EDITORIAL

 

LITURGIE ET POLITIQUE

La liturgie millénaire

Le sacrifice du Christ rendu présent par la liturgie sous les espèces du pain et du vin transsubstantiés déploie certains effets dans la vie politique. S'il mène la vie de Dieu même dans le coeur de chaque fidèle, il agit aussi dans la société, en suscitant des organismes civilisateurs capables d'atténuer les séquelles du péché originel et de rendre plus aisée l'entrée des homes dans la vie éternelle. L'accroissement de la foi opéré à la Messe rejaillit sur la cité pour l'ordonner de plus en plus à la finalité prévue pour elle par le Créateur.

Bien plus, le rite même des offices influence normalement la vie politique. La liturgie millénaire codifiée par le pape de Lépante est toute entière tournée vers Dieu "spirituellement et corporellement, prêtres et fidèles; elle reflète l'ordonnancement de l'univers visible et invisible' une Incomparable diversité irradiée par l'amour. Dans le Royaume (ce n'est pas une Démocratie), il y a des grands et des petits, des personnes diverses capables de Dieu chacune selon sa mesure, faible ou grande, comme un parterre de fleurs diverses, plus ou moins belles ou odorantes. La liturgie traditionnelle, une dans son esprit, dans sa substance, dans son climat mystique rendu patent par le chant grégorien, cette liturgie est génératrice d'ordre. Elle ordonne les fonctions les unes aux autres et engendre un style de vie politique qui est reflété dans les encycliques sociales "la société civile est un univers de communautés vivantes, subordonnées les unes aux autres de diverses manières, où chacun, à son rang, est au service du prochain tout en pouvant s'élever par ses mérites au par grâce. La liturgie traditionnelle n'est pas le produit des structures politiques de l' empire romain; elle en a simplement utilisé et rendu efficaces les éléments de valeur permanente. De même que dans le Royaume, il y a un Roi, un berger qui connaît ses brebis, de même qu'une communauté a normalement besoin d'un chef responsable, sensible aux besoins profonds de chaque membre, de même encore la cérémonie liturgique a besoin d'un célébrant responsable devant Dieu, autre Christ présentant le sacrifice au Père. La participation consiste ici à adhérer intensément à l'action liturgique conduite par le Prêtre.

Au Calvaire, seul le Christ est en Croix. Les disciples fidèles sont au pied de lArbre; chacun s'insère dans l'acte rédempteur selon son état intérieur eles hommes de bonne volonté se convertissent, et les hommes de ténèbres s'endurcissent. La Cène qui rend présent l'Unigue sacrifice lui est par nature conformée, et l'homélie elle-même devrait converger vers l'une des Sept paroles.

Ajoutons que le Christ, durant sa vie publique a enseigné avec autorité; jamais il n'a fonctionné comme animateur d'un groupe. Il vit les Béatitudes dans sa vie cachée, puis il les énonce avec autorité. Il lave les pieds de ses disciples, mais réprimande vertement Pierre. En Croix, il enseigne toujours, et ressuscité, il édifie encore ses amis, à l'Ascension, il enjoint ses disciples d' enseigner avec son autorité. Son Sacerdoce vient d'En haut, et non d'un peuple.

Le nouvel esprit liturgique

Telle qu'elle apparaît actuellement, la nouvelle liturgie manifeste un changement important,"une mutation". Le climat ordonnateur cède la place à un climat socialisant. Le sacrifice auquel ciel et terre sont suspendus s'estompe devant le repas égalitaire; le célébrant n'est plus qu'un président, qui agit comme les autres participants. Au Sacrifice rendu présent succède le repas mémorial démocratique. Le nouveau rite, par sa logique interne, pousse la vie liturgique vers une socialisation de plus en plus marquée. Dans les eucharisties les plus "avancées" méme, tout le monde concélèbre, hostie en main; l'assemblée se stimule elle-même grâce à des animateurs discrètement disséminés. Une chorale, trop "directive", gêne; le chant grégorien s'évanouit, parce que mystique.

