D'UN FONDAMENTALISME A L'AUTRE

Dévotion au marxisme et fondamentalisme athée

L'élimination des religions non séculières et la promotion du fondamentalisme athée faisait partie du programme originel du communisme. C'est la Russie qui fit la première les frais de l'application de cette idéologie. Plus tard, dès qu'ils furent victorieux en Chine, les communistes essayèrent au travers de 1 Association Patriotique de faire adhérer les catholiques au matérialisme athée, négation de Dieu et des valeurs spirituelles. Ces tentatives d'assujettissement du pouvoir spirituel au pouvoir temporel perdurent dans lEmpire du Milieu. En 1991, les jeunes prêtres de l'église officielle étaient priés de participer à 6 mois de formation sur le marxisme, le socialisme et la politique religieuse. Depuis 2 ans, le parti communiste a redoublé d'activisme antichrétien, rasant plus de 1. 500 églises et torturant de vieux prêtres rebelles. Mais cette répression a renforcé l'Eglise souterraine : l'intransigeance du régime envers "ceux que leur foi condamne d'emblée" a poussé vers le Vatican la plupart des catholiques de l'église officielle. Les 5 évêques nommés l'an passé avec la bénédiction du parti communiste sont désormais très isolés et les 16 prochains qu'il a choisis refusent d'être consacrés sans l'aval du Pape. Si le problème des ordinations est important pour le gouvernement chinois, il l'est plus encore pour l'Eglise puisqu'il n 'y en a pas eu pendant plus de 30 ans. « Les prélats chinois ont aujourd'hui 80 ans ou davantage, et leurs éventuel successeurs tout juste la trentaine ». En octobre 2000, Beijing a violemment réagi après la reconnaissance officielle des martyrs chinois par le Vatican : « lis méritaient de mourir », avait alors déclaré le parti communiste. Pourtant, les' catholiques représentent moins de 1 Vo de la population. Une telle rigidité exprime l'angoisse des dirigeants chinois devant la montée du sentiment religieux et le rôle que joua le Vatican dans l'effondrement du communisme en Europe Centrale. D'autant qu'au long des siècles, les mouvements paysans qui ont renversé les dynasties impériales ont presque toujours été liés à une renaissance spirituelle.

Au Vietnam, bien des chrétiens s'étaient dévoués à la cause de l'indépendance, du temps où elle n'équivalait pas au communisme. Mais après sêtre hissés au faîte du pouvoir, ceux pour qui la Révolution était devenue une nouvelle foi persécutèrent les Eglises chrétiennes et bouddhistes. Aujourd'hui, les ardeurs anti-religieuses des intégristes du communisme se sont tassées. Ils ne tentent plus d'éradiquer le catholicisme mais de « l'embaucher » pour mieux le contrôler et l'orienter. Avec l'espoir chimérique qu'à terme, lorsque la foi des fidèles sera affadie, leur généreux activisme social s'épanche hors de l'Eglise, dans des mouvements de masse pilotés par le parti. Au Laos, le gouvernement tolère moins qu'au Vietnam les activités caritatives des religieux: ainsi, des religieuses infirmières ne peuvent pas travailler dans les hôpitaux, alors que des médecins les y réclament.

Dans ces 3 pays communistes, la Chine, le Vietnam, le Laos, les dirigeants voulaient amener les chrétiens à servir d'abord le pouvoir en place, et Dieu ensuite. Ou à ne servir Dieu que dans la mesure où cela rejoint les intérêts du parti. Or si les chrétiens cherchent à vivre un idéal de service, ils n'ont pas à se laisser instrumentaliser par un pouvoir politique quel qu'il soit. Au Vietnam, un modus vivendi s'installe peu à peu entre l'Eglise et le gouvernement Peut-être évoluera-t-il vers une claire séparation des pouvoirs rendant à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ce serait un rempart pour le christianisme qui pourrait se retrouver à long terme face à un fondamentalisme tentant d'asseoir la primauté du bouddhisme au Vietnam. En effet, certains bouddhistes distinguent parfois mai la frontière entre politique et religion comme le montre l'épisode de Hoa Hao où 7 moines ont été condamnés. De la période communiste, l'Eglise vietnamienne pourrait finalement retirer cette mise au point pour se prémunir d'un éventuel fondamentalisme bouddhiste utilisant la religion pour faire de la politique. Quand les communistes quitteront le pouvoir, il n'est pas sûr que cessent les difficultés de l'Eglise et qu'elle ne doive pas continuer de se défendre. Actuellement, bouddhistes, catholiques et caodaïstes se rejoignent pour préserver tant bien que mal la liberté religieuse contre les empiètements du pouvoir politique. Mais que se passera-t-il une fois démembré le régime de parti unique ? Dans certaines régions du Vietnam, l'Eglise ne risque-t-elle pas alors de subir des persécutions, non plus d'origine politique mais religieuse~ comme celles que connaissent les chrétiens d'Inde ou dIndonésie ?

