LES MOINES ET LA CIVILISATION

Moines et civilisation ; lorsque nous accouplons ces deux mots, une image surgit dans notre mémoire, empruntée aux images colorées de notre enfance ; nous voyons un moine savant penché sur son pupitre, occupé à tracer des onciales. Et nous nous disons ; les moines copistes du Moyen Âge ont légué les trésors de la culture antique gréco-latine venue du fond des âges, ces moines sont donc les gardiens de la civilisation.

Je ne dis pas que cette image est totalement fausse ; mais elle est gravement incomplète. Car elle ne suggère que ce qui fut la cause instrumentale de cette transmission des trésors de la culture antique : la copie et la diffusion des manuscrits. Or une civilisation n'apparaît pas comme par miracle, au grincement des plumes sur les parchemins. Le respect de l'histoire nous oblige à convenir que les moines ont d'abord été des fugitifs de la civilisation.

La fuite au désert

Il ont fuit au désert pour échapper à la décadence et à l'amollissement d'une civilisation sur son déclin. Par exemple Saint Benoît, entraîné dans les écoles de rhéteurs à devenir consul ou sénateur promis à un grand avenir, quitte tout pour s'enfoncer dans le désert, voulant vivre avec Dieu seul. Lorsque les historiens du monachisme veulent donner le critère par excellence où l'on reconnaît le moine, ils recourent à deux petits mots latins : fuga mundi : la fuite du monde. Les moines se retirent. Lorsque les Antoine, les Pacôme fuient Alexandrie et les cités d'Asie mineure ; lorsque Benoît abandonne ses études pour s'enfoncer dans le désert de Subiaco et y vivre en ermite dans une grotte, ce qui les pousse, n'est-ce pas tout le contraire des raffinements, mêmes légitimes, de la civilisation ? Ils fuient les villes et s'enfoncent dans les déserts. Là, ils trouvent la solitude et le face à face avec Dieu. Ces hommes illustrent la fameuse sentence de Saint Paul : "Nous n'avons pas ici bas de demeure permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir et dont Dieu seul est l'architecte et le constructeur". Une autre parole de S. Paul retentit à nos oreilles : "Elle passe, la figure de ce monde". Transit figura hujus mundi. Comprenez-vous donc, chers amis, à quelle profondeur ces réalités peuvent atteindre le moine, le mouvoir, l'attirer ? Ce sont des mots dont il ne peut pas se détacher, ce sont ses idées-forces. Tout ce qu'on dira par la suite n'aura de valeur que sous-tendu par cette soif, cette faim de Dieu qui est comme l'anticipation de la vie éternelle. Et c'est pourquoi ils fuient ce monde maudit - puisqu'il y a une malédiction sur le monde - une certaine espèce de monde, qui n'est pas l'Église, qui n'est pas la Chrétienté, qui n'est pas telle charité amicale qui nous réunit ce soir, mais un monde qui s'organise sans Dieu, qui veut trouver son achèvement en lui-même ; voilà qui fait horreur au moine, et accroît son désir d'absolu, chers amis ; voilà ce que connaissent encore les jeunes gens qui viennent chez nous ; voilà ce qui est le fermant de leur vocation. Une soif de plénitude, qu'aucune créature ne peut nous donner. Et cela est compréhensible : Dieu nous a faits pour Lui. Le Seigneur, en nous créant, a laissé en nous, comme en toute créature, un vestige, une trace de lumière, une image de Lui-même, et cette image n'a qu'une hantise, qu'un désir : retrouver la ressemblance parfaite. Au baptême, l'image du Fils s'imprime mystérieusement dans l'âme chrétienne et lui communique une impulsion vers le Père. Nous voilà, dans le Christ, "filii in Filio", diront les Pères de l'Église ; et cette union très puissante, fait de nous des êtres proprement surnaturels, invités à vivre d'une vie autre que celle du monde. C'est ainsi que pensaient les premiers chrétiens, d'où leur vie quasi héroïque, qui s'achevait en général par le martyre. Mais quand les chrétiens ont vu s'instaurer une civilisation qui ne sera plus en rupture avec le monde, lorsque prendra fin l'ère des persécutions, quand cette vie à la fois baptismale, virginale et orientée vers le martyre, (la ressemblance totale avec Jésus-Christ) sera devenu impossible, alors commencera l'ère des moines ; ce sera la ruée au désert. Ces colonnes d'anachorètes, de moines qui s'enfoncent dans les déserts de Thébaïde vont donner à notre civilisation son élan vers Dieu : l'Eglise, a-t-on dit, restera pour toujours comme adossée au désert. Elle va prendre son inspiration essentielle de cette fuite au désert en se situant ainsi dans le prolongement des heures les plus saintes de l'Ancien Testament dont parle le prophète Osée lorsqu'il dit : "Je la conduirai au désert et là je parlerai à son cœur". Seulement il faut vivre, il faut s'organiser. Alors il y a eu Chanaan, puis la construction du Temple et Jérusalem ; mais les heures les plus riches du point de vue mystique se situent dans la période du désert ; ainsi toute âme doit enfermer en elle une certaine zone de silence et de solitude, où elle s'entretient avec Dieu.