Dieu est en liberté, paraît-il (c'est le titre d'un livre); cela se remarque à ceci : les fidèles sont livrés pratiquement aux fantaisies du célébrant; la liturgie évolue continuellement, et le nouveau rite tel qu'il est promulgué, n'existe plus dans certaines régions. L'unité visible est rompue.

On reconnaît l'arbre à ses fruits; la première récolte laisse songeurs beaucoup d'hommes engagés dans leur devoir d'état civique, professionnel, ou familial, car bien des responsables insérés dans les nouvelles pistes glissent à gauche en y entraînant leurs fidèles ; ils acceptent et réalisent des idées dont le point omega est l'analyse marxiste de la société; ils adoptent le détournement marxiste de l'évangile" le salut par la lutte des classes. N'estil pas risqué d'introduire tous ces conseils et commissions "démocratiques" dans une institution qui par essence ne peut l'être ? N'est-il pas risqué aussi de miser en catéchèse sur la pédagogie utopiste d'un Carl Rogers pour lequel, comme pour Rousseau, l'Homme naît bon et s'instruit lui-même, ce qui est contraire à la Révélation

La conséquence la plus écrasante surgit au plan politique, et un citoyen a le droit de faire entendre une plainte vigoureuse. On peut constater en effet que

les états traditionnellement chrétiens passent peu à peu au communisme, et ce n'est pas l'adoption de la nouvelle liturgie qui freine le mouvement.

Au Portugal, victime la plus caractéristique, plus un seul prêtre ne célébrait selon le rite millénaire, de plus, le clergé "réformé" semble incapable de susciter les élites nécessaires au renversement du processus instauré le 25 avril 1974. La France, autrefois fille aînée de l'Eglise, se transforme sous nos yeux en contre-chrétienté (terme de Marcel Clément), et les fidèles recyclés adhèrent au programme de gauche commun aux deux blocs; qui peut enrayer cette décadence ? Le Brésil et le Chili, qui ont éjecté les collectivistes en 1974 et en 1973 subissent les assauts d'une camarilla ramifiée jusque dans l'épiscopat des Etats-Unis, or 1'ancienne et pérenne vie liturgique est encore présente dans ces deux nations latines.

En Suisse, où les prêtres attachés à l'immémoriale liturgie ne sont guère ménagés, beaucoup ne comprennent pas l'enjeu des événements portugais; des fidèles, des prêtres, un évêque même s'en réjouissent. Bien plus, des organismes diocésains désirent la mutation dangereuse. L'Action de Carême par exemple émet un texte destiné à convertir les fidèles à la réconciliation par la lutte des classes piège d'autant plus subtil que la révolution doit être permanente.

Le Synode de Fribourg décide de contrer l'encyclique "Humanae vitae" en légitimant l' emploi de la contraception, selon les voeux d' une certaine gauche.

L'armée Suisse serait-elle moins perméable au virus révolutionnaire que l'armée portugaise ? Seule une foi visible peut déceler les symptômes à temps car la subversion s'avance avec les ruses de l' esprit malin: où trouver une telle foi ?

Existe-t-ïl un seul pays traditionnellement chrétien qui, marchant allégrement dans les nouvelles avenues liturgiques, résiste vrai ment aux menées subversives ?

On peut, et on doit se demander si le "courant réformiste" qui oeuvrait au Vatican sous Pie XII, et à son insu jusqu'en 1955 n'aurait pas consenti, lors d'un Yalta secret, à un abandon politique des pays encore chrétiens, en échange de Dieu sait quel avantage. La diplomatie d'un Casaroli diffère-t-elle dans sa finalité de la politique d'un Nicodème : l'abandon des persécutés ?

Baptême de la "démocratie"

Certains assimilent le Concile Vatican II à des Etats généraux de l'Eglise, à savoir : le Concile aurait joué dans la vie de l'Eglise le rôle même qu'ont joué les Etats généraux de 1789 dans la vie de la France. Cela semble malheureusement vrai, et peu nombreux sont ceux qui ont pénétré la nature d'une telle transformation par laquelle on transite de la Bastille à l'Archipel en passant par la Conciergerie.

