Le neuvième commandement

L'amour humain : un chef d'oeuvre de Dieu trop souvent défiguré par les hommes.

"Tu ne commettras pas l'adultère"

I - Introduction

Le sixième commandement est en quelque sorte celui de la gourmandise. Le neuvième commandement "Tu ne commettras pas l'adultère" est sans conteste celui de l'amour humain, de l'amour d'un homme et d'une femme qui sont chacun unique pour l'autre. La profondeur de ce commandement est attestée dès les prophètes qui nommaient adultère le comportement du peuple hébreu lorsqu'il était idolâtre. Le prophète Osée en fut un témoin jusque dans sa vie privée : "Le Seigneur lui dit : Va épouser une femme portée à l'adultère et accepte ses enfants adultérins car le pays se méconduit envers le Seigneur (Os 1-2) mais la femme rentrera en grâce. Je te fiancerai à moi pour la fidélité et tu connaîtras le Seigneur" (Os 2-22). Plus tard Saint Paul fut encore plus précis en affirmant que le mariage est l'image de l'union du Christ et de Son Eglise. Il s'agit donc d'un très grand commandement, le seul peut-être avec le premier qui prenne ses racines dans la terre et débouche directement dans le Ciel. Les autres sont plutôt un "mode d'emploi" du temps qui nous est octroyé ici-bas.

II - La grandeur de la sexualité humaine

A - La sexualité en général

Ce sujet est souvent considéré comme difficile à aborder tellement il est fondamental et tellement il risque de déboucher sur un trouble profond dont les manifestations les plus fréquentes sont l'érotisme, la pornographie ou simplement la bonne vieille histoire de fesses ! Et pourtant la sexualité est une "intention" prodigieuse du Créateur. Chacun sait que tout être vivant a un ensemble de chromosomes dans lequel est inscrite toute sa personnalité. Cette personnalité, cette "âme" au sens où l'entendait Saint Thomas d'Aquin quand il parlait d'âme végétative ou animale (l'âme humaine étant la seule à être spirituelle, créée à l'image de Dieu). Cette âme donc est liée à une certaine quantité de matière indifférenciée, matière qui permet la multiplication des êtres. Mais si les êtres vivants se contentaient de se dédoubler nous aurions des branches d'individus semblables les uns aux autres, un peu comme de vrais jumeaux. La sexualité, en permettant un échange de chromosomes, ou plus exactement l'élaboration de chromosomes complètement nouveaux à partir des anciens multiplie à l'infini la variété des individus à l'intérieur d'une même espèce : que l'on pense aux innombrables races de roses, de tulipes, de vaches, de chats, de chiens dont l'homme a suscité l'apparition en se servant des possibilités de croisement et de sélection liées à la sexualité. Si, dans notre monde merveilleux, il n'y a jamais deux êtres identiques, c'est avant tout à la sexualité qu'on le doit. Lorsqu'on sait le lire, le livre de la science est une merveille où Dieu éclate à chaque page.

B - Le petit homme : un père et une mère

Les découvertes biologiques se succèdent à un rythme accéléré, le plus souvent pour notre admiration, voire notre édification. C'est ainsi que le Professeur Lejeune a dernièrement fait état d'une découverte fondamentale : lors du développement de l'embryon, les nouvelles cellules sont à la fois marquées par le père et par la mère mais d'une manière qui n'a rien d'indifférent. Et elles le sont toujours de la même manière, ce qui signifie qu'il serait impossible de constituer un être humain en "activant" artificiellement un ovule - à fortiori un spermatozoïde. Il est indispensable d'avoir un père et une mère sur le plan simplement physiologique. Et que dire de l'éducation, si ce n'est que l'homme est de tous les animaux celui qui a besoin de ses parents le plus longtemps, et que le rôle de la mère et du père sont reconnus unanimement comme complémentaires (sauf chez quelques rares pseudo-philosophes dégénérés). A deux ou trois ans, même les mammifères sont émancipés - et douze ans est encore bien jeune chez l'homme. On peut aussi rappeler que Notre Seigneur a tenu à avoir un père terrestre, père qui dirigeait la liturgie domestique, notamment lors de la fête de Pâques si importante chez les Juifs (non pas, bien sûr, un père selon la chair, mais un "père virginal" comme l'a dit St Augustin dans un saisissant raccourci). La pensée de Saint Joseph dirigeant et guidant la prière de l'Enfant Jésus a quelque chose de vertigineux !... La sexualité humaine qui débouche sur un tel tableau ne peut qu'être quelque chose de sacré.

