Le cinquième commandement :

Du meurtrier crapuleux à l'assassin aux mains propres

"Tu ne tueras point"

I - Introduction

Après le premier commandement sur l'adoration, le cinquième commandement semble le plus "évident". Dans la Genèse, il fut aussi le premier à être transgressé, par Caïn, apparaissant ainsi comme la conséquence directe de la faute originelle. Comme toujours en matière grave les ramifications de ce précepte sont multiples. Sans aller jusqu'à dire que "nous sommes tous des assassins" il n'est peut-être pas inutile de réfléchir à son sujet.

II - Le meurtre direct et l'assassinat

A - Par action

C'est l'acte de celui qui "plonge le fer dans le sein de sa victime". Les motifs peuvent en être très variés et les juristes distinguent bien entre le meurtre, le fait de tuer, et l'assassinat qui est un meurtre avec préméditation. Il faut ainsi faire quelques distinctions : le soldat, "l'exécuteur des hautes oeuvres" agissent au nom de la société et ne pèchent donc pas contre ce commandement, ou alors il faudrait constater une singulière hypocrisie de Moïse, voire de Dieu lui-même devant le récit des guerres dévastatrices qui ont permis l'installation des Israëlites en Terre Promise˙! On saisit tout de suite la différence entre l'acte de guerre d'un soldat en uniforme et l'acte du même soldat qui tuerait le même ennemi, mais en pays neutre et pour des raisons personnelles. Parmi les meurtres les plus couramment perpétrés de nos jours il faut, hélas ! citer l'avortement (assassinat authentique puisque commis avec préméditation) l'euthanasie (même remarque) et aussi le suicide. Faut-il préciser qu'il n'est ici parlé que de l'acte et non de l'acteur qui peut avoir maintes circonstances atténuantes. Ces quelques lignes ne sont - comme les autres - que les quelques réflexions d'un laïc sur le fondement que toute société se doit d'accepter, même la plus barbare, même la nôtre qui, en retombant dans la barbarie après l'éclat des siècles passés se voit dans la situation de l'homme chez qui habitent "sept esprits, plus méchants que le précédent" (Luc 11-26).

B - Par imprudence

Ce sujet fut aussi abondamment traité : il y a des risques qu'il est coupable de courir et surtout de faire courir aux autres. On pense tout de suite au code de la route, à certains "exploits" sportifs que le manque d'entraînement peut rendre très dangereux. La difficulté est de jauger ses possibilités, d'éviter toute présomption grâce à la vertu de prudence qui doit nous conduire à refréner des élans qu'un manque d'entraînement ou simplement l'âge peuvent rendre périlleux. Ce genre de faute peut être commis par des tiers : s'il est coupable d'emmener des amis dans une voiture qui n'est pas sûre, que dire du garagiste négligent qui omettrait une réparation essentielle ? La gravité de ce péché croît avec la responsabilité, celle du chef et aussi celle du législateur : autoriser avec trop de laxisme des pratiques dangereuses et meurtrières comme le port d'armes ou l'usage de stupéfiants peut être une faute authentique - mais la vertu de Prudence est là aussi nécessaire. Il est vrai que l'emploi des poisons est nécessaire en pharmacie et il serait de la plus insigne mauvaise foi de mettre sur le même pied une chope de bière et une pipe d'opium !

C - Par omission

Le meurtre par omission est plus subtil. Entrent naturellement dans ce cas tous les défauts "d'assistance à personne en danger", descendance directe du prêtre et du lévite qui ne s'arrêtèrent pas devant le pauvre voyageur finalement secouru par le Samaritain. Cela peut aller jusqu'au sinistre RU 486 (précédé par les "stérilets") à propos desquels on omet de dire que ce prétendu médicament est un véritable outil d'avortement, donc de meurtre, ou des transplantations cérébrales mentionnées par le Professeur Lejeune dans le numéro 8 de "Pro Europa" à la page 21. Il y a bien d'autres stades. On pourrait citer les publicités mensongères : agences de voyage véreuses qui font courir des risques inconsidérés à leurs clients, charlatans et vendeurs de "poudres de perlimpinpin" meurtrières à terme parce que retardant puis rendant caducs des soins indispensables. Il faudrait aussi parler des pseudo-systèmes de sécurité, montages défectueux etc... etc... L'antidote réside dans la conscience professionnelle et l'amour de la vérité. Comme pour les autres commandements, les conséquences sont multiples.

III - Le meurtre par la parole

"Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais ce qui en sort, voilà ce qui souille l'homme" dit Jésus-Christ (Mat 15-11).

