Le sixième commandement

Du bon vivant au syndicat du crime

"Tu ne commettras point l'impureté"

I - Introduction

Sixième et neuvième commandement de Dieu sont souvent liés dans les présentations traditionnelles comme les 1er et 2ème et les 7ème et 9ème. S'ils étaient superflus, on aurait très bien pu ramener le nombre de commandements à sept !... Il faut croire que, s'il y en a dix, c'est que chacun a sa spécificité. Pour le sixième commandement, je me suis permis de prendre la traduction du catéchisme de Saint Pie X, plus large que l'énoncé traditionnel qui se limite à prohiber l'adultère. Ce commandement intéresse plutôt la vie individuelle alors que le neuvième "Tu ne désireras pas la femme d'autrui" a trait à l'amour humain, l'activité la plus fondamentale des hommes avec le travail. On pourrait dire que le sixième commandement est plutôt horizontal, le neuvième étant incontestablement vertical puisque, selon Saint Paul, l'union de l'homme et de la femme est une image de celle du Christ et de l'Eglise (Eph 5-32).

II - Quelques réflexions préliminaires

A - Péché grave ou peccadille ?

Les discussions sur ce péché ont toujours été passionnées. A côté d'austères censeurs qui tancent d'un doigt décharné tremblant d'indignation les ivrognes et les débauchés, brandissant Saint Paul écrivant aux Ephésiens (5-3) "Quant à la fornication et à l'impureté qu'il n'en soit même pas fait mention parmi vous", à côté de ces orateurs que l'on devine bileux et émaciés, il y a ceux qui font remarquer que le Christ n'avait pas de parole trop dure pour les Pharisiens et les Scribes, ces "sépulcres blanchis" ainsi que pour le mauvais riche alors qu'il a pardonné à la femme adultère, a longuement enseigné la Samaritaine, sans parler de Sainte Marie-Madeleine, disant aux prêtres et aux anciens "Je vous le déclare en vérité, les publicains et les filles de joie vous précéderont dans le royaume de Dieu (Mt 21-31). Ce commandement et les péchés qu'il désigne (parmi lesquels deux péchés "capitaux" la gourmandise et la luxure) semblent décidément distincts des autres.

B - Domaine de ce commandement

Avant tout, il regarde les deux fonctions essentielles que nous avons en commun avec les animaux : comme nous, les animaux se nourrissent et se reproduisent. C'est probablement pour cela que la majeure partie des plaisanteries courent sur ces sujets : thèmes scatologiques, histoires d'ivrognes, de salles de garde ou bien histoires macabres, ou histoires de fous. Elles ont toutes en commun de ramener l'homme à sa dimension animale. Tout le monde reconnaît la hauteur de pensée de Blaise Pascal, mais il sera toujours comique, même si ce n'est pas du meilleur goût, de l'imaginer aux toilettes !

De plus ces fonctions sont indispensables, au moins au niveau de l'espèce, alors qu'on peut très bien vivre sans grandes richesses, sans tuer personne ni même, quoique ce soit une pitié, sans connaître ni adorer Dieu. Le sixième commandement prescrit simplement de rester dans certaines limites. Une première difficulté est que les limites physiques varient d'un individu à l'autre : tel est ivre après deux verres de vin alors qu'un autre ne le sera pas après en avoir bu deux litres. C'est pourquoi le buveur d'eau qui fulmine contre l'amateur de Vosne-Romanée et de Sauternes a toujours quelque chose de grotesque. Dans le domaine amoureux, la sagesse populaire sait bien que "quand le diable se fait vieux, il se fait ermite"!...

 

C - Attirance

Le plus grand danger est que ce genre de péché est particulièrement aimable et séduisant, ce qui explique qu'il s'agisse souvent de péchés de faiblesse. Il est très rare d'être attiré par l'orgueil véritable, même si l'on est volontiers vaniteux, on n'est que poussé au crime et il faut être dévoyé pour considérer comme modèle l'avare crispé sur son sac de pièces d'or. Tandis que la gourmandise et la luxure paraissent à priori hautement délectables, d'où l'indulgence de maintes locutions "Il faut bien que jeunesse se passe". Le poète dit "Cueillons dès aujourd'hui les roses de la vie" et Saint Paul cite (sans l'approuver) "Mangeons et buvons car demain nous mourrons". L'indulgence s'étend volontiers aux individus et personne ne cherchait noise à ce vagabond plutôt sympathique que mon père a connu pendant sa jeunesse, qui était complètement ivre tous les dimanches soir et chantait, ou plutôt braillait les vêpres en parcourant les rues du village. Remarquons enfin qu'il s'agit de ce que l'on pourrait appeler un péché d'amour. Certes, et on l'a répété avec juste raison, l'homme choisit toujours un bien et l'assassin est convaincu qu'il va améliorer sa situation, il est toutefois certain qu'il n'aime pas sa victime ! Dans ce cas de la luxure et de la gourmandise, au contraire, il y a un amour positif, celui des "bonnes choses". C'est un amour désordonné, mais qui pourrait être légitime dans d'autres circonstances.