Le regain du fondamentalisme religieux antichrétien

A côté du fondamentalisme athée d'origine marxiste, existe un fondamentalisme d'essence religieuse. Il veut diriger toutes les composantes de la vie et ne tolère pas la présence d'autres religions. C'est le danger du fondamentalisme hindou en Inde à l'encontre des musulmans et des chrétiens. C'est le danger du fondamentalisme musulman contre les chrétiens d'Indonésie. Au reste, ces radicalismes religieux sont souvent attisés par des mouvements politiques.

Ce que l'on reproche d'abord à l'Eglise d'Inde, c'est son succès. On accepte mal son influence jugée disproportionnée sur la société, bien que les fidèles de Rome aient renoncé depuis longtemps à convertir qui que ce soit dans ce pays. Le nombre de vocations religieuses est passée de 35. 000 en 1969 à 97. 000 en 1999. Il a augmenté presque 2 fois plus vite que la population. L'Eglise est le second opérateur social d'Inde. Les chrétiens y animent les meilleures écoles et hôpitaux. La principale figure de l'opposition, présidente du Parti du Congrès, est une catholique, Sonia Gandhi, veuve de Rajiv Gandhi et belle-fille d'Indira. Cela étant, la plupart des chrétiens ne sont que des citoyens de second rang et l'Eglise, minorité religieuse, ne dispose pas de vraies protections. Pour preuve, les offensives antichrétiennes de ces dernières années. Lors de celles de 1999, aucun attentat n'a visé les prestigieuses écoles chrétiennes des grandës villes où les élites envoient leurs enfants. Tous les incidents ont eu lieu dans des régions reculées où les œuvres sociales des missionnaires sapent le système des castes et son inégalité institutionnelle : là, les chrétiens éduquent les pauvres et leur font découvrir leurs droits. Des ONG dénoncent la complicité du parti hindouiste au pouvoir dans les violences antichrétiennes. De fait, ce parti réclame le retour à un hindouisme pur faisant table rase de toute influence étrangère. Son bilan mitigé l'incite à rechercher des boucs émissaires en désignant comme étrangers les croyants des religions minoritaires. Les chrétiens remplissent ce rôle à merveille : leurs écoles sont perçues comme élitistes par la majorité dés habitants qui les associent aux anciens colonisateurs. « Nous constituons une cible idéale. Nous sommes peu nombreux, et à l'exception du Sud-Ouest, très dispersés à travers le pays. Donc vulnérables », assure Cédric Prakash, de l'Union Chrétienne pour les Droits de lHomme.

En Indonésie, seulement 5 % de la population est chrétienne. Dans l'archipel des Moluques, les chrétiens ont longtemps été majoritaires, mais l'islamisation les a relégués au rang de minorité. L'affaire d'Amboine de Noël 2000 a été dirigée de l'extérieur des Moluques avec « un objectif de nettoyage ethnique fondé sur la haine envers la religion chrétienne ». Au delà de la communauté chrétienne, c'est l'actuel gouvernement qui est visé. Comme lors des massacres de 1997-1998, des gens utilisent des radicaux islamistes mais aussi la pègre, la police, l'armée, pour provoquer des incidents en espérant renforcer leur pouvoir par ce biais Souvent, les forces de l'ordre restent étrangement passives devant les églises en feu, la chasse aux chrétiens ou le chantage destiné à les convertir à l'islam. Plus de 200 églises ont été incendiées en Indonésie depuis le départ de Suharto. Si l'origine des problèmes n'est pas religieuse mais politique, il n'en demeure pas moins que des chrétiens sont persécutés et que l'islamisation s'accentue. Un an de violences interconfessionnelles et ethniques ont radicalisé une partie de la société civile. « La crise économique aidant, des dirigeants politiques de premier plan, notamment Amien Rats, président de 1 Assemblée consultative du peuple, ont pour la première fois ouvertement dénoncé le christianisme de l'Indonésie et appelé à une réaction de l'islam dans ce pays où la religion avait toujours été soigneusement tenue à l'écart de la politique » .

