Premier commandement

En lui et en son semblable se réduisent toute la Loi et les Prophètes.

"Tu adoreras Dieu seul"

I - Introduction

Placer ce commandement à la fin pourrait paraître une simple provocation... En réalité ce commandement est à la fois le résumé, la synthèse, la source et l'aboutissement de tous les autres. Faut-il placer résumé et table des matières au début ou à la fin d'un ouvrage ? Moïse, dans la Bible l'a mis en tête comme la fondation et la raison d'être de la vie spirituelle du peuple de Dieu, le danger de son époque était le polythéisme, syncrétisme boiteux des idéologies en cours. De nos jours les idéologies dominantes affichent la négation de Dieu et débouchent sur la destruction de l'homme.C'est par la reconstruction de l'homme qu'il a semblé nécessaire de commencer : reconstruction de sa dignité dans sa liberté, dans sa capacité d'aimer qui est autrement plus digne d'intérêt que son rôle de producteur et de consommateur. Il a paru "logique" de terminer par ce qui fonde cette dignité : sa qualité de créature à l'image d'un Créateur. Ceux qui seraient par trop choqués de ce cheminement n'ont qu'à placer ce chapitre en tête ce qui est logique dans l'ordre de la pensée à défaut de l'être dans l'ordre existentiel... pardon à ceux qui seraient scandalisés par une inversion qui n'a pour but que de chercher à rejoindre nos contemporains où ils se trouvent.

 

II - Nécessité philosophique de l'adoration

Bien des propositions et bien des bêtises ont été écrites sur les "preuves" de l'existence de Dieu. Comme l'a dit maintes fois le Père Marie-Dominique Philippe sans lequel ces lignes n'auraient pu être écrites (je ne le citerai pas à chaque ligne, je précise simplement que ce qu'il y a de juste dans ces lignes vient de lui, le reste de moi...) les arguments apologétiques sont en général très faibles et toujours marqués de leur époque donc ils vieillissent très mal. L'homme ne trouve pas Dieu à l'intérieur de sa pensée : les efforts de Descartes pour prouver l'existence de Dieu "modo geometrico" sont sans lendemain quelque sympathiques qu'ils fussent dans un premier temps. On ne saurait avoir une "idée" de Dieu, ce serait l'enfermer dans notre pauvre cervelle et cette idée serait évidemment fausse. On ne peut trouver Dieu qu'en se dépassant, on ne peut ressentir la nécessité de Son existence que comme l'Etre qui a mis en nous toutes les aspirations à la perfection que d'autres humains réalisent souvent mieux que nous sans jamais atteindre la plénitude. Nous sommes tous "en puissance" (si l'on préfère en virtualité) à notre existence, à nos capacités intellectuelles ou affectives, et cet "être en puissance" suppose un "être en acte", Acte Pur, Moteur Immobile c'est-à-dire cause de nos transformations sans être lui-même sujet au changement. C'est cet Etre parfait que le philosophe identifie à la fin de sa course comme celui que les traditions religieuses appellent Dieu et qui par conséquent est infini, éternel et surtout créateur de toutes choses, source de notre être dans toutes ses modalités.

Dès que, par ce "jugement de sagesse" qui est tout autre chose que les conclusions d'un physicien ou d'un mathématicien, l'homme s'est aperçu que son être dépend radicalement de l'Etre premier, Celui-là même que les traditions religieuses appellent Dieu, il ressent la nécessité de l'adoration : reconnaissance de sa dépendance totale dans l'ordre de l'être. Mentionnons au passage la différence entre l'être et l'existence : mon voisin de train ou d'avion est horriblement gênant : il souffle, il est gros, m'encombre avec ses bagages, sent un peu mauvais... bref son existence m'est insupportable ! Dans l'ordre de l'être, il reste merveilleux avec son intelligence et sa capacité d'aimer et d'être aimé, ses facultés créatrices et... c'est cet être que Dieu soutient à chaque instant, nous laissant libre d'organiser notre existence comme bon nous semble, fût-ce à notre propre détriment si nous en décidons ainsi.

L'adoration est nécessaire à l'homme, véritable respiration de l'âme, "ressourcement" vers notre cause comme le dit mal ce néologisme, acte de reconnaissance envers Celui qui nous a créé par pure gratuité et nous maintient par pur amour ; cela les plus élevés des philosophes païens l'avaient parfaitement compris.