La parole peut être une arme véritable comme le dit Saint Augustin dans la 6ème leçon des ténèbres du Vendredi Saint selon l'ancien Ordo : "Et vous, juifs, comment Lui avez-vous ôté la vie ? Vous vous êtes servi pour cela du glaive de votre langue que vous avez aiguisée comme une épée". On peut en suivre la progression dans tous les procès historiques d'intention, de Marie-Antoinette à Sainte Jeanne d'Arc, de Thomas More au Christ lui-même. Disons pour simplifier qu'il y a trois étapes.

A - Déconsidérer

En faisant ressortir des défauts, des tares vrais ou inventés "Il dîne avec les publicains". N'a-t-on pas "déstabilisé" (selon l'horrible jargon actuel) un ministre japonais en l'accusant d'avoir une maîtresse alors que je ne sache pas que ce soit un crime en pays shintoïste et que - si on peut légitimement lui préférer Saint Louis - il serait quand même exagéré de dire qu'Henri IV fut un roi épouvantable à cause de sa vie amoureuse. Déconsidérer est, hélas, une pratique de plus en plus fréquente sous l'influence d'une presse dite "à scandales" qui peut impunément déverser des "révélations" parfois outrageusement mensongères à longueur de colonnes. Le législateur est bien coupable de tolérer de telles pratiques... et le public bien stupide de se laisser influencer.

B - Calomnier

"Il interdit de payer le tribut à César" (Lc 23-1). C'était faux, bien sûr, tout comme les ignobles accusations contre Sainte Jeanne d'Arc ou Marie-Antoinete. La calomnie est certes de tous les temps mais on peut dire que - de nos jours - elle est entrée dans l'âge industriel ! Il est bien peu d'hommes publics - politiques, religieux ou autres - qui n'aient eu à se mesurer avec les calomnies les plus odieuses. Pour prendre deux exemples récents, cet ingénieur qui est mort de chagrin des accusations injustement portées contre lui après la rupture du barrage de Malpasset, et cet autre acculé au suicide à la suite des reproches absurdes qu'on lui avait faits au sujet du tracé du TGV. La calomnie peut tuer et tue encore, peut-être comme elle ne l'a jamais fait.

C - Condamner

"Qu'on le crucifie". On arrive au point final. On n'écoute plus, on n'entend plus la timide remontrance de Pilate "Mais quel mal a-t-il fait ?" Ce n'est plus qu'un hurlement haineux. On en retrouve un écho dans "Le Zéro et l'Infini". "Qu'on fusille ces chiens enragés"... c'est le sommet de la "justice populaire", celle de 1793 comme celle de 1917 en Russie, de 1945 en France ou, plus récemment, de la Chine "populaire" (on facture aux parents le prix de la balle qui a tué leur enfant), du Viet-Nam, d'Ethiopie, etc... etc... Mensonge et assassinat avancent comme des frères siamois dans l'ombre de celui qui fut "menteur et homicide dès le début" et dont seuls les aveugles ne distinguent pas la signature.

IV - Le meurtre par la pensée

En fin de compte c'est du coeur de l'homme, c'est-à-dire de sa pensée que provient le péché, spécialement le crime. Rousseau puis Marx et Engels, plus tard Hitler n'ont fait qu'écrire de gros livres plutôt ennuyeux, c'est pourtant à juste titre qu'on les considère comme les premiers responsables des atrocités telles que : terreurs, goulags et déportations en tous genres qui désolent notre pauvre monde. Là encore, on peut distinguer trois étapes.

A - Louer les assassins

Vanter comnme des héros ceux qui transgressent "toutes les lois divines et humaines" comme disaient les Anciens, et en même temps dépeindre les gardiens de l'ordre et de la paix civile comme des abrutis, des sadiques et des ivrognes. Cela devient systématique depuis une cinquantaine d'années. Chansons, romans, films sont à la gloire des malfrats, de préférence les plus lamentables. On ne prend même plus la peine de les rendre quelque peu sympathiques par des actions louables : malgré ses procédés peu recommandables, Arsène Lupin - homme de surcroît très distingué - volait au secours de la veuve et de l'orphelin sans jamais tuer personne, comme le faisait jadis Robin des Bois.

A rebours, un film primé récemment je ne sais plus où (du moins à en croire les comptes-rendus de cette pellicule que je n'irai, certes, jamais voir !) vante deux minables, l'un mâle l'autre femelle, qui pillent et tuent au rythme de leurs "pulsions" c'est-à-dire de leurs crampes d'estomac. C'est devenu une habitude depuis "Orange mécanique" qui, il y a environ 25 ans, vantait les mérites de jeunes voyous asssassinant un pauvre clochard. Le culte de "l'anti-héros" est une ruse satanique de subversion. La confusion des esprits est telle que bien peu se rendent compte du ridicule et de l'odieux qu'il y a à salir l'héroïque soldat qui se sacrifie pour sa patrie et, dans le même temps, à encenser le terroriste dont la vertu se résume à tuer le maximum d'innocents en disparaissant au moment du danger. Les générations futures hausseront les épaules de dégoût devant l'abîme de stupidité dont un si grand nombre de nos contemporains fait preuve.