C - Grandeur de l'homme

On n'insistera jamais assez sur la grandeur incomparable de l'homme dès qu'il se place sous le regard de Dieu, et cela dans toutes ses dimensions y compris celle de la sexualité. Sous l'influence d'innombrables puritains et jansénistes, on a voulu faire du sexe une espèce de tabou - au sens superstitieux du terme - et de l'amour humain sous son aspect physique un "mal nécessaire". Le résultat était prévisible : si on ferme soigneusement toutes les issues d'une chaudière, elle explose! On a alors ce curieux mélange de pruderie scrupuleuse et d'exhibitionnisme débraillé, on rend punissable par la loi le fait d'offrir une boîte de chocolats à une secrétaire pendant que les moeurs contre nature sont glorifiées à longueur de colonnes de journaux. Il faut redonner à la sexualité humaine telle que Dieu l'a voulue, toute sa grandeur telle que le Saint Père l'a rappelée au début de son pontificat sous les cris horrifiés d'austères censeurs qui le taxaient de "coupable d'obsession sexuelle" (je l'ai lu) tandis que d'autres esprits forts l'accusaient de se contenter de rabâcher des principes d'il y a longtemps... comme si la nature humaine changeait au gré des élections ! La Genèse insiste sur le fait que l'espèce humaine fut créée "homme et femme", chacun étant complémentaire de l'autre. L'opinion de Saint Paul selon laquelle "la femme a été créée pour l'homme" (I Cor 11-9) est à rapprocher de la phrase de la Genèse "Il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gen 2-18) : l'homme est gravement incomplet quand il est seul. On pourrait dire aussi que l'Ange gardien a été créé pour l'homme : est-ce un signe d'infériorité ? En ce cas que penser de l'Incarnation voulue pour notre salut ?

III - La splendeur de l'amour humain

A - Amour et toujours

Tout a été dit sur ce thème. Dans la mesure où il s'agit d'un amour véritable, qui trouve en "l'autre" son bien et qui s'épanouit dans la volonté d'une oeuvre commune, il ne peut jamais s'agir d'un "contrat à terme" : un amour véritable ne saurait être qu'un engagement définitif ! Quel amoureux dirait "je t'aime pour vingt-quatre heures" ou même "pour vingt-quatre ans"? Un exemple à contrario peut être donné par cette réclame lue - hélas ! - récemment dans le métro parisien "Faut-il signer un contrat de concubinage ?" J'avoue avoir été interloqué et m'être demandé en quoi pouvait bien consister un tel contrat... S'agit-il de la location d'un corps ? d'une fourniture réciproque de services ? S'il s'agit de la recherche d'un confort, d'un plaisir (de la cuisine au lit) on peut envisager un "contrat", mais s'il s'agit du don d'une personne à une autre, poser la question revient à y répondre.

B - La subversion freudienne

En lisant certains ouvrages du siècle dernier ou du début de ce siècle, on vient à penser qu'il a manqué un chantre inspiré de la flamboyante union charnelle de l'homme et de la femme dans l'amour partagé, on en est venu bien vite à confondre amour et sexe, dès lors l'amour, chassé de son niveau spirituel d'origine ("elle est l'os de mes os et la chair de ma chair" comme l'a dit Adam (Gen 2.23), l'amour s'est confondu avec une activité dont le seul but est le plaisir. Il suffit pourtant d'être en contact avec un véritable amour pour saisir qu'il va bien au-delà du baiser, même si celui-ci reste toujours - sauf exception rarissime - "le point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer" : il n'est que de rappeler les poètes, les musiciens (les concerts de piano de Schumann, tout de lumière et de passion). On comprend alors mieux la subversion fondamentale du freudisme car tout ramener au plaisir, essentiellement sexuel, revient à affirmer que "l'amour" consiste à asservir l'autre à son désir, être aimé étant la pire des aliénations parce que la plus totale : on ne peut en sortir qu'en tuant celui qui vous aime c'est-à-dire qui vous asservit : subversion radicale du don de Sagesse : tout amour doit être tué! Il est difficile d'aller plus loin dans la haine de Dieu.