Augustin Cochin a démontré que les élections au Tiers Etat ont été entièrement truquées par la libre-pensée, et que les organismes "démocratiques" au sens de 1789 fonctionnent suivant un mécanisme rigoureux, par socialisations successives, de la pensée, de la personne, et des biens. Les idées-types accordées à la réalité des choses sont évacuées au profit des idées-mots, véritables explosifs sociologiques "liberté (destruction de la loi naturelle), égalité (négation des hiérarchies nécessaires), fraternité (par coagulation des individus stérilisés).' Aujourd'hui, le trinôme a changé d'aspect, mais pas de substance "libération, participation, réconciliation" pris dans le sens révolutionnaire. Le mécanisme décrit a pénétré certains milieux ecclésiastiques, et les responsables inconscients se réjouissent d'être mieux accordés à leur temps qu'aux permanences dont ils procèdent. Ils passent hardiment d'une société de croyance, accordée à la Révélation, à une société d'opinion, réglée sur le monde : "le chrétien dans le monde de ce temps"....

Quel mystère dans tout cela. Le nouveau rite tenterait-il le baptême de la "démocratie"? Absorberait-il le virus révolutionnaire pour le détruire par la Rédemption ? Les idées radicalement contraires pourtant à l'ordre instauré, par le Créateur peuvent-elles être déchargées de leur nocivité et être sublimées dans les nouvelles formes ? Il ne semble pas que la première et amère récolte soit due uniquement aux traductions; aurons-nous de meilleures récoltes dans l'avenir lorsque la "libération" marxiste des peuples sera opérée, au point de réduire les assemblées de croyants en classes penchées studieusement sur les évangiles recyclés ?

Dieu certes est le maître de l'histoire, et il peut changer subitement toutes nos perspectives. Mais actuellement, la direction gênéralement suivie produit l'aligneront des esprits sur les modèles fabriqués par les idéologues athées, et on ne voit pas ce qui dans les nouvelles formes liturgiques serait capable de viriliser les citoyens en vue du combat pour une chrétienté plus impérativement nécessaire que jamais.

Jean DE SIEBENTHAL

DOCTRINE

LA PARTICIPATION, A QUEL NIVEAU ?

On devrait lire plus souvent Quadragesimo anno. Ne serait-ce que pour s'apercevoir que quelques vérités amorcées par Pie XI non seulement n'ont pas retenu l'attention - ce qui fait, notamment, que l'imagination des chrétiens soucieux de l'ordre social n'a pas été fécondée comme elle devrait l'être, et surtout, que les solutions qu'ils proposent ou qu'ils soutiennent ne sortent quasiment jamais de la problématique libérale ou socialiste ni par conséquent des réponses impliquées par cette problématique même, attendu que la question est la mère de la réponse et qu'il ne faut pas s'étonner qu'une question posée libéralement au socialistement engendre comme par un fait exprès une réponse socialiste ou libérale.

On trouve dans Quadragesimo anno (Emile MARMY, La communauté humaine (2ème édition), St. Pierre, Fribourg 1949) quelques affirmations que nous résumons ainsi :

1. Il existe un bien commun des professions envisagées dans leur ensemble ou si l'on veut, un bien propre à l'activité professionnelle de telle manière que l'organe correspondant doit exister, et orienter l'activité économique vers le bien commun économique.

2. Il existe des intérêts communs à chaque profession - et en conséquence, doit exister l'organe chargé d'orienter l'activité de chaque profession vers ces intérêts communs, eux-mêmes cependant subordonnés au bien commun économique - et par conséquent aux organes (ou à l'organe chargé de pourvoir à ce bien commun).

3. Il existe dans chaque profession des intérêts particuliers à chaque catégorie des "partenaires" en présence (patrons et salariés); et il est loisible de créer des associations propres à chacune de ces catégories.

4. Les personnes d'une même profession gardent, en outre, la faculté de s'associer librement en vue de certains objets qui, d' une manière quelconque, se rapportent à cette profession.