III - Le péché de faiblesse

Peut-être n'est-il pas inutile d'examiner de plus près en quoi ce type de faute est si dangereux en dépit des multiples circonstances qui peuvent aller jusqu'à faire douter de son existence dans certains cas. On peut ainsi en résumer les cinq étapes :

1 - Pardon pour les actes où la faiblesse m'entraîne.

2 - Que voulez-vous ? Je suis fait comme cela.

3 - Ce n'est pas ma faute si je suis ainsi.

4 - Si le Bon Dieu voulait que j'agisse autrement, il n'avait qu'à me faire autrement.

5 - Je suis comme je suis, ceux qui n'en sont pas satisfaits n'ont qu'à s'en accommoder (y compris les prêtres et Dieu lui-même).

La glissade est insensible d'une étape à l'autre, c'est pourquoi tous les bons auteurs conseillent de lutter contre les péchés de faiblesse même si on ne peut les éviter afin d'en rester au premier stade, humiliant s'il en est, qui consiste à reconnaître que l'on reste esclave de ses humeurs, de ses désirs, et à être persuadé qu'il vaudrait mieux qu'il n'en soit pas ainsi. C'est en ce sens que les filles de joie dont parle l'Evangile entreront les premières dans le royaume des cieux grâce à la conscience qu'elles ont de leur indignité, de la pauvreté spirituelle qu'implique leur misérable métier, alors que le pharisien se croit pur et à ce titre pense avoir des droits sur Dieu. La grandeur de l'homme réside dans sa liberté. C'est en vertu d'un acte volontaire qu'il choisit de suivre ce que son intelligence lui a montré comme bien, mais il n'est pas "libre" de décider ce qui est bien et ce qui est mal. Par exemple, je peux facturer cinq kilos de carottes à quelqu'un qui en a acheté deux fois deux kilos. Ce n'est pas pour autant que je puis affirmer que 2 + 2 = 5 ! Au rebours des animaux qui sont parfaitement "programmés" comme on dit de nos jours et à ce titre ne peuvent se tromper, un peu comme les ordinateurs qui jouent aux échecs, l'homme doit découvrir le bien puis y adapter sa conduite. Tout son mérite est dans l'exercice de cet amour. Lorsque la violence de sa nature l'entraîne en dehors du droit chemin, il doit avoir au moins l'honnêteté de reconnaître que ce n'est pas bien, sinon c'est la pire corruption de l'intelligence ; faute d'un "programme" adéquat, il tombe alors en-dessous de la bête.

IV - De la luxure au crime

Si on considère comme bien établi que tout désir est légitime et n'a aucune raison d'être "refoulé" la pente qui mène à la destruction est rapide.

A - La destruction de soi-même

Chercher à "tirer le plus possible de plaisir de son corps" comme le cherchait le pauvre Falstaff mène toujours à la destruction de soi-même. La sensualité s'émousse : si l'on n'aime une femme (un homme) que pour le plaisir qu'on éprouve à son contact, on est vite lassé, on en essaie d'autres, on se livre à mille excentricités avant de sombrer dans l'homosexualité en attendant pire. On commence par le vin, mais il faut en boire beaucoup pour parvenir à l'ivresse, on suit alors par des alcools de plus en plus forts, puis c'est le LSD, la cocaïne, l'opium... La recherche du plaisir fait place à celle de la jouissance puis de la "défonce" de plus en plus totale. La personnalité se dissout dans des sensations de plus en plus violentes qui débouchent sur la ruine de l'être et souvent sur le suicide.