C - La fidélité, un programme de vie

Au risque de répéter des choses qui paraissent trop connues, ce qui ne les empêche nullement de faire scandale à l'heure actuelle, l'amour est essentiellement le choix d'une personne en vue d'une oeuvre commune, cette personne étant considérée comme "son bien" c'est-à-dire comme son complément indispensable, sans lequel la vie perd le principal de son attrait. Son bonheur est notre bonheur. Dans tous les cas il y a oeuvre commune, dans le cas général c'est l'accueil et l'éducation des enfants. Dès lors qu'il regarde une personne - au sens métaphysique du terme, c'est-à-dire un être dans ce qu'il a de plus profond - l'amour est complètement indépendant de l'altération d'un caractère ou de la dégradation d'un tour de taille ! A la limite, l'activité sexuelle qui accompagne normalement le mariage dont elle est un "temps fort" comme on dit actuellement, n'est pas suffisante ni même indispensable. Pour un chrétien, c'est évident : l'amour conjugal qui liait la Sainte Vierge et Saint Joseph était sans nul doute le plus profond et le plus parfait que la terre ait connu et connaîtra. Vue sous cet angle, la fidélité conjugale "va de soi". Revenir sur son choix c'est se renier, s'aliéner pour un caprice passager, misérable mensonge. L'amour libre, c'est la prison de l'égoïsme.

 

IV - La magnificence de l'amour chrétien

A - Deux en une seule chair

A l'opposé du "contrat d'épiderme" auquel un humoriste prétendait réduire le mariage, l'union de l'homme et de la femme est la source d'une réalité entièrement nouvelle. "L'homme quittera son père et sa mère" c'est-à-dire ce qu'il a de plus fondamental. Ce retour aux origines (Le divorce est à cause de la dureté de votre coeur Mt 19-8) est unique dans toutes les religions et coutumes terrestres pour lesquelles le mariage est avant tout considéré en vue d'assurer la perpétuation de la tribu, ce qui rend licite la répudiation pour stérilité. On serait tenté de faire remarquer que nous sommes descendus encore plus bas car actuellement certains demanderaient plutôt le divorce pour fécondité ! L'amour chrétien va plus loin et plus profond : pour lui, l'amour de l'homme et de la femme a une valeur telle que rien ne peut dissoudre cette communauté scellée par Dieu. Quant à l'acte conjugal, il acquiert une dimension sacrée puisque signe de cette communauté.

B - Le Christ et l'Eglise

Le mariage est le signe, l'image de l'union du Christ et de l'Eglise dans laquelle l'épouse devient entièrement relative à l'Epoux (le Christ) qui se donne pleinement en sanctifiant l'épouse pour la rendre digne de Lui. Nous sommes ainsi sanctifiés par un amour nuptial...notion qui donne le vertige pour peu qu'on l'approfondisse. Dès ici-bas, cela signifie que, dans nos pauvres amours humaines, l'épouse et l'époux n'existent que l'un pour l'autre, étant prêts à l'abandon complet, fût-ce de leur vie. Qui oserait encore parler de convention mondaine, de structure sociologique ou d'autres âneries d'aveugles volontaires. La vérité est que peu d'hommes sont capables de cet amour-là et préfèrent s'en détourner en ricanant - signe d'impuissance - et retourner à leur fumier pornographique... Ces pauvres gens sont réduits à n'aimer qu'eux-mêmes dans une recherche de plaisir sans lendemain car les sensations s'émoussent avec l'habitude... et avec l'âge ! Qui leur fera retrouver ce regard de Dieu qui fit l'humanité "homme et femme" ? Le mariage constitue - au moins partiellement - ce chef d'oeuvre de la Création - un amour vécu dans la pérennité d'un don réciproque où la femme s'en remet à l'homme prêt à donner sa vie pour elle.