En résumé : à chaque fois qu'on doit envisager un degré de plus dans le caractère commun des biens visés par l'activité économique correspond et doit correspondre un organe qui ait pour tâche de pourvoir à ce bien commun et d'orienter à cette fin l'action de ceux qui sont librement ou naturellement associés en vue de ce bien.

Il est à peine besoin de constater que les organes n2 1 et 2 non seulement n'existent pas, actuellement, mais encore ne sont pas même envisagés On est loin donc d'avoir seulement commencé à réaliser le programme de restauration de l'ordre professionnel esquissé par Quadragesimo anno (il y a quarante-cinq ans, ce qui prouve que l'évolution du monde moderne ne s'accélère pas particulièrement lorsqu'il s'agit de réaliser l'ordre naturel dans la société, et que les chrétiens, pour leur part, ne sont pas particulièrentent d'une rapidité foudroyante dans l'étude de la question).

Mais ce n'est pas ici le lieu de s'appesantir sur les façons de réaliser le programme dessiné par Pie XI. Il faut au contraire répondre à la question posée par le titre.

C'est que, l'organisation économique comprend si on lit bien Pie XI, au moins quatre niveaux :

1) Celui de l'entreprise;

2) Celui des catégories de partenaires à l'entreprise;

3) Celui de la profession;

4) Celui de l'ensemble des professions.

Il y a donc X, corrélativement,

1) le bien commun de l'entreprise;

2) le bien commun de chacune des catégories de participants; dans une même profession,

3) le bien commun de la profession;

4) le bien commun de l'ensemble des professions, ou le bien commun "économique ...

Veut-on une meilleure démonstration de ce que le bien commun est une notion analogue, et non pas univoque ?

La question devient donc : Auquel de ces quatre niveaux faut-il introduire la participation ?

Quelques considérations :

1. Celui qui est chargé du bien commun économique n'est pas la collectivité politique, ni ses organes. A preuve que le passage d'où nous avons tiré ce qui précède suit immédiatement l'affirmation énergique du principe de subsidiarité (Marmy, n£ 572). Citation

Il ... reste ... indiscutable qu'on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leur propres moyens. ainsi ce serait commettre une injustice en même temps que troubler Vote manière très dommageable l'ordre social que de retirer aux groupements d'ordre inférieur , pour les confier à nue collectivité plus vaste et dl= rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes.

A propos de quoi on remarquera ceci : le principe de subsidiarité n'est pas un souhait : c'est un principe qu'on ne peut ni changer ni seulement ébranler, le méconnaître, c'est commettre une injustice et porter dommage à l'ordre social. Une société où il est complètement méconnu est donc une société complètement injuste - à cet égard - et complètement perturbatrice (le l'ordre social. On ne peut donc pas prétendre que Pie XI parle pour ne rien dire ou ouvre une .,piste de recherche" qui ne soit qu'"intéressante". Il dit au contraire que ce principe doit être appliqué dans la vie sociale pour que celle-ci soit juste et ordonnée.

2 Si donc Pie XI énonce comme on vient de le voir le principe de subsidiarité immédiatement avant de parler de l'organisation de la société économique, ce n'est pas pour inclure une parenthèse aussitôt refermée; mais tout au contraire pour dire qu'une organisation (juste et ordonnée) de la vie économique dans la société suppose qu'à propos même de cette organisation on applique ce l'principe si grave de philosophie sociale". Et par conséquent qu'on ne confie pas à une collectivité supérieure (la société politique) ce qu'une collectivité inférieure (la collectivité économique) peut faire de sa propre initiative et par ses propres moyens. A moins bien entendu d'identifier la société politique et la société économique - mais justement alors on manquerait au principe de subsidiarité et l'on créerait une société injuste et perturbatrice de l'ordre social (naturel et véritable)-.

3 Si donc ce n'est pas à l'Etat de s'occuper immédiatement, sur son initiative et par ses moyene, du bien commun économique, c'est la collectivité économique qui doit s'organiser. Et non seulement par des syndicats (ouvriers ou patronaux - c'est seulement le niveau n2 3), mais par un organe chargé immédiatement du bien commun économïque.

