Le septième commandement :

Du vol à la tire à la législation fiscale

"Tu ne voleras pas"

I - Introduction

A priori, ce commandement semble assez clair pour ne demander que peu de commentaires même si on s'accorde à reconnaître qu'il n'est pas très scrupuleusement observé. Malgré tout, il n'est peut-être pas inutile de réfléchir quelques minutes sur son triple aspect individuel, collectif et politique.

II - Le vol individuel

A - Légitimité de la propriété privée.

Avant tout, le septième commandement suppose la légitimité de la propriété privée ; s'il est vrai que "la propriété est le vol" ce commandement n'a plus de raison d'être. Presque toutes les nations ont reconnu la propriété privée et celles qui ne la reconnaissaient pas (les Incas par exemple) la reportaient à l'Etat. Le christianisme a toujours reconnu sa légitimité même si - comme le dit Saint Paul (I Cor 4 1-2) nous ne devons nous considérer que "comme les intendants des biens qui nous sont confiés". Une société sans propriété privée est une société d'esclaves. Le seul exemple contraire est celui des monastères où règne le voeu de pauvreté encore que chaque moine ou moniale reste responsable des biens de la communauté qui lui sont confiés. Ce qui fonde le droit à la propriété privée est la responsabilité vis-à-vis de soi, de sa famille, de la société... La famille humaine a droit à une certaine intimité pour sa vie quotidienne, en particulier pour l'éducation des enfants. "Quand tu veux prier, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie Dieu dans le secret" (Mat 6-6) - cela suppose que l'on ait une chambre munie d'une porte et d'une serrure. Certes ce droit n'est pas absolu, il est légitime que l'autorité publique (le Prince comme disaient les Anciens) en réglemente le droit d'usage : ce n'est pas parce qu'on a un puits qu'on a le droit de l'empoisonner ni parce qu'un chemin passe sur ses terres qu'on a le droit de le couper... (maints promoteurs qui défigurent les paysages devraient se le rappeler). Ce n'est pas parce que les hasards de la succession vous ont rendu possesseur d'une chapelle à fresques que vous avez le droit de la raser pour en faire une porcherie ! L'indignation contre celui qui voulait se faire incinérer en compagnie d'un Renoir et d'un Van Gogh (d'ailleurs légitimement acquis) est tout à fait justifiée.

Sous ces réserves, le droit de propriété doit être défendu avec vigilance et nos princes actuels devraient se rappeler que les grands empires du passé se sont effondrés dès qu'ils furent incapables d'assurer la justice et la sécurité des personnes et des biens. Malgré sa grandeur indéniable, l'empire carolingien a disparu pour cela. Il faut dire et répéter que, sauf cas extrêmes et rarissimes, s'approprier le bien d'autrui (fût-ce par un "emprunt" passager) est une faute authentique dont la généralisation aboutirait à la disparition de la vie en société .

B - L'abus de confiance

Les modalités en sont très diverses. Cela commence par les promesses non tenues "Je vous le rendrai dans quinze jours" et on ne le rend jamais, ou bien en piteux état. Même si ce n'est pas un crime, c'est une faute. Entrent dans cette catégorie le locataire indélicat, certains touristes abusifs, par exemple ceux qui, au lieu de se contenter de quelques champignons pour leur consommation personnelle, ravagent les champs d'autrui pour en faire commerce, les vendeurs qui omettent sciemment un vice caché à moins qu'ils ne trichent sur les poids et mesures, pratique contre laquelle fulminait déjà le prophète Michée (6-11) "Peut-on être innocent avec des balances faussées et un sac plein de faux poids". Un Etat digne de ce nom se doit d'être particulièrement sévère en ce domaine.

C - L'injustice

C'est le vol de ceux qui profitent de leur force, de leur situation, de leur position pour s'emparer du bien d'autrui, par exemple en ne lui donnant pas ce qui lui est dû. On peut citer le patron qui profite d'une situation d'abondance de main-d'oeuvre pour ne pas rémunérer justement ses employés et aussi l'ouvrier qui profite d'un défaut de contrôle ou simplement de la confiance qu'on lui fait pour ne pas soigner son travail. Les "grèves-bouchon" au cours desquelles quelques employés profitent de leur situation pour manifester des prétentions exorbitantes en sont un cas-type.

La possession d'une marchandise ou d'un objet rare ne justifie pas qu'on en demande n'importe quel prix, surtout si cette marchandise est indispensable à la vie. C'est le cas de tous les marchés noirs. Parler "d'honoraires librement débattus entre le malade et le médecin" est se moquer du monde : cela suppose du moins une vertu élevée, fréquente chez les grands patrons mais rarissime chez les charlatans. Où est la liberté de la mère dont le fils est gravement malade devant celui qu'elle pense pouvoir le sauver ? Entrent dans ce cas les prix demandés par des artisans malhonnêtes à des personnes ignorantes du métier.