C - L'amour mystique

Il reste que le sommet de l'amour reste celui qui nous lie à Dieu, dont nos pauvres amours humaines ne sont qu'un reflet, au mieux une image. Pour certains lecteurs de la Bible, l'un des livres les plus troublants est certainement le Cantique des Cantiques, on peut en citer quelques versets : "Pendant que le roi repose sur son divan, mon nard exhale son parfum. Il m'est un sachet de myrrhe mon bien aimé qui repose entre mes seins" (I-12,13) "Sur ma couche, pendant les nuits, j'ai cherché celui que mon âme chérit" (4-3,1) "Je dormais mais mon coeur veillait, voilà la voix de mon aimé. Il frappe... J'ai ôté ma robe, comment la remettrai-je ? J'ai baigné mes pieds, pourquoi les salir à nouveau " (5-2,3) "Je suis à mon aimé l'objet de ses désirs. Viens donc, ô bien-aimé, sortons dans la campagne, passons la nuit dans les vergers" (7-12,13).

Il faudrait citer tout le poème.

Or il s'agit d'un poème inspiré, c'est-à-dire que Dieu en est l'auteur principal, l'auteur au sens humain n'en étant que le rédacteur. Il faut donc admettre à la suite des grands mystiques dont Saint Jean de la Croix est le docteur et le patron aux yeux de l'Eglise (et patron des poètes de surcroît) que ces vers brûlant d'amour à priori sensuel sont le modèle du dialogue entre l'âme et Dieu qui nous aime à un point tel que (c'est une analogie bien imparfaite) il en deviendrait presque aussi timide qu'un amoureux terrestre. Voilà un mystère qui serait terrifiant si ce n'était un mystère d'amour, l'âme se donnant à Dieu dans un baiser total analogue au don conjugal, Dieu acceptant de nous fondre en Lui. Quelle folie que cet "adultère" qui consiste à lui préférer les biens de ce monde comme le disaient les prophètes de l'Ancien Testament !

V - Conclusion

Créatures spirituelles, les anges nous sont bien supérieurs dans le domaine de l'intelligence, (même s'ils sont déchus), de la volonté, de la capacité d'aimer. Seule la Vierge Marie, de par ses privilèges, est supérieure aux anges tout en étant de notre race. Plus près de Dieu que nous par leur nature spirituelle, il leur manque toutefois un attribut essentiel de Dieu : la fécondité. Ces grands aristocrates qui sont un peu comme des grands frères, restent seuls, n'ayant nul besoin de vie en société pour réaliser leur mission. C'est aux hommes, esprits liés à la matière - que Dieu a donné le privilège de Lui être semblables dans la fécondité. Cela explique la rage sans limite de Satan contre la fécondité humaine, en particulier contre celle de la femme. Notre époque est le témoin "privilégié" pourrait-on dire, de cette rage contre la femme qu'il cherche à avilir et anéantir dans ce qu'elle a de plus sacré : sa relation avec l'enfant. Pour Satan, la maternité ne doit plus être qu'un accident occasionnel, l'essentiel pour la femme étant sa "réalisation" comme "travailleuse" ou - le plus souvent - comme bête à plaisir. Il serait trop long de mentionner tout ce qui concourt à mutiler la femme dans sa noblesse de mère et d'épouse, la séparation du "plaisir" et de la maternité en est le signe le plus tangible, ainsi que la glorification de la femme hors du foyer (je ne dis pas que le travail extérieur est un péché ou une malédiction, mais simplement, que ce n'est pas là que la dignité spécifique de la femme se réalise). Quant à la fécondité spirituelle, il n'est que de mentionner la dégradation actuelle de l'enseignement, même - dans bien des cas - de l'enseignement du catéchisme où on privilégie l'expérience, toujours éphémère, oubliant que le Christ a dit "Allez enseigner toutes les nations". Mère et médiatrice par nature la femme est pourtant particulièrement douée - pourrait-on dire - pour la fécondité, même cloîtrée dans un couvent. Il est symptomatique que l'Eglise ait donné comme protecteur aux missions une religieuse cloîtrée : Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus.

Le neuvième commandement débute par la fidélité et débouche sur la fécondité de l'amour. En ce sens il s'applique aussi bien aux âmes consacrées (Et la femme demeurée stérile, Il la fait en sa maison l'heureuse mère de plusieurs enfants" Ps 112-9). Il se pourrait bien qu'il se place juste après les deux premiers dans l'ordre d'importance... Sachons nous montrer dignes d'une telle vocation.

Jean-Bernard Leroy

Février 1992

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