Quant à la forme de cette organisation, il en est comme de la forme du gouvernement politique : les homes sont libres d'adopter telle forme qu'ils préfèrent, pourvu seulement qu'il soit tenu compte des exigences de la justice et du bien commun (Marmy, n2 576 a).

Dans cette optique, on constate :

-que la participation est un fait de nature et non de volonté : ce n'est pas une chose acquise : elle est donnée aussitôt qu'on travaille, parce qu'on travaille dans une entreprise, et par là même et nécessairement, dans une profession, et tout le reste suit,

-que par le fait même aussi, tous sont également soumis aux impératifs du bien commun économique (de l'ensemble des professions), au bien commun de la profession, et à celui de l'entreprise

-que dans la mesure où les intérêts des partenaires sont opposés (patrons et ouvriers), les organisations ou associations nées en vue de défendre ces intérêts opposés n'ont pas, de soi, ni même par accident, la vocation de s'occuper du bien commun; exactement comme aucune personne ni aucune famille ni aucun groupe social n'a, en soi, de soi et pour soi une vocation quelconque pour s'occuper du bien commun,

-que l'organe chargé du bien commun, ayant ce but spécifique, doit être un organe spécifique -qui donc n'est pas un syndicat, ni ou-vrier, ni patronal - (il est du reste à créer); si la fonction appelle l'organe, c'est encore plus vrai en matière d'organisation sociale.

Ceci dit, nous croyons judicieux de poser d'abord quelques éléme nts de solutions et de soutenir que l'on doit distinguer :

1. Les moyens de productions, par quoi nous entendons les moyens directs, i.e. tout simplement les différents outils et machines qui servent à fabriquer le produit (et par extension, tout moyen de produire un objet de commerce) - nous tenons spécialement que l'on ne confonde pas cela avec le capital financier, que nous appellerons par la suite le crédit, qui n'a d'autre fin que de permettre de se procurer les moyens de production;

2. Les travailleurs, qui, utilisant les moyens de production, concourent indivisiblement avec lui à la production,

3. La fonction toute spécifique qui consiste à réunir l'un et l'autre de manière à créer, par leur réunion, ce qui est précisément l'entreprise.

Moyens de productions et travailleurs ne sont que des moyens par rapport au but de l'entreprise, qui est le produit (quel qu'il soit et quelle que soit sa nature). De sorte que le produit n'appartient en propre et exclusivement à aucun d'eux, puisqu'aucun ne suffit à lui seul à le faire apparaître. Si bien encore que la finalité in trinsèque d'aucun de ces facteurs de la production n'est le produit lui-même. La finalité intrinsèque du travailleur est de faire son travail conformément à ce qui est requis, et la finalité ïntrinsèque du moyen de production est de faire bien ce pour quoi il est conçu. Mais si le produit est la fin extrinsèque de chacun des facteurs de la production, il est nécessairement la fin intrinsèque d'un élément tiers, qui est nécessairement distinct des deux premiers. Nous nous sentons donc autorisés à. conclure que le produit est la finalité intrinsèque de l'entrepreneur, c'est à dire de celui qui combine les facteurs de production, coordonne leur activité et la fait tendre à sa propre fin. On s'inspirera utilement ici des considérations classiques sur les fins intrinsèques de chacun des éléments hétérogènes d'une armée, différentes de la fin commune de l' armée, fin qui, étant la victoire, c'est en dernière analyse celle du chef de guerre, du général, à qui tous ces éléments sont subordonnés,