Les nouveaux martyrs, victimes du fondamentalisine laïc

Croire au Christ « exige de prendre position pour lui. Et il n'est pas rare que ce soit comme un nouveau martyre : le martyre de celui qui, aujourd'hui comme hier, est appelé à aller à contre-courant pour suivre le Divin Maître »2. Cet appel à la résistance spirituelle concerne en particulier la civilisation occidentale, vers laquelle tant d'asiatiques tournent leurs regards. Les courants qui y dominent actuellement orchestrent l'irréligiosité et promeuvent une culture systématique de mépris et de dérision à l'égard du catholicisme. Sombrant dans l'intolérance, les médias ridiculisent des traditions religieuses millénaires. Pourtant, cette civilisation qui fait complaisamment le lit du fondamentalisme laïc, est en pleine recherche spirituelle. S'il est clair « que l'Occident a vaincu la matière, qu'il a remporté la course à la puissance, il est tout aussi évident qu'au creux de cette béatitude matérielle, l'on ressent comme un manque, une absence qui n'a pas de nom : le désenchantement, peut-être » 3 « L'homme moderne reste religieux, mais il a perdu le chemin de l'Eglise. Il a abandonné « ce Dieu qui n'abandonne pas, même quand Il paraît abandonner » 4

Ces Droits de lHomme auxquels on pense si peu...

« Si je devais citer le trait principal du XXème siècle: les hommes ont oublié Dieu ». Mais Sojénitsyne sait bien que même une société d'incroyants ne peut s'empêcher de croire. On croit donc à l'argent et à l'hédonisme. La conquête des marchés a succédé à celle des esprits. On croit aussi à un activisme ne laissant pas de place à la vie spirituelle, en oubliant « qu'un homme pieux en fait plus en une année qu'un autre en toute sa vie ».5; que l'homme doit être uni à Dieu par la prière, afin de préserver son intégrité personnelle et conférer le maximum d'efficacité à son action 5. C'est le règne des possessions matérielles vécues comme un aboutissement, de la noyade dans le futile ou la victoire du stress. Ne pas vivre superficiellement est devenu un combat encore plus dur qu'auparavant. Soljénitsyne récuse le matérialisme moderne et appelle à une régénération spirituelle de l'Occident. Il revendique tous ces Droits de l'Homme oubliés par la civilisation moderne : le droit au silence, à la méditation intérieure, le droit de n'être pas distrait par des informations inutiles. Dans une société où le laïcisme se radicalise, il défend les droits de l'âme et appelle à « retrouver le courage de la vie intérieure, le primat de la conscience ». Car c'est en manquant à l'éternité que les hommes ont manqué à leur temps.

Avec d'autres mots, le Dalar-Lama dresse un constat similaire. « Sous une opulence superficielle, se propage une espèce de malaise, source de frustrations ». L'acquisition matérielle devient la priorité de la vie, la solitude envahit toute la société. Par delà, « se trouve quelque chose de plus fondamental : le manque de soins apportés à ce que j'appellerais notre dimension intérieure » 6.

Qu'on ne s'y trompe pas. Cette crise du sens née en Occident, l'irréligiosité et le fondamentalisme laïc qui l'accompagnent, ont commencé de frapper 1' Asie. Comme l'Occident, 1' Asie est riche d'antidotes millénaires. Il est temps qu'elle les remette à l'honneur. Pour cela, il n'est que de prêter attention au grand message que l'Inde adresse au monde moderne, à savoir que lêtre prime sur l'avoir. Ou de revenir à Lao Tseu qui, il y a 2.500 ans, enseignait déjà que « la seule manière d'accomplir est d'être ».

Sir Tomba

' Valeurs actuelles, 28 avrîl 200.

2 Jean Paul Il, Tor Vergata, 19 août 2000

3 Le génie de 1'lnde, Guy Sormen

4 Saint Augustin

5 Louis Lalemant, mystique du XVIIème siècle

6 DalarLama

NHAN_QUYEN_57_mars_2001

retour