B - La confusion de pensée

"Nous sommes tous des assassins". Indépendamment des péripéties d'un film que j'avoue ne pas avoir vu, ce cri est le type de la confusion la plus radicale de la pensée. Il ne s'agit certes pas de juger quelqu'un dans le plus profond de son âme, ce que seul peut faire Dieu "qui sonde les reins et les coeurs", mais simplement de savoir ce que parler veut dire. Que certains aient plus de difficultés que d'autres à être vertueux est indubitable, que l'on n'apprécie pas toujours la conséquence de ses actes, de ses paroles, également, mais prétendre que la petite vieille assassinée par un voyou qui vient la piller pour satisfaire ses vices est la vraie coupable, dépasse les bornes du méprisable. S'il y a une action à entreprendre d'urgence, c'est bien celle qui consiste à redonner aux mots leur vraie valeur et de reconnaître qu'il existe un bien et un mal. Il est quand même invraisemblable qu'on nous serine à longueur de journée le caractère "criminel" qu'il y aurait à ne pas respecter certaines limitations de vitesse plus ou moins contestables et, dans le même temps, de "dépénaliser" l'usage de la drogue en vantant les exploits de casseurs et d'éventreurs notoires. Il serait cruel, voire indécent, de comparer les sanctions infligées pour des "fraudes fiscales" à teinture politique et celles données à des "casseurs" pris sur le fait. En tant que fidèles de Celui qui est venu rendre témoignage à la Vérité, c'est peut-être là un de nos premiers devoirs.

C - Eloge du meurtre et de la révolte

Nous arrivons là au coeur de la subversion : le meurtre et la révolte sont loués pour eux-mêmes tel l'acte gratuit vanté par Gide ou Sartre. Le meurtre est une action d'éclat en lui-même, peu importe qui on tue, la révolte est prônée comme seul moyen de s'accomplir, de "prouver que l'on existe" comme je l'ai entendu dire un jour autour de moi... C'est l'écho fidèle du "non serviam" de Lucifer. Certes, le fait de nier donne une impression de liberté souveraine car dire oui, c'est accepter une réalité extérieure à soi dont on n'est pas maître, mais il faut dire et répéter que toute révolte est stérile si elle ne débouche pas sur un amour. Avoir "faim et soif de la justice" est une béatitude car elle est fondée sur l'amour de la justice et non sur la haine et l'injustice. Seul l'amour construit ; c'est le drame de tous les "anti" - dont l'action ne débouche que sur des ruines car on ne fonde rien sur la négation.

Le sommet de cet éloge du meurtre, caricature de l'esprit de sagesse et de la pureté du coeur est bien le "meurtre du Père" préconisé par Freud pour qui tout amour est "aliénant" c'est-à-dire nous oblige, et doit à ce titre être détruit. Nul doute que Freud - qui n'était pas un imbécile - savait très bien que la source de tout amour se confond avec celle de la vie. On retrouve avec effroi l'image de ce diable roman (à Autun, je crois, mais je n'en suis pas sûr) qui, les cheveux flamboyants, se transperce le corps en poussant un cri que l'on devine horrible. Il est certain que la haine de Dieu débouche sur la haine de la vie qui est Son oeuvre et sur la haine de soi-même. Ainsi que le disait Sartre, nous ne sommes que des passions inutiles, des êtres "en trop". Le suicide devient alors une bonne solution. Il s'agit bien sûr du suicide par haine et non du suicide par désespoir, encore moins du suicide pathologique, par exemple à la suite d'une dépression nerveuse.

V - Conclusion

On sait que les Francs-maçons se désignent parfois comme "Fils de la Veuve". Qui est donc cette veuve ? A vrai dire, ils ne m'en ont jamais rien dit... mais cela n'empêche pas de réfléchir ! Une veuve est celle qui a perdu son mari, et ses fils sont aussi ceux de son mari dont il était le père. Ces fils de la veuve sont donc ceux dont le père est mort. Et qui est le Père par excellence ?

La conclusion est facile : de même que "nous ne pouvons affirmer que Jésus-Christ est Seigneur que sous l'influence du Saint-Esprit" (I Cor 12-3) il semble bien que tout meurtre, toute révolte enfermée sur elle-même participe du "meurtre du Père" vieux rêve de l'ennemi des hommes dans sa rage impuissante et son rêve d'anéantir l'oeuvre de Celui qui est Amour.

Jean-Bernard Leroy

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