eux, ils ne peuvent plus que ... manger rapidement et . . . dormir. . . trop brièvement. Sans doute n'ont-ils pas lu l'étude de Jean Ousset dans laquelle on trouve l'énumération de tous nos"états (citoyen, membre d'une entreprise ou d'une profession, père, époux, etc... ) et par conséquent de tous nos "devoirs d'état".

De fait, les hommes accordent souvent à leur devoir professionnel une importance si largement plus grande qu'à leur devoir familial, qu'ils en arrivent à négliger totalement ce dernier. Les résultats sont parfois catastrophiques : le laisser-aller général prôné par le modernisme, la révolution", progressent en grande partie par la peur, la faiblesse, parfois la défaillance totale des meilleurs qui devraient être les môles les plus solides de la société chrétienne.

Enfin, je ne puis achever cet examen rapide des caractères spécifiques de la famille, sans relever quelques cas d'anomalies dans l'exercice de l'Autorité et de la Participation. J'en retiendrais trois l'excès, la lacune et la déviation.

Excès d'autorité : inutile de s'étendre car ce n'est pas le mal qui menace généralement nos familles;, mais les propagandes révolutionnaire et nihiliste utilisent, au mieux de leurs intérêts, cet abus qui se nomme l'autoritarisme" pour attaquer la légitime Autorité.

Excès de participation ; autrement dit : beaucoup d'avis, parfois incompétents, et jamais de décision suivie de réalisation continue. C'est alors l'inconstance, les changements perpétuels, puis l'anarchie. Nous rejoignons par là le manque d'Autorité si fréquent de nos jours. Nous nous sommes trop facilement laissés convaincre qu'en commandant on traumatise tout le monde . . . qu'il est inutile de "faire des sermons"... car nous ne sommes pas écoutés. Ainsi, nous trahissons notre mission. En fait, je suis en mesure de vous l'affirmer par expérience, lorsque, dans le cadre de nos légitimes compétences, nous osons commander, nous sommes obéis. . . Donc, il faut effacer de nos esprits, cette crainte sans fondement si répandue par les propagandes révolutionnaires.

Moins connue, mais non moins redoutable est la troisième anomalie, la déviation. L'Autorité s'exerce parfois avec force, mais au service d'une finalité étrangère au bien commun du groupe. Si elle ne sert que celui qui l'exerce, elle peut tourner à la tyrannie; si elle tend à servir certains intérêts, légitimes ou non en eux-mêmes, mais différents de ceux de la famille ; si, en un mot, elle néglige la véritable mission qui est de former des hommes : alors, il y a déviation de l'Autorité ce n'est plus de l'Autorité -. De même quand une participation se limite au service des intérêts d'un seul membre de la famille, sans se soucier des autres, ou se transforme (comme on le constate parfois) en véritable revendication étrangère au bien commun, il ne s'agit plus de participation, mais de subversion.

Dans tous les cas, la cohésion de la famille en souffre. Les résultats obtenus deviennent médiocres, parfois inversés par rapport aux intentions initiales.

Examinons maintenant deux cas vécus. Ils ne sont pas imaginaires, mais bien réels. Il ne s'agit que de cas individuels à partir desquels toute généralisation serait imprudente, car on ne trouve jamais (même à l'intérieur d'une famille) deux cas absolument identiques. Il ne faut donc voir dans ces exemples qui vont être décrits que de simples essais d'application de l'"Autorité et de la Participation" dans certaines familles, dans des circonstances données.

Notre premier cas est un petit garçon, 4e enfant après 3 filles., d'une famille chrétienne vivant au Maroc. Ce jeune André a eu par la suite d'autres frères et sœurs. Il était donc l'aîné des garçons ses parents, sa mère particulièrement, étaient très heureux de cette naissance. Robuste, un peu le "Centre du monde" dans sa famille (au moins jusqu'à la naissance du petit frère suivant), André était un petit bonhomme heureux de vivre, allergique à l'effort et obéissant assez mal. Ses débuts scolaires, un peu avant cinq ans furent si mauvais qu'il s'est enfui de l'école. Pourquoi ? il ne l'a jamais dit ! Peut-être parce qu'il considérait comme nocive cette institution qui le séparait de l'affection de sa mère ?.'