Nous prétendons en tirer les conclusions suivantes : si le produit (ou aussi bien la production) est la fin propre de l'entrepreneur, cette fin se subordonne toute fin propre à chacun des éléments composants de l'entreprise. Or l'autorité se tirant de la fin, il est clair que l'entrepreneur détient l'autorité sur les travailleurs qui ont une fin subordonnée - et, pour la même raison, sur les moyens de production - ce qui revient à dire qu'il en est propriétaire. Par conséquent, la propriété privée des moyens de production est un effet (nécessaire) de la fonction de chef d'entreprise, comme autorité suprême dans l'entreprise. De sorte qu'on inverse tout justement les rapports si l'on cherche à tirer la légitimité du pouvoir dans l'entreprise de la propriété des moyens de production. C'est très exactement le contraire qui est vrai. Celui qui est entrepreneur est par le fait même propriétaire des moyens de production, et cette propriété a pour titre et pour justification la fonction d entrepreneur, cette fonction et son caractère supérieur étant à leur tour fondés et légitimés par le caractère supérieur et dernier de la fin visée par le chef d'entreprise, savoir la production, fin qu'il est seul à pouvoir s'attribuer en propre. Si donc aucun des moyens de la production - capital ou travail - ne peut donc déduire de ce qu'il est une vocation - autorité dans l'entreprise, non seulement c'est encore plus vrai du capital financier, ou crédit, mais encore, il n'y a pas de vocation dans l'un ou dans l'autre à réclamer une participation à l'autorité dans l'entreprise. Car si le tout n'est pas fondé en droit, il est clair que la partie ne l'est pas davantage.

Le lieu de la participation ne peut, nous semble-t-il, être l'entreprise en aucun cas, puisqu'aucun des moyens de la production ne peut réclamer la fin de l'entreprise comme la sienne propre.

Il en va tout autrement aussitôt que l'on quitte le niveau de l'entreprise, qui est la plus petite unité de la société économique. Car dans le niveau immédiatement supérieur, soit d'ans le cadre du bien commun de la profession, soit dans le cadre du bien commun économique, tous participent à ce même bien commun, auquel leur action est directement ou indirectement orientée. Tous lui doivent la même allégeance. L'ordre juste dans la production donne des devoirs différents à tous les participants à la société économique, certes, mais par un lien de nécessité ou d'obligation d'une force égale. Personne à cet égard ne doit, plus ou moins, personne non plus n'est moins tenu qu'un autre, même si chacun est tenu à des choses différentes.

De sorte que, tous les participants de la société économique étant également tenus par le bien commun de la profession ou le bien commun économique, c'est dans les organes chargés de ces deux niveaux de bien commun que la participation se réalise, parce que, les titres auxquels les uns et les autres parmi les partenaires s'effaçant aussitôt que l'on se place sur un plan supérieur à celui de l'entreprise, ils concourent à droit égal à former la communauté économique. Autrement dit, la participation a pour lieu spécifique les organes chargés de la régulation d'une profession ou de l'ensemble des professions, i.e. de la société économique.

On ne peut donc que saluer la volonté des ouvriers d'instaurer la participation. Mais il ne saurait être question d'admettre leur participation: ils n'ont le titre d'ouvriers que dans l'entreprise et comme tels ils deviennent citoyens de la communauté économique tout comme les préteurs ou les entrepreneurs, sans différence dans ces catégories, lesquelles dans le sein de la collectivité supérieure à l'entreprise s'effacent pour donner ce que nous appellerons des citoyens économiques. Dans cette société les titres auxquels on participe à la production ne sont plus que des distinctions d'origine, qui ne signifient nullement des droits inégaux, des privilèges ou des restrictions. En d'autres termes, nous saluons la participation dans la mesure où il s'agit d'établir et d'organiser la société économique et de faire participer tous ceux qui relèvent aux organes régulateurs qui manquent actuellement et dont Pie XI appelait la création de ses voeux.

Jean-Pierre MOSER

 

 

 

 

LIVRE DU MOIS

"SOLJENITSYNE LE CROYANT" d'André Martin aux Editions Albatros

Apparemment le titre ne parait pas du tout adapté avec le contenu du livre. Cependant, à y regarder de près, c'est la foi profonde de Soljenitsine qui transparaît dans tous ses discours ou témoignages, ainsi que la foi de ses amis et compatriotes, foi en un Dieu fondement de toute la dignité et la liberté de l'home; foi dans ce qu' il y a de plus sacré dans l'homme, et qui est totalement bafoué ou anéanti.

Dans 1'avant-propos, l'auteur nous dit que les deux grands romans du célèbre écrivain furent interdits; c'est alors que Soljenits ne dénonce fortement l'avilissement d'une littérature privée de liberté.