III - Le vol légal

Ce n'est pas parce qu'une pratique est légale qu'elle est moralement acceptable. Il peut y avoir vol en toute légalité chaque fois qu'on abuse de sa force en particulier sur le plan intellectuel ou administratif : cas de certains rédacteurs de contrats qui connaissent les ficelles de la loi sur le bout du doigt, de certains administrateurs qui se gardent bien de faire connaître leur droits à ceux qui leur font confiance. Les Anglo-Saxons sont passés maître dans ce domaine, au point que certains ont présenté les Etats-Unis comme un pays "où la bonne foi n'existe pas". C'est à juste titre que le législateur s'applique à défendre les usagers ignorants contre des clauses injustifiables glissées dans les contrats par les Shylock en tous genres.

Ce genre de vol est particulièrement odieux quand il s'agit d'un élément vital : cas de certains patrons des XVIIIe et XIXe siècles refusant de donner à leurs ouvriers un salaire décent sous prétexte de "loi de l'offre et de la demande" contraignant femmes et enfants à travailler dans des conditions inhumaines pour un salaire de misère. Cas d'autres patrons qui s'octroient les découvertes de leurs employés comme maints chefs de service universitaires ou autres qui aggravent leur cas en empochant par surcroît les droits d'auteur ! Certes, le métier de "nègre" est fort ancien, mais ce n'est pas pour autant que cette pratique est recommandable. Mon expérience personnelle m'a montré que les noms figurant sur la couverture de maints ouvrages n'étaient que rarement ceux des vrais auteurs ou - plus modestement - que si plusieurs noms figuraient, un seul avait réellement travaillé ! Rendre à César ce qui est à César n'est pas toujours le premier souci des grands de ce monde... même s'ils ne sont pas César !

Il faut aussi parler de certaines compagnies d'assurance expertes dans l'art des contrats lisibles par les seuls initiés, tant ils sont alambiqués, certains ne vont-ils pas jusqu'à donner des leçons de rédaction des contrats d'accident de manière à faire porter la faute sur l'innocent. L'habitude des Anglo-Saxons de rédiger des contrats sans ponctuation relève du même esprit.

Dans un domaine moins grave, on peut citer certaines "publicités" qui se veulent morales et sont beaucoup plus "mensongères" que les anciens slogans qui ne pouvaient tromper que les imbéciles. J'ai personnellement connu un restaurant qui affichait en "menu promotion" un repas plus cher et moins abondant que le menu "gastronomique" qui justifiait légalement la réputation officielle de l'établissement.

IV - Le vol institutionnel

Ce sont les vols perpétrés par l'Etat, liste longue et qui ne cesse de s'allonger.

A - Les impôts

Il est clair que l'Etat est une nécessité. La famille n'est pas une société "parfaite" comme le disait Saint Thomas - et il est tout aussi clair que le fonctionnement de l'Etat suppose des frais qui doivent être couverts par des taxes, quel que soit le nom qu'on leur donne (On peut citer pour mémoire le pittoresque propos d'un député révolutionnaire :"Seuls les esclaves paient des impôts, les peuples libres acquittent des contributions"...). Il n'en reste pas moins vrai que le montant et la répartition des impôts doivent être calculés dans un esprit de justice, ce qui est loin d'être toujours le cas !

Le comble de l'hypocrisie est peut-être de désigner des impôts injustes sous des noms anodins tel "l'impôt sur la succession" qui signifie que l'Etat s'estime le propriétaire universel des biens de la nation ne faisant que concéder moyennant finances l'usufruit des biens familiaux, ou "l'impôt sur la fortune" qui est un impôt sur ce qui ne rapporte rien puisque les revenus sont taxés d'autre part. Les gouvernants actuels ne font que continuer en l'amplifiant une tendance très ancienne : il y a eu les "impôts sur les portes et fenêtres", sur les chiens, et les taxes sur le carburant ne font que prendre la suite des taxes sur le sel. En revanche, ce qui est nouveau, c'est par exemple la législation fiscale qui transforme tout citoyen en fraudeur éventuel et inclut une "certaine proportion de fraude" dans le calcul des taxes (économisme oblige). Dès lors que faire pour le contribuable honnête ? Doit-il réellement frauder pour rétablir la justice ?

B - Les cotisations sociales

S'il est normal que l'Etat veille à ce que les citoyens, surtout les plus démunis, soient protégés contre les accidents graves (Louis XIV l'avait fait pour les invalides et Louis XVI pour les marins) il est anormal qu'il en déduise le droit de jouer les assureurs. On pourrait très bien concevoir des assurances sociales à l'instar des assurances-automobiles, obligatoires mais non nationalisées. Là où le système devient proprement aberrant, c'est quand l'Etat s'arroge le droit d'utiliser selon sa fantaisie (c'est-à-dire celle des services plus ou moins irresponsables qui prolifèrent) la masse considérable d'argent récolté, allant jusqu'à obliger tous les citoyens à financer des activités criminelles comme l'avortement : nous sommes tous condamnés à être des assassins par procuration !