Évidemment, il n'apprenait rien : ses parents ne s'en inquiétèrent pas, car(selon une imbécillité à la rnode),"il était si jeune que cela n'avait pas d'importance". Quelques mois plus tard, il a eu la bonne idée de voler de l'argent dans le tiroir de la maîtresse, pour s'acheter un jouet. Sur ce point, les parents engagèrent immédiatement une lutte sans merci. La Directrice de l'école se montra très intelligemment coopérative. Sans rien comprendre, mais se sentant partout très fortement encadré pour lutter contre ce penchant au vol, André abandonna peu à peu cette pratique. D'ail leurs, son jeune instinct de possession et de puissance pouvait être en part satisfait par quelques petites sommes que son père lui faisait "gagner".

Toujours est-il qu'à 8 ans, André ne savait pas encore lire. Donc il n'apprenait jamais une leçon et se révélait incapable a fortiori d'écrire la moindre dictée. Il s'installait dans le personnage du cancre il ne manifestait aucune volonté, aucun intérêt continu pour quoi que ce soi mais au contraire une dispersion extravagante.

Avec une légitime méfiance vis-à-vis des psychologues, les parents firent subir quelques tests à cet enfant. Ils apprirent que son quotient intellectuel était largement supérieur à la moyenne. Ils apprirent en outre .... tout ce qu'ils savaient déjà : manque de volonté, dispersion exagérée, et mère trop admirative de cet enfant qui, physiquement se développait parfaitement.

Un médecin généraliste, fort savant et néanmoins plein de bon sens a examiné André et a conversé avec lui assez longuement; après quoi, il a conclu en disant à son père : "il vous faudra, pendant longtemps, de la volonté pour deux. Mais ne craignez pas de commander fermement, c'est votre seule chance de redresser une situation déjà bien compromise"

C'est ainsi qu'assez rapidement, André est passé sous une poigne très dure, qui ne négligeait aucun moyen, même pas de rudes châtiments corporels. La sévérité des instituteurs et des professeurs fut fortement encouragée et développée par les parents : à cette époque, on trouvait encore des enseignants qui croyaient à leur mission. En somme, devant l'impossibilité d'obtenir une participation si minime soit-elle.,de ce jeune garçon aux efforts nécessaires pour redresser sa situation caractérielle et scolaire, c'est une puissante autorité qui a assume toute la charge.

Lentement, très lentement, le caractère d'André se formait. Les premiers signes de sa volonté se manifestèrent vers 12 ou 13 ans. A partir de 14 ans, il commença à réussir en judo : ce succès l'encouragea un peu et contribua à la formation de sa personnalité. Sans brio, il réussit à franchir ses classes secondaires pour accéder enfin à celle du baccalauréat. Dix ans plus tôt, personne n'aurait osé espérer ce résultat, mais on sentait qu'André travaillait toujours sous la contrainte, sans aucun goût, et ses parents pouvaient légitimement s'inquiéter de l'usage qu'il ferait de sa liberté quelques années plus tard. Un psychologue moderne aurait dit : ce jeune homme est traumatisé par un père à personnalité trop forte ! Il faut l'en séparer pour le "décomplexer" !! Heureusement , la Providence, par les parents, en décida autrement.

C'est en effet là qu'intervint un véritable "tournant" dans cette jeune existence. André fut atteint d'un grave phlegmon à la gorge, qui, non seulement le fit durement souffrir, mais mit ses jours en danger pendant une bonne semaine. Il fallut interrompre ses travaux scolaires pendant 2 mois. Il supporta cette épreuve très chrétiennement, et elle fut pour lui, pour la première fois de sa vie, l'occasion de réflexions non seulement sérieuses mais profondes.

La situation changea totalement . Les professeurs furent très satisfaits du travail d'André qui termina très bien son année scolaire par un beau succès au baccalauréat. Les conversations avec ses parents se multiplièrent ; rapidement, il prit son destin en charge, et décida d'entrer à l'école des élèves -officiers.

Encore "marqué" par son passé de mauvais élève, il n'osait croire à son futur succès, et ses parents durent l'encourager souvent. Ce fut une belle période de collaboration entre André et ses parents l'Autorité réduisait rapidement son champ d'intervention pour laisser place à l'initiative, à la participation d'André. Le succès vint couronner ses efforts puisqu'il a été reçu dans de très bonnes conditions à son concours. Ce jeune homme , pu évaluer, pendant de longues années, la force considérable de ses parents, et maintenant il lui arrive très souvent de leur demander des conseils .... sans aucun complexe '

Ce cas est bien une preuve qu'il ne faut jamais désespérer. Pourvu qu'elle soit patiente, continue, liée sans défaillance à sa finalité, l'Autorité peut et doit s'exercer, même très durement. Assumant ainsi sa mission, elle arrive à déclencher la participation de celui qui l'a subie et elle engendre pour l'avenir, d'excellentes relations entre parents et enfants.