Dans ces conditions on se demande comment les moines pourront inspirer une civilisation chrétienne. Disons d'emblée qu'ils vont l'inspirer en provoquant dans le chrétien un sentiment d'étrangeté d'avec le monde, une sorte de séparation ; le moine a d'autres intentions que celles du monde ; nous sommes ici dans le droit fil de ce que dit Notre Seigneur dans Saint Jean. Vous n'êtes pas du monde. Encore une fois, il ne s'agit ni de la création, qui est bonne et belle en elle-même, ni de ce monde arraché au démon et qui est devenu l'Eglise. Il s'agit du monde, au sens johannique du mot, qui a décidé de s'organiser sans Dieu, sans référence à Lui, voire contre Lui. Si vous demandez à un jeune moine, par exemple à l'un de ceux qui viennent chez nous, ce que représente pour lui la civilisation, vous serez probablement très déçus. Il vous dira : "Civilisation, connais pas. Je suis venu parce que j'avais soif de Dieu, et non par désir d'apporter ma pierre à l'édifice de la civilisation". Il en est qui font cela beaucoup mieux que nous autres, qui sommes tirés et ravis à nous-mêmes, méritant ainsi l'appellation évangélique de serviteurs inutiles. Et parce que le monde ne peut nous aider à assouvir cette soif, alors il y a le monastère qui va prendre le relais du désert, avec ses grands murs, sa clôture, sa vie en commun, sa Règle. Qu'est-ce que les jeunes gens viendront chercher chez nous ? Quand je dis : "jeunes gens", ce n'est pas dans un sens restrictif : nous avons actuellement un postulant qui est déjà aïeul, veuf, et qui vient sur le tard pour recommencer à devenir enfant de Dieu ; c'est très beau. Nous avons eu souvent des âmes qui, après avoir travaillé, erré sur les routes du monde, viennent aboutir aux pieds de Jésus-Christ pour réapprendre les secrets de la voie d'enfance. Donc ces jeunes gens, ou ces moins jeunes viennent chercher une plénitude qui sollicite toute âme à un moment ou à un autre. Y en a-t-il un seul, parmi vous, qui ne se soit demandé un jour à quoi bon poursuivre ses activités, puisqu'elle###s sont destinées à finir, à s'abîmer dans l'oubli ? Peut-être certains d'entre vous seront-ils célèbres, auront-ils leur place dans le dictionnaire et dans le souvenir des hommes. Mais en fin de compte, où seront-ils ? Qu'auront-ils fait ? Il y a donc de ces moments désertiques dans la vie, où l'on se demande pour quoi on est fait. Cela, c'est le commencement de la sagesse ; c'est l'inquiétude, une bonne, une douce inquiétude ; celle-là même dont parlait Saint Augustin quand il disait : "Seigneur, Vous nous avez faits pour Vous, et notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en Vous". Il n'y aura pas de paix, de douceur, de plénitude en dehors de ce repos en Dieu. C'est la paix, la paix bénédictine. Saint François d'Assise, au plus fort de ses fêtes avec ses compagnons, apparaissait silencieux, gémissant, mélancolique. Pourquoi ? Il avait tout pour réussir ; il était l'enfant chéri du monde, le poète, le fils du riche marchand Bernardone qui lui donnait tout ce qu'il voulait. Puis il est devenu le plus pauvre de la terre, et c'est là qu'il a trouvé l'absolu, la plénitude. Charles de Foucauld recommence exactement la même expérience : on le retrouvait au milieu de ses fêtes nocturnes, se demandant tristement s'il n'allait pas en finir avec la vie. Et il est devenu l'ermite du Sahara, la figure rayonnante que vous savez. Pourquoi ? Eh bien, parce que l'âme sent bien que Dieu est tout ; c'est le cri de l'imitation de Jésus-Christ "Deus meus et omnia". Mon Dieu et mon tout. Mais si Dieu est tout, alors le reste n'est rien : pourquoi s'attarder et s'attacher à ce qui n'est rien ? Sentiment de la vanité de ce qui n'est pas Dieu, de ce qui est en dehors de Dieu, seule richesse, seul bien inaliénable,