C - L'enseignement

Il en est de l'enseignement comme de la santé : il est normal que l'Etat veille à ce que chaque enfant soit enseigné "normalement", en particulier les enfants dont les familles disposent de peu de ressources. Mais de là à avoir la prétention d'assurer soi-même cet enseignement il y a un monde que seule la volonté de soumettre toute une population à l'idéologie des gouvernants peut expliquer sinon excuser. En France nous en cueillons les fruits amers : enseignement dévalué, corps enseignant dont les meilleurs éléments se voient dans l'impossibilité d'exercer leur métier, diplômes sans valeur etc... Pendant ce temps certains rêvent de supprimer nos grandes écoles sans se rendre compte que notre université ne vaut encore quelque chose que grâce à elles.

D - Les retraites

C'est un sujet d'actualité s'il en fut. L'Etat a mis la main sur toutes les cotisations (on n'a laissé le choix à personne) et il s'aperçoit maintenant qu'il ne pourra pas tenir ses engagements, encore moins respecter la justice. Du coup, on reparle de la retraite par capitalisation... ce qui est oublier un autre vol institutionnel qui est l'inflation. J'ai personnellement connu des "sinistrés de la capitalisation" : tous ceux qui s'étaient patiemment constitué un pécule au début du siècle. Au lendemain de la dernière guerre, il ne leur restait pratiquement plus rien, que l'on compare la valeur du franc 1900 avec celle du franc 1950 ! On peut le constater avec la valeur du timbre : 5 centimes (anciens) en 1900, 5 francs en 1950 et l'équivalent de 250 francs maintenant... Laisser s'écrouler la monnaie est un des vols les plus odieux de l'Etat.

E - Au plan international

Nous atteignons là un des sommets du "mystère d'iniquité" dont certains ont parlé. On a l'impression d'un brigandage à l'échelle de la planète. Ne prenons que deux exemples dont je fus le témoin :

- Certains pays parmi les plus pauvres dépendent étroitement de leur production agricole puisque leurs ressources industrielles sont nulles. On commence donc par leur consentir des prêts "à des taux intéressants" à rembourser sur les récoltes à venir. Puis, deux ou trois ans après, on décrète que le cours desdits produits baisse de 20%, 30%, parfois davantage : c'est le cas de la Côte d'Ivoire avec des cours du cacao et du café fixés à Londres, à New-York, que sais-je !

- L'irrigation est indispensable dans plusieurs pays, d'où l'idée d'aller chercher de l'eau n'importe où à n'importe quel prix. C'est ainsi que certains "consultants" (agréés par les organismes internationaux, bien entendu) ont préconisé de capter l'eau dans des vallées hautes pour la diriger vers d'autres versants, secs une bonne partie du temps. Ce furent des travaux proprement pharaoniques : il a fallu percer à 5.000 mètres d'altitude une galerie de 4 ou 5 mètres de diamètre sur plus de cent kilomètres. Ce n'est que lorsque toutes les entreprises (étrangères) ainsi que le consultant furent payés grâce à des prêts à long terme que l'on s'aperçut que les terres irriguées étaient complètement stériles : ceci s'est passé au Pérou. Le démantèlement systématique de notre agriculture relève du même état d'esprit.

V - Conclusion

Ces lignes étaient en cours de rédaction lorsque parut la dernière encyclique pontificale "Centesimus annus" qui marquera une date très importante pour ceux qui voudront bien la lire. Plus que jamais il apparaît qu'on ne peut faire l'économie ni de la vérité ni de la justice, et dans la justice figurent le juste prix et le juste salaire pour lesquels il est légitime que les facteurs économiques jouent, mais jamais sans être les seuls. "Il y a dans le travail quotidien le poids de l'amour que l'homme porte à sa famille" a dit le Pape, ce qui signifie que cet amour est une composante du juste salaire. Prétendre que juste prix et juste salaire sont des illusions parce qu'on ne peut les calculer par une formule mathématique est grotesque : ce n'est pas parce qu'on manque d'une définition clinique exacte de la mort (ou du sommeil) que la mort (le sommeil) n'existe pas. Sur un mode plaisant, on peut se poser la question "A partir de combien de cheveux un homme est-il chauve ?" Mais il existe des chauves et des chevelus !

Le premier attribut de l'Etat est le "glaive" ou "la main de justice". Mais la justice humaine seule est bien faible, on a pu dire qu'elle était complètement disqualifiée depuis Ponce-Pilate, prototype des procès politiques en tous genres. Or, la manifestation matérielle de la justice réside dans la reconnaissance et le respect du bien d'autrui, ce qui ne peut se concevoir sans la reconnaissance et le respect de la personne d'autrui qui n'est pas d'essence matérielle, encore moins économique, mais spirituelle. C'est dans ce sens qu'on peut affirmer à la suite du Pape que marxisme et libéralisme au sens de réduction de la vocation humaine à la seule acquisition de biens matériels, sont les deux faces opposées de la même pièce de fausse monnaie qui est celle du matérialisme athée qui, littéralement, châtre l'homme spirituellement en niant sa dimension spirituelle. L'Evangile nous invite à "chercher le royaume de Dieu et sa justice". Une justice fondée sur l'éminente dignité de l'homme et non une justice légaliste inventée par les hommes pour justifier leur égoïsme.

Jean-Bernard Leroy

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