Tout différent est notre second cas. Il ne s'agit plus d'un enfant sur lequel s'applique une autorité puissante, morale et même physique, pour lui faire faire ce qu'il est encore incapable de vouloir. Il S'agit d'une jeune fille dont nous étudions le cas à partir de 18 ans.

De son passé, disons seulement que sa petite enfance fut troublée par une maladie très grave. Élevée dans une famille chrétienne, non seulement elle adhère pleinement au christianisme, mais on peut noter même une petite tendance au mysticisme.

Ayant obtenu son baccalauréat à Paris, cette jeune fille que nous appellerons Agnès, hésitait sur la voie à choisir pour continuer ses études. Il arrive assez souvent que les jeunes surestiment leurs capacités : ce n'était pas son cas. En revanche, il lui était bien difficile de savoir ce qu'elle voulait. Il ne fallut pas moins de deux semaines de conversations avec ses parents pour dégager ses trois tendances fondamentales

- désir de s'occuper de malades ou de déshérités.

- Intérêt pour l'éducation physique et le sport.

- Intérêt pour l'étude des sciences naturelles.

Après cette analyse, Agnès accepta volontiers la suggestion de sa mère : devenir masseur-kinesitérapeuthe. Ce fut un succès, les études réussirent dans le délai le plus court.

Après un court apprentissage pratique, Agnès avait pris l'ha bitude de soigner ses malades à leur domicile et de demeurer chez ses parents. Cette situation créait bien des perturbations pour le reste de la famille. C'est alors qu'une nouvelle intervention des parents fut nécessaire.

Souvent les grands enfants proclament leur volont'éd'ind5pendance vis-à-vis de leur famille ; mais au moment de l'assumer, ils se montrent plus circonspects. Ils mesurent, devant une réalité imminente, les obligations qu'elle stipule, et ils les redoutent. Il faut savoir les forcer à prendre leurs responsabilités. Il fallut donc de nombreuses conversations, une certaine insistance, l'autorité même de son père, pour convaincre Agnès d'aller exercer son activité dans un petit appartement proche de la "base familiale". Après quelque. temps de pratique, elle admit la sagesse de cette solution.

Mais une affaire plus importante encore se présenta : Agnès, après plusieurs retraites, et après avoir consulté des religieux sérieux, pensait avoir une vocation religieuse. Ses parents avaient déjà accepté deux vocations parmi leurs enfants, et ils étaient a priori favorables à un projet qu'ils considéraient comme un honneur. Mais un problème de ce genre se pose toujours en ces termes "l'intéressée a-t-elle réellement cette vocation ? ou bien se trompe-t"elle ?' Dans le premier cas ce serait une faute grave de s'y opposer, dans le second cas, ce serait une catastrophe de la laisser devenir une "mauvaise religieuse". Aucune expérience, aucune science humaine, fût-elle à prétention psychologique, ne peut répondre à coup sûr à une pareille question. C'est seulement par la prière, en demandant ses lumières à l'esprit Saint que l'on peut apercevoir la voie à suivre. Des parents agissant ainsi, dans le cadre de leur devoir d'État, réussissent dans la mesure même où ils se considèrent uniquement comme les instruments du Saint Esprit. Ce fut un bel exemple de participation de l'intéressée, à la recherche de la vérité, avec ses parents. Il y eut des moments délicats, des explications un peu longues avec les religieux qui étaient au courant du problème ; mais finalement, ce projet fut abandonné et 18 mois plus tard, Agnès se mariait. Il est trop tôt pour dire ce que sera ce mariage, mais il démarre sous le signe de la grâce de Dieu et dans des conditions réellement sympathiques et satisfaisantes.

Donc aux grandes étapes de sa vie, l'autorité est intervenu avec une force suffisante pour déterminer les convictions de l'intéressée, les rectifier dans certains cas. Agnès a toujours honnêtement cherché la vérité : ce fut un bel exemple de participation réussie.

Par ces deux exemples très différents : l'un tout en force" (au moins pendant de longues années qui constituent la plus grande partie du temps), l'autre tout en "souplessè' dans des circonstances souvent délicates, on constate :

- que la "participation" a besoin de l'Autorité pour naître et se développer,

- que l'Autorité gagne en efficacité lorsque la participation est vraiment active. SI il est vrai que la participation est une manifestation légitime de la vraie liberté, on retrouve, par l'expérience, ce qui nous est démontré dans notre plaquette (1) Il Le couple Liberté -Autorité" : il n'y a nullement opposition entre ces deux termes , mais complémentarité.