"Mais, poursuit-il, je suis tranquille, car personne au monde ne réussira à barrer les chemins de la vérité et je suis prêt à mourir pour qu-elle triomphe".

Pour lui le rôle éminent de l'écrivain est de défendre la vérité, et lorsqu'il voit que, entre tant d'autres, des millions de chrétiens sont opprimés il n'hésite pas de faire une lettre claire et ferme au patriarche Pimène, premier patriarche de Toute la Russie.

Là il expose le sort du peuple des croyants humiliés, persécutés

Il dévoile l'Eglïse à la merci des dictateurs athées et finit par cette phrase "terrible" : "Ces jours-ci (fin du Carême 1972) en vous prosternant devant la croix plantée au milieu de l'Eglise, interrogez le Seigneur : Quelle est votre véritable raison d'être au service de votre peuple qui a presque perdu et l'esprit du christianisme et jusqu'à son apparence chrétienne ? ".

Aussitôt il y eut de vives réactions de la part même de prêtres prisonniers des idées mensongères du Parti. Telle cette lettre du prêtre Serge Jeloudkov à Soljenitsine où dit-il "il n'y avait pas d'autre choix possible : accepter les conditions de l'Etat

La réponse de l'écrivain fut un acte de foi

- Vous m'avez étonné. "s'il y avait un avenir... " Et nous autres, resterons-nous les bras croisés ? Est-ce cela que le Christ nous enseigne?

"Tout seul je ne puis rien ?", c'est faux. Chacun peut beaucoup, un seul peut beaucoup.

Après cette brève réponse, l'auteur du livre nous retranscrit la lettre de Karelyne, au prêtre Jeloudkov. C'est une réfutation de main de maître.

"C'est ainsi que l'écrivain Alexandre Soljenitsine, dit-il, parfaitement d'accord avec la doctrine chrétienne, déclare que l'esprit de l'homme fortifié par la grâce domine les contingences extérieures tandis que le pretre Serge Jeloudkov, conformément à l'idéologie socialiste, prétend que le milieu social exerce sur l'esprit une influence formelle et prédominante...

Au fond il y a un manque de foi en la puissance spirituelle de l'Eglise, nue sorte de démission civique qui corrode la conscience de tout le clergé russe".

Karelyne reconnaît par la suite, dans sa lettre, que tous ces témoignages de chrétiens et d'évêques convergent d'une façon étonnante et sont unanimes à constater que l'épiscopat de l'Eglise russe orthodoxe, frappé de peur et paralysé par le manque de foi, a trahi ses devoirs de magistère pastoral..." il agit au détriment de la Patrie; car si l'avenir de l'Eglise dépend de son attitude, le sort spirituel et moral du peuple russe dépend incontestablement de l' Eglise."

A cette lettre, vient aussitôt comme complément le témoignage de Dimitri Panine. Il insiste sur le fait que le patriarche Pimène "peut beaucoup, contrairement à ce que l'on pense. En tant que chef d'une Eglise atrocement humiliée, il a le devoir de proposer toute une série de revendications, qui, dûment motivées par les lois en vigueur obligeraient le gouvernement à céder sur bien des points".

Suit une longue lettre d'un groupe de croyants, révélant d'abord que les relations entre le Patriarcat de Moscou et l'Etat ont pour fondement la "déclaration" du patriarche Serge, faite en 1927 "Serge a oublié de relever le rôle exclusif de l'idéologie du Parti en tant que guide de la nouvelle vie de l'Etat.

Tous ceux qui n'étaient pas d'accord furent traités non pas comme des adversaires idéologiques, mais comme des adversaires politiques. Serge et ses successeurs, accueillis à bras ouverts par les bolchéviques, livrèrent l'Eglise pieds et mains liés non pas à l' Etat mais à l'idéologie communiste ! ""

Tel est le fond de toute l'histoire. Et ce même groupe de croyants critique fortement cette "invitation à une forme d'humilité face aux ennemis de l'Eglise qui est 1'unique forme -'d'obéissance", que l'on inculque dans les esprits et les coeurs des fidèles".