B - L'asservissement des autres

Le plaisir se prend volontiers à deux et même à plusieurs comme en témoignent les réunions de drogués. On va alors asservir l'autre à ses désirs, on débouche sur les horreurs de la prostitution, en particulier de la prostitution enfantine. J'ai lu dans une revue digne de foi que de riches touristes étrangers, amateurs de "tourisme sexuel" (!) en Asie du Sud-Est, exigeaient toutes garanties contre le SIDA (C'est une des caractéristiques des lâches de ne vouloir jamais assumer les conséquences de leurs actes : pas de suite, pas de maladie, pas d'enfant... et "ça" se dit adulte et responsable !). On leur réserve donc des fillettes vierges, quand ce ne sont pas des garçonnets, pour cet ignoble usage... et les trafiquants de s'enrichir par la souillure de ces malheureux enfants.

Cela dit, s'il est certain que "celui qui veut faire l'ange fait la bête", il est encore plus évident que celui qui veut faire la bête y arrive parfaitement ! Le sixième commandement nous rappelle que l'esprit est plus que le corps, car, au Royaume des Cieux "ceux qui seront trouivés dignes d'avoir part au siècle à venir [ ... ] seront comme des anges, car ils sont fils de Dieu, étant fils de la Résurrection" (Lc 20-36). C'est pourquoi St Paul recommandait de s'abstenir "de propos scabreux", "Point de propos déplacés, de bouffonneries, ni de plaisanteries grossières" (Eph. 5-4).

C - La destruction des autres

C'est le cas des crimes des sadiques qui torturent et tuent leurs victimes pour jouir de leur désarroi et de leur terreur. Ces bas-fonds sont heureusement rares mais existent comme en témoigne toute une littérature de plus en plus répandue, même dans les bibliothèques de gare (notons en passant que le sinistre Sade était issu d'une illustre famille avignonaise qui a donné à la France maints capitaines glorieux. La "rue Sade" à Antibes porte le nom de celui qui brisa l'offensive autrichienne en 1746). Il faut aussi citer tous les crimes commis dans le cadre de ces "activités", crimes dont les annales de ce qu'on appelle "le milieu" regorgent et qui font le pain quotidien des romans policiers et autres films noirs. Crimes aussi des trafiquants de drogue qui n'hésitent pas à déclencher de véritables guerres comme en Colombie, au Panama et ailleurs.

Loin de chanter les louanges de ce monde souterrain, il faudrait avoir le courage de crier qu'il s'agit d'un monde sans foi, ni loi, si ce n'est la loi du plus fort.

V - Conclusion

Du bon vivant au chef du réseau de drogue, la faiblesse peut nous entraîner très loin... Regardons le cas d'Hérode, père de Salomé. Il avait pris sa belle soeur chez lui : que voulez-vous, la chair est faible ! Saint Jean Baptiste le lui ayant reproché, il le mit en prison pour avoir la paix avec la mégère qu'il aurait bien mieux fait de laisser à son frère... Il ne pouvait faire autrement bien qu'il appréciât beaucoup saint Jean Baptiste. "Il l'écoutait volontiers" nous assure Saint Marc (6-20). On connaît la suite et comment en conclusion d'un pari stupide engagé après une beuverie terminée par un spectacle érotique, il fut amené à faire tuer celui qu'il considérait comme un prophète.

Le sixième commandement est celui du respect de toutes choses matérielles utilisées par les hommes. Respect de soi-même d'abord : ne jamais se laisser aller plus loin qu'on ne voudrait, on descendrait plus bas que l'animal. Je me rappelle un dessin qui a bercé ma jeunesse : on y voyait un singe complètement ivre, une bouteille à la main. Deux de ses congénères commentaient "Le pauvre Joko, voilà qu'il s'adonne à l'ivrognerie, ce vice affreux qui rabaisse la bête au niveau de l'homme !" Respect des autres et spécialement de celui, de celle avec qui on s'unit intensément. Il faut dire et proclamer que l'acte sexuel n'est pas analogue à "boire un verre d'eau" comme le disait Lénine, mais le signe qu'on est "deux en une seule chair" (Mc 10-8). La conduite de la jeune fille sage est intrinsèquement bien meilleure que celle du débauché, ce qui pour un chrétien est évident puisque "nos corps sont le temple du Saint-Esprit" (I Cor 6-19). L'homme se grandit toujours dans le respect, sans lui il n'est qu'une brute sanguinaire. Les Anciens le savaient déjà de Socrate aux stoïciens qui prônaient l'abandon à la Providence, Saint Paul l'a parfaitement résumé aux Colossiens (3-17) "Quoi que vous fassiez, quoi que vous désiriez, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce pour Lui à Dieu le Père".

Jean-Bernard Leroy

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