Avant d'ouvrir notre discussion, retenons quelques premières conclusions .

- D'abord, il faut bien admettre notre insuffisance devant l'immensité de la tâche. Nous devons assumer les devoirs les plus divers sans faiblesse, sans interruption et en fournissant un exemple aussi convaincant que possible. Et tout cela contre la fantastique poussée des propagandes délétères, qu'elles soient ouvertement révolutionnaires" ou insidieusement"progressistes"; avec l'impression d'être isolés pour lutter contre le "monde entier "(2). Si donc, nous nous sentons un peu submergés ce n'est hélas, pas une illusion.

- Mais cette énorme difficulté est peut-être une grâce (sûrement, rugirait Bernanos, qui a écrit que "Tout est grâce") car c'est un appel à un triple effort de notre part.

La pratique de la vertu de Force, comme nous y a invités le dernier Congrès de l'Office International) pour oser remplir notre devoir,pour oser, sans faiblesse, être pleinement .... ce que nous sommes.

- Un effort de formation et d'information. Nous avons travaillé pour apprendre un métier, pour acquérir une compétence ; souvent nous y avons consacré des milliers d'heures, et nous continuons à noter nos remarques, nos observations, les nouveautés, pour enrichir notre expérience. Et notre métier de parents, l'avons-nous appris ? cherchons-nous à nous perfectionner dans la plus exaltante des spécialités ? L'information peut nous aider à condition de choisir les ouvrages convenables, et de ne pas se laisser dévoyer par une presse, une radio, une télévision dont les intérêts matériels ont tué la conscience.

- Enfin, il faut que chacun profite, dans toute la mesure du possible, des expérience»de la compétence des autres. C'est pourquoi je ne saurais trop insister pour que vous formiez des cercles de parents. L'activité de ces cercles peut être triple :

- l'étude des bases fondamentales de la famille chrétienne, de l'Amour humain selon l'ordre naturel, de l'éducation chrétienne.

L'entraide sous toutes ses formes, entre les membres des cercles.

- l'action dans la Cité pour maintenir ou rétablir une atmosphère saine et favorable à l'épanouissement de la famille, "Cellule sociale de base!

L'OSFAC pourrait promouvoir ces cercles (1), car ils répondraient à une des nécessités vitales de l'action civique.

Il serait certainement souhaitable d'étudier le travail et l'action du S.I.D.E.F. représenté au Congrès de l'Office International à Lausanne le ler mai 1972.

- Retenons encore la nécessité de demander encore et toujours, la grâce de Dieu, pour nous soutenir dans l'action. "Les gens d'Armes batail- leront, et Dieu donnera la victoire" disait volontiers Jeanne d'Arc. Pensons à accepter, à recevoir, les grâces d'État offertes par le Seigneur dans le sacrement de mariage, ciment de l'indispensable unité des époux, fondement de la famille! Pensons-nous plus généralement que nous sommes les instruments de la Providence et que la prière est une force invincible.

Nous en avons la preuve dans les pays où la révolution a provisoirement triomphé - sans église hiérarchique, parfois contre elle, les fidèles maintiennent, développent et répandent irrésistiblement la Foi. Ils minent le monde marxiste, saisi par le doute devant ses échecs, en attendant de le convertir. Dans cette lutte farouche et souvent héroïque des chrétiens en pays écrasés par la dictature marxiste, la Famille joue un rôle décisif. Il faut lire la presse officielle (il n'y en a pas d'autre) de ces pays : elle stigmatise l'action des grands-mères qui, en gardant leurs petits-enfants leur enseignent le catéchisme; elle publie les condamnations sévères encourues par les parents coupables de transmettre le christianisme, à leurs enfants... et cela, après 55 ans d'une dictature sanglante. C'est clair, la nature reprend toujours ses droits, la vérité est invincible. Nos pays d'Occident trahissent peu à peu leur christianisme et se trouvent en conséquence, gravement menacés. La révolution les attaque sur tous les fronts, elle mine toutes les institutions , mais tout se passe comme si la Famille représentait pour elle la difficulté principale.

Si nous le voulons vraiment la Famille peut livrer la bataille d'arrêt, prélude à la contre-offensive victorieuse : elle demeurera le môle indèstructible de l'ordre naturel et chrétien contre lequel se brisera la révolution.

Chanoine Léon Barbey

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