La lettre est très nette sur le Statut actuel de l'Eglise qui n'est pas seulement sous le régime soviétique, mais qui est une Eglise de l'Etat soviétique.

"Le régime soviétique a pour fin, non pas la sujétion, ni même l'asservissement de l'Eglise, mais son élimination complète et définitive, L'athéisme militant est le fond même de l'idéologie soviétique. Par conséquent l'asservissement de l'Eglise n'est qu'une étape transitoire sur le chemin menant à son extermination.

(Hélas) depuis des années, le monde, y compris les chrétiens, s'habitue à considérer 1'athéisme comme un fait naturel et normal;

(mais disons nous bien) que la politique n'est qu'un instrument de l'idéologie, et que la coexistence idéologique est exclue.

Face à cette marée montante du communisme qui veut tout envahir, tout asservir, l'art et la littérature peuvent vraiment venir au secours du monde moderne; Soljenitsyne le dit admirablement dans son discours (jamais prononcé pour le prix Nobel):

"L'artiste a simplement le don de penétrer plus profondément l'harmonie du monde, sa beauté et la laideur dont l'homme l'éclabousse; il se sent le devoir de le traduire en formes et de le transmettre

Puis Soljenitsyne pose une série de graves questions devant la multiplicité d'échelles de valeurs qui ne peuvent faire un monde unifié.

Et ce discours magistral se termine par ce rappel qui est tout un programme :

"Le simple devoir d'un homme simple, mais non dépourvu de courage, c'est de refuser toute complicité, de ne pas collaborer avec le mensonge

Après ce témoignage à la vérité et un rôle éminent de l'écrivain, suit un avertissement du cardinal Slipyi, qui a fait dix huit ans de bagne. Au concile Vatican II, le cardinal s'est levé pour déclarer que les compromissions du Vatican avec les gouvernements de l'Est, et son silence au lieu de prendre la défense de tant de chré-tiens orthodoxes et de catholiques de rite oriental persécutés pour avoir refusé de passer au schisme, sont un scandale.

Et dans la même ligne, le Comité Français de la conférence chrétienne pour la paix a condamné "le fait que l'action eclésiastique et l'action étatique soient liées, ce qui empêche que dans la C.C.P. (conférence chrétienne pour la paix (animée par le métropolite Nicodème», les Eglises puissent agir avec la liberté qui convient aux chrétiens

C'est bien précisément à cause de cette collusion du pouvoir et de l'Eglise, que des croyants ont adressé une pétition àà la veille du Synode orthodoxe russe de 1971 ou entre autres ils réfutaient les questions suivantes, empreintes d'un modernisme qui nous envahit également :

Est-il conforme à la foi orthodoxe de considérer l'avènement de la paix universelle sur Terre, comme un second avènement du Sauveur ?

b) Peut-on prétendre que tous ceux qui défendent, au risque de leur vie, le christianisme et la civilisation chrétienne, vont à l' encontre de la volonté de Dieu ?

c) A-t-on le droit de considérer sans nulle restriction "la marche triomphale du progrès" comme "perfectionnement de l'acte créateur de Dieu" ?

d) Est-ce que l'appel adressé aux chrétiens, de "supporter les épreuves sans murmurer" n'est pas une falsification du christianisme, et l'enseignement sur la "participation à la croix du Christ" est-il une "simple perversion et une apothéose niaise de la souffrance tout court ?

e) Est-il orthodoxe de prétendre que les révolutions socialistes et le régime socialiste, réalisent et incarnent "1'idéal évangélique" ?

Inutile de vous dire que le prêtre qui a osé signer ce document fut démis de ses fonctions.

Après cette mise au point, vraiment orthodoxe, et d'autres plaintes l'auteur nous consacre un long chapitre intitulé "Soljenïtsyne accuse, suivi de protestations individuelles de gens simples ou de personnalités. Enfin un mot sur l'archipel Goulag, livre écrit avec de "l'encre et du sang" "Le crime sans rémission de Soljenitsyn