Alors, cette civilisation, les moines, au début du moins, seront parfois sévères envers elle.-Ils balaient tout, à l'exemple de Saint Paul : "J'ai considéré toute chose comme de la balayure, pour gagner Jésus-Christ". Toutes choses. ''pas seulement les mauvaises, les bonnes aussi''. C'est bien la leçon même de l'Évangile. D'autre part, la civilisation, c'est la cité des hommes, immergée dans les valeurs terrestres : l'art, la culture, la vie sociale, l'effort technique. Mais tout cela, particulièrement l'effort technique, pour admirable qu'il soit, est placé sous le signe de l'ambiguïté la plus profonde : pourquoi vouloir perfectionner une salle d'attente qui n'intéresse pas beaucoup le- voyageur ? Tout est là ! En outre, il suffit de voir ce que l'on peut faire avec l'atome, l'uranium ou avec les manipulations génétiques pour être ramené à l'ambiguïté de l'effort technique, de l'art et de la culture qui ont comme deux visages, qui peuvent servir au bien comme au mal, qui peuvent être l'œuvre de Satan ou bien le reflet de la beauté divine. Tous ces domaines ambigus, le moine, par un mouvement de rejet instinctif, pour être avec celui qui est tout, Jésus-Christ, s'en détourne, il quitte la cité des hommes : "Tout cela, dira-t-il, c'est du domaine du monde, qui est au pouvoir de Satan". Et la condamnation du monde par l'Évangile a retenti très fort à ses oreilles. Allons-nous dès lors mépriser les valeurs terrestres ? Non. Mais le moine en sent trop bien la fragilité, et combien il est difficile de les faire servir au Royaume de Dieu. La différence entre l'état d'innocence et celui de chute et de rédemption, c'est que celui-là permettait à nos premiers parents de s'aimer, de s'unir, de travailler et de s'accomplir dans une liturgie parfaite aux yeux de Dieu ; point n'était besoin de fuite du monde, ni d'ascèse, ni de sacrifice, ni de retranchement, ni de règle : dans l'état d'innocence, l'activité humaine se déployait parfaitement sous l'empire de la charité.

Après la chute subsistera le désir de vivre sous le regard de Dieu et de ne faire qu'un avec Lui, mais cela deviendra difficile. D'où la réponse très claire des moines : ils quittent tout pour avoir tout. Il faut encore souligner à quel point il est facile de se laisser contaminer par le monde ; puisque la vie terrestre n'est qu'un bref passage qui n'a de sens que comme une préparation à l'éternité, pourquoi s'attarder ? Comme dit Gustave Thibon.