III - L'idolâtrie, une passion sanguinaire

Il est évident qu'il est quelque peu fatigant de rester sur ces hauteurs et la sagesse n'est pas prisée de tout le monde... on lui préfère l'efficacité plus immédiatement utile dans un monde difficile où il faut se battre pour assumer ses responsabilités d'homme, de parent, de citoyen, de "professionnel". C'est d'ailleurs dans l'ordre de l'efficacité que l'on trouve tous les arguments contre l'existence de Dieu : maladies, guerres, trahisons multiples, misère, tout cela ne devrait pas exister, n'existerait pas si Dieu agissait uniquement dans l'ordre de l'efficacité où ce ne sont que des échecs cuisants. Dès lors l'homme cherche à "mettre de son côté" des forces qui pourraient lui être contraires. Cela a conduit aux premiers temps de l'humanité à l'animisme : on a personnalisé puis déifié les grandes forces de la nature : astres et saisons, le vent, la mer ainsi que les esprits des troupeaux nécessaires à la subsistance des chasseurs qu'étaient nos ancêtres. Par la suite, on a cherché à s'allier tout ce qui peut vous assurer la puissance : au premier rang de ces idoles figure l'argent mais avec l'organisation de nos sociétés sur le plan politique on vit apparaître les idéologies présentant comme absolu tel bien particulier, le plus souvent tel aspect de la liberté humaine. Un sommet dans cet ordre - si l'on peut dire ! - est atteint dans l'athéisme contemporain dont on peut compter sept têtes, comme celles de la Bête de la mer de l'Apocalypse (Ap 13-1) :

Nietzsche et la volonté créatrice : si Dieu est créateur, je ne puis l'être,

Darwin et l'évolutionnisme absolu : l'évolution ne saurait être limitée par un Dieu créateur,

Freud et la primauté du "moi" (Dieu est aliénant),

Sartre et la liberté (si Dieu existe, je ne suis pas libre),

Marx et la révolte (l'esclave doit prendre la place du Maître, et le Maître par excellence, c'est Dieu),

A. Comte et le scientisme (seul existe ce que l'homme peut prouver scientifiquement),

Harmann et l'exaltation de la volonté (je suis responsable de mes actes, donc Dieu n'existe pas).

On pourrait discuter de tel ou tel détail, mais ces directions existent. Toutes ces idéologies partent d'une fausse idée de Dieu, et elles sont toutes effroyablement sanguinaires, des guerres d'enfer de la révolution aux camps de concentration et aux goulags. Actuellement, c'est par centaines de milliers qu'il faut compter les enfants sacrifiés dans le sein de leur mère au Moloch de l'avortement "libre et gratuit" au nom du "droit" de certains à disposer de la vie d'autrui. Quant à l'argent, il est derrière tous les vices : "la pilule est très rentable" "le porno est une bonne affaire" "il est financièrement beaucoup plus intéressant de mettre la France en friches que de secourir le tiers-monde". Que l'on pense à la paupérisation du dit Tiers Monde ou aux guerres "économiques" destinées à s'approprier ou à garder l'exclusivité des parts de la richesse mondiale. Il est symptomatique que, après avoir dit qu'on ne pouvait adorer deux maîtres (Mt 6-24) le Christ a ajouté non pas "Dieu et Satan" mais "Dieu et l'Argent" comme si l'argent était d'une certaine manière l'incarnation de Satan.

Dans le fond, l'homme reste toujours tenté de s'adorer lui-même, de se mettre à la place de Dieu "connaissant le Bien et le Mal" (Gen 3-5) à partir de quoi, les autres hommes n'ont qu'à "se jeter à ses pieds et l'adorer" !... (Mt 4-9).

Bien sûr ce n'est pas toujours aussi net (cela confinerait à la folie - mais cette tendance reste sous-jacente à une bonne part des activités de beaucoup... Pour ne citer qu'un exemple, que l'on regarde nos hommes politiques !

IV - L'adoration, une vraie libération

Si tout cela provoque une ivresse passagère, l'homme n'en retire en fin de compte que le désenchantement, la honte et la mort comme l'Ecclésiaste le proclamait "Vanité des vanités, tout est vanité" (Ecc 1-2). Des tristes rentrées de débauche qu'à peintes Toulouse-Lautrec au désenchantement de Napoléon parcourant le champ de bataille d'Eylau tel que le représente Gros c'est toujours un goût de cendre que laissent des activités uniquement humaines "car le résultat de tout cela c'est la mort" comme l'a dit Saint Paul (Rom 6-21) L'homme est trop grand pour trouver sa fin en lui-même. Nous sommes de la race, de la famille de Dieu, Il a laissé en nous son empreinte indélébile et les océans pourraient passer dessus sans l'entamer. L'adoration est une libération de nos forces les plus profondes. Il est frappant de comparer les deux livres les plus courts de l'Ancien Testament : l'Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques. A la mélancolie désabusée de Qôhèlet répond l'amour brûlant sans cesse renaissant de l'Epouse et de l'Epoux. Qui oserait dire que la vertu de Religion rend triste sinon les puritains de tout poil qui ne cherchent Dieu que dans des règlements !...

V - Conclusion

Comme tous les commandements, mais avec une intensité particulière, le premier commandement est celui de la libération de l'homme grâce à la Vérité : Vérité de notre être créé et soutenu par Dieu dans son être, créé à Son Image car nous avons au plus intime de notre être Sa marque dans notre capacité d'amour et de contemplation. Ne plus se contenter de nous regarder nous-mêmes avec en fin de course la rage au coeur d'éprouver nos limites avec d'autant plus de netteté que nous sommes clairvoyants, mais se tourner vers Dieu qui nous appelle à la lumière et nous donnera "tout le reste par surcroît" (Mt 6-33, Lc 12-31).

Jean-Bernard Leroy

Dans la revue Pro Europa, ce texte a paru après les autres.

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