Le troisième commandement

Paresse et contemplation

"N'oublie pas de sanctifier les jours de fête"

I - Introduction

Alors que l'on répète à l'envi que nous entrons dans "l'ère des loisirs", que se multiplient les propositions de voyages d'agrément aux quatre coins du monde, le dimanche se trouve menacé. Des pressions de plus en plus fortes sont exercées pour que les deux jours de repos hebdomadaires puissent être pris par roulement tout au long de la semaine. Les fêtes religieuses - en particulier chrétiennes - sont mises au second rang. Si Noël tient bon parce qu'il est magnifiquement situé au coeur de l'hiver et qu'il permet, joint au premier de l'an, une salutaire "trève des confiseurs", Pâques est maintenant détaché des vacances scolaires (on a des vacances de carême). N'ai-je pas entendu un syndicaliste communiste proposer que 15 août soit travaillé pour permettre un pont à l'occasion... du 14 juillet ?! Quant au dimanche, il n'est hélas plus rare qu'il soit jour d'examen. Il faut reconnaître que certaines autorités religieuses se sont montrées plutôt molles sur ce point. S'il est certain qu'une messe anticipée au samedi après-midi peut rendre service à des voyageurs, que penser de ceux qui en usent systématiquement car, comme me l'a dit une fois une personne pourtant dans la force de l'âge "Ensuite on regarde la télévision et le dimanche nous sommes tranquilles "?

On s'éloigne de plus en plus de l'obligation de sanctifier le jour du Seigneur.

 

II - Nécessité du repos

Personne ne nie la nécessité du repos, et cela, depuis les temps les plus anciens. Elie, Jonas sont décrits dans la Bible en train de dormir (III Rois 19-5)(Jon 1-5). Notre Seigneur a connu la fatigue, ne serait-ce que lorsqu'il s'assit au bord du puits où vint Le voir la Samaritaine. Il était endormi dans la barque secouée par la tempête et surtout, le Créateur se reposa le septième jour, ce qui a été écrit pour nous montrer que nous devions nous reposer. C'est Satan qui est représenté comme n'ayant aucun repos, errant sans cesse en des lieux arides. Cela montre bien que nous devons plaindre ceux qui travaillent trois cent soixante jours par an comme - paraît-il - certains Asiatiques, et qu'ils ne sauraient en aucun cas nous servir de modèles car ils sont esclaves de maîtres rapaces ou de leur propre cupidité. Il importe de se rappeler plus souvent cette belle phrase que peu savent être tirée de l'Evangile : "A chaque jour suffit sa peine" (Mt 6-34).

Il faut d'ailleurs remarquer que personne ne peut travailler indéfiniment, du moins s'il le fait avec intensité. Qu'il me soit permis de rapporter un souvenir personnel. Ayant été élève dans ce qu'il est convenu d'appeler les classes de "taupe", je puis affirmer que, après trois ans d'un régime d'études intensif, nous étions devenus des athlètes intellectuels. Or, le jour du concours, la durée totale des épreuves était limitée à six heures (exceptionnellement sept). C'est à mon sens la limite supérieure de la durée d'un travail intensif, du moins dans le domaine cérébral.

III - Nécessité de la fête

La fête est tout aussi nécessaire que le repos. Toutes les civilisations ont rythmé de fêtes le cycle des années et de la vie des familles : entrée dans la vie (circoncision, baptême, etc...) mariage, deuil etc... C'est une fête, les noces de Cana, qui marqua le début de la vie publique du Christ. On y servit "le meilleur vin" alors qu'"on était un peu gris" (Jn 2-10). Il fallut attendre le jansénisme et le puritanisme pour que d'austères censeurs se croient tenus de tancer les jours de liesse et, à leur suite, les sinistres existentialistes chanter : "Je hais les dimanches". Le Canadien Félix Leclerc riposta par une autre chanson dans laquelle il disait en substance que ceux qui n'aiment pas le dimanche n'ont probablement jamais trimé le long d'une semaine entière.

IV - La sanctification de la fête

Cela dit "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu" (Cor. 10-31). Même ceux qui veulent rester à l'écart du message chrétien donnent à la fête une autre dimension que purement matérielle : habits de fête, chants et danses ou tout simplement "une belle nappe", un bouquet de fleurs, quelque chose de gratuit. Il est indubitable qu'un travail acharné tend à accaparer complètement les facultés vitales de l'homme (après un grand chagrin, bien des hommes "s'étourdissent dans le travail" ce qui est certes mieux que s'abrutir dans le vin!"). Dès lors l'exercice de la plus haute qualité, la faculté d'adoration, risque d'être mise au second plan. Il faut rappeler sans cesse que la contemplation est supérieure à l'action dont elle est normalement la source. Une action sans contemplation tourne rapidement à une course à l'efficacité pour elle-même, avec tous les dangers qui en découlent. "L'action sans conscience" ne vaut guère mieux que la "science sans conscience" dont Rabelais affirmait qu'elle était ruine de l'âme. Une fête complète ne se conçoit que si elle intéresse tout l'homme, y compris ce qu'il a de plus élevé. Pasteur était ce que l'on appelle un "bourreau de travail" mais la petite église de sa ville d'Arbois signale par une plaque l'endroit où il avait coutume de prier.

V - Les raisons de l'idolâtrie moderne du travail

Le travail est une nécessité, à vrai dire antérieure au péché originel dont l'effet fut de le rendre pénible. Avant la faute originelle "le Seigneur Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver" (Gen 2-15) mais le travail ne peut jamais être une finalité car, ayant sa source dans l'homme, il lui est inférieur. Ramener l'homme à sa capacité de travailler, à son emprise sur la matière, ne conduit qu'à le diminuer spirituellement.

La raison avancée le plus souvent pour "aménager les temps libres" - c'est-à-dire les réduire à un repos purement organique pouvant être pris n'importe quand - est d'ordre économique. Les outils modernes, de la chaîne de fabrication à l'ordinateur, sont d'une complexité en rapport avec leur puissance et entraînent des investissements considérables, dès lors il est bien tentant de ne considérer leurs desservants humains que comme des serviteurs (j'allais dire des esclaves) de l'outil dont les nécessités doivent primer. Dans certains cas ce peut être partiellement justifié.- on ne peut arrêter une installation thermique chaque semaine sous peine de sérieuses avaries, il faut des garde-malades en tous temps etc... - mais un examen sérieux montre que ce sont des cas exceptionnels. Naguère (peut-être encore maintenant ?) il y avait à la Foire de Paris une "messe des exposants" qui donnait à ceux qui le désiraient la possibilité d'y assister avant l'ouverture de l'exposition. L'ouverture des grandes surfaces, des magasins de meubles ou de voitures relève beaucoup plus de l'esprit de lucre que de celui de service. L'affaire n'est pas nouvelle et on peut lire sous la plume du prophète Isaïe : "Au jour de votre jeûne on vous trouve traitant vos affaires et poursuivant vos débiteurs. Vous jeûnez pour vous disputer et vous quereller et vous jouez du poing sans pitié" (Is 58-4). Les "gens sérieux" affectent de s'occuper "d'affaires sérieuses" avec des sourires de croque-morts dans l'exercice de leurs fonctions, mais ce n'est que l'amour de l'argent et de la puissance - c'est-à-dire d'eux-mêmes - qui les anime - ce qui en définitive n'est guère sérieux car on n'a jamais vu un coffre-fort suivre un enterrement !

La raison profonde est d'un autre ordre, et tous le ressentent parfaitement. Elle se résume dans l'expression bien connue "Ni Dieu ni maître" (variante humaine du satanique "non serviam"). Elle s'exprime parfois crûment comme lors d'un congrès tenu à Royaumont à propos duquel le professeur Lejeune rapporte qu'une intervenante déclara "Nous voulons détruire la civilisation judéo-chrétienne" (Cf Pro Europa n.8). Dans cette optique Dieu n'est qu'une imposture, un "empêcheur de tourner en rond" qui doit être écarté aussi radicalement que possible. Pour tuer toute vie spirituelle, le moyen est bien connu : empêcher toute réflexion, toute contemplation, toute prière, s'abrutir et abrutir les autres dans l'action, dans une recherche d'efficacité pure. Ainsi prisonniers d'un mouvement brownien accéléré, "n'ayant plus ni samedis ni dimanches, ni vacances" l'homme sera dans les conditions idéales pour oublier qu'il est créé à l'image de Dieu et à ce titre ordonné à participer à l'Amour Infini dans une éternité lumineuse.

De même la notion de fête est dénaturée. Il n'y a guère de fête familiale possible surtout à un échelon assez large. Les fêtes officielles se réduisent à un lavage de cerveau collectif (cf la dernière fête du 14 juillet 1989) ou bien à un abrutissement sans raison particulière (on "fait la fête"). On a largement daubé sur les bons repas qui suivaient les messes de minuit ou certaines premières communions, mais que dire des "soirées" organisées dans des camps de toile si ce n'est que, du coup, la messe n'y est même pas mentionnée.

VI - Conclusion

Ainsi que l'a rappelé le Pape "l'homme vaut ce que vaut son amour". Vouloir supprimer toute élévation vers Dieu, c'est mutiler l'homme de sa dimension la plus noble : sa capacité de recevoir l'amitié que Dieu lui offre. C'est bien dans ce sens qu'Isaïe donnait cette condition au bonheur "Si tu trouve le sabbat une journée exquise, si tu trouves respectable le jour consacré au Seigneur". C'est dans la prière que nous pouvons puiser les forces véritables pour une action débouchant sur une fécondité et non pas ordonnée à une simple efficacité. L'histoire nous apprend que les grands saints actifs ont été d'abord de grands contemplatifs. Il faut affirmer bien haut la nécessité du repos et des "congés" mais aussi celle de leur donner une dimension spirituelle. Antée, nous dit la mythologie, reprenait des forces en touchant la terre, nous pouvons et devons en reprendre en nous replongeant en Dieu, dans le coeur du Christ et de Sa Mère, au moins - pour les incroyants - dans la contemplation des beautés qui nous entourent. Ajouter au "jogging" un quart d'heure de promenade pour centempler les merveilles de la nature, est-ce trop demander ? Ainsi chaque dimanche sera l'occasion d'un nouveau départ vers notre famille, vers nos concitoyens, vers Dieu.

Jean-Bernard Leroy

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