"Un exil trop confortable ne risque-t-il pas de nous faire oublier la Patrie" ? C'est donc ce sens aigu de la vanité des choses de la terre et de l'imminence du Royaume qui a parlé si fort au cœur des Fondateurs de la civilisation chrétienne. Dans un document de l'Église primitive, on trouve ce souhait qui résume tout. "Que le monde passe et que la grâce vienne" C'était la prière des premiers chrétiens. La jeune Église des trois premiers siècles, absorbée par une vision liturgique, céleste du Christ en gloire, absorbée par le désir de rejoindre son Seigneur, prêtait peu d'attention à l'ordre politique, culturel ou artistique. Puis, quand sonne l'heure de la fin des persécutions, les moines prennent la relève. Ainsi, contre la tentation d'accommoder Dieu et le monde, il y a deux catégories d'hommes qui protestent énergiquement : d'une part les martyrs qui acceptent de tout prendre pour gagner le ciel, et d'autre part les moines, qui refusent de s'installer dans une religion confortable. Et, c'est sur cette rupture que va se fonder le christianisme. Il n'y aura donc pas de dialectique. On ne pourra pas dire qu'il y a d'un côté ceux qui construisent le monde, de l'autre ceux qui le méprisent : ce sont les mêmes qui, méprisant le monde, au sens de l'Évangile, vont aider à le reconstruire ; et ce sont ceux-là qui, construisant le monde sous le regard de Dieu enseigneront le détachement des biens terrestres.

NAISSANCE DUNE CIVILISATION

Lorsque l'homme cherche avant tout le Royaume de Dieu, il lui est donné, par surcroît, de bâtir une société chrétienne respectable. C'est ainsi que les monastères vont devenir de petites cités paisibles, laborieuses, rythmées par la prière liturgique, gouvernées par des hommes sages qui orientent les vies humaines vers le ciel.

La chrétienté, n'est pas une civilisation culturelle ou artistique saupoudrée d'un peu de christianisme, elle est le fruit d'une puissante vision inspiratrice qui transfigure le monde, le transforme et le rend à sa vocation. Et là nous touchons à ce que l'on peut bien appeler l'optimisme métaphysique du catholique. C'est bien le catholique qui a donné naissance à ces œuvres d'art, de civilisation, de bonté, et de poésie, 11 importe au plus haut point de ne pas abandonner l'art et la pensée à l'empire de Satan : ils ne lui appartiennent pas. Il ne faut pas lui laisser les éléments de beauté et de vérité naturelle éparses dans le monde. Erasme disait :

"Lorsque tu lis une vérité dans un livre, sache qu'elle appartient à Jésus-Christ". Cela, c'est le bon humanisme.

Qu'a donc fait Saint Benoît au VIe siècle ? Il s'est trouvé, lui aussi, affronté à un choix : l'Italie était à feu et à sang. Byzance avait perdu sa puissance militaire et les Ostrogoths déferlaient sur la péninsule. Odoacre, leur chef, vient de se faire assassiner par Théodoric qui se couronne roi d'Italie, et qui est arien. Cela représente un danger pour les Chrétiens. Pourtant ce nouveau roi recourt volontiers à l'élite chrétienne, il a soin de s'entourer des plus sages, voire des plus vertueux. N'oublions pas qu'il a eu pour ministres Cassiodore et Boèce. Ce dernier payera cher sa collaboration avec le prince, puisqu'il aura la tête tranchée. Mais Cassiodore va pouvoir se bâtir un palais pour sa bibliothèque, des salles de réception ; il aura le consulat, la culture : tout cela n'est pas mauvais, c'est même très précieux. Cassiodore priait, menait une vie édifiante et avait réuni un certain nombre de disciples, autour de lui. Il a même écrit à propos de Saint Benoît des choses fort touchantes. Parlant du saint à la fin de sa vie, il disait que sa tunique exhalait un parfum plus pénétrant que tous les arômes de l'Orient. C'est là le témoignage d'un contemporain sur la sainteté hors pair du Patriarche des moines. Mais Cassiodore ne représente pas la voie monastique du renoncement total. Il s'inscrit simplement comme une étape dans la culture des valeurs littéraires et historiques à un moment donné. Celui qui va être le fondateur de l'Europe, l'inspirateur de cet Occident, dont nous voulons perpétuer les valeurs face à la nouvelle invasion barbare, c'est Saint Benoît, qui veut vivre pour le ciel, se retire et s'en va seul dans la grotte de Subiaco, - "sapienter indoctus", sagement ignorant de ce qui n'est pas Dieu. Figurez-vous qu'il ignore même la date de Pâques. A un compagnon venu le trouver au bout d'un an et lui disant : "Ne sais-tu pas que c'est aujourd'hui Pâques" ? il répondra : "Puisque tu es là, c'est Pâques pour moi". Admirable exemple de charité pour qui avait voulu fuir la compagnie des hommes. Puis s'avisant que c'est fête, il accueille son visiteur et partage avec lui son repas. Cette sorte de vie angélique lui vaudra d'être appelé par l'Église d'Orient l'"Isange", (semblable aux anges). Saint Benoît aurait pu partager le sort de ces anachorètes dont on a oublié le nom et qui se sont consumés dans la prière, la pénitence et la contemplation, mais Dieu avait des vues sur lui : des disciples n'ont pas tardé à venir le rejoindre. Vous connaissez l'histoire de cette première fondation qui révèle le côté fragile de tous les groupements humains puisque ses premiers moines, effrayés par les exigences de sa doctrine, songèrent à l'empoisonner. Et c'est cela sans doute qui lui montrera, lors de la rédaction de sa fameuse règle, à quel point les hommes ont besoin d'être protégés contre leurs passions. Donc, voyant venir à lui ces compagnons, Saint Benoît accepte d'être leur père, de les grouper et de fonder d'abord Subiaco qui comprendra douze petits ermitages groupant chacun douze moines avec un ancien au milieu d'eux. Cette organisation est héritée de l'Orient ; c'est ainsi que les solitaires de la Thébaïde se groupaient. Or, il ne faut pas oublier que Saint Benoît est l'héritier de toute la sagesse orientale. Mais il réalise que ce n'est pas la solution idéale : il y manquait la forte structure familiale qui fera la force des Bénédictins. Alors, à l'occasion d'un événement tragique - on avait chargé quelqu'un de pervertir ses moines -, il s'en va, laissant tout, pour gagner le Mont Cassin, sorte de garnison romaine, ancienne forteresse située sur un plateau, oppidum majestueux entouré d'un cirque de montagnes. C'est là qu'il va enraciner sa communauté monastique en la groupant autour de lui selon ce mode de vie qui sera encore le nôtre après quatorze siècles. Nous vivons en effet exactement selon la Règle de Saint Benoît, à cela près que nous n'avons pas de tablettes de cire mais des feuilles de papier, et quelques détails du même ordre. On reste frappé par l'excellence de cette Règle, sa longévité et surtout son universalité. Les fondateurs du monastère en Extrême orient, en Afrique ou en Amérique latine ont tous observé ; que la Règle semble avoir été écrite pour les hommes de couleur, tant elle s'accorde parfaitement aux aspirations fondamentales du cœur humain.

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

Bossuet, voulant célébrer la grandeur et la perfection de la Règle de Saint Benoît dans un fameux panégyrique, la définit comme « un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de toute la doctrine de l'Évangile, de toutes les institutions des saints pères, de tous les conseils de perfection ». Philippe ler, roi de France, la recommandait à son fils Louis VI le Gros, élevé à l'école bénédictine de Saint Denis, comme Suger, son ministre, qui était aussi bénédictin. Charlemagne en avait fait demander une copie à Rome, et son fils Louis le Pieux demandera à saint Benoît d'Aniane de réformer les monastères selon la lettre de la Règle du Patriarche. Cosme de Medicis, prince exemplaire, la Portait toujours sur lui, et s'en inspirait dans le gouvernement de ses sujets.

Si l'on me demandait ce qui a fait la prodigieuse fécondité de la Règle, je répondrai que c'est sa valeur éducative : une éducation spirituelle qui tient en deux mots : sens de Dieu et sens de l'homme.

D'abord le sens de Dieu, c'est-à-dire le sens et le goût de Dieu vers qui toute vie s'oriente ; Dieu digne de tout amour, de toute adoration, Dieu centre, principe et fin de tout : le Bénédictin est essentiellement un homme religieux.

Saint Benoît n'a pas voulu faire une "theoria", genre apparu antérieurement et illustré par Denys l'Aréopagite qui est un père de l'Église souvent cité par sain, Benoît et dont l'influence a marqué toute la mystique catholique. Dans sa theoria Denis énonce les essences, décrit ce qu'il voit, analyse et procède à de vastes synthèses. Telle est par exemple sa théorie des noms divins. Il y a aussi saint Jean de la Croix, auteur d'une magnifique théorie de la vie mystique, dans des ouvrages tels que "La montée au Carmel", "La nuit obscure" ou la "Vive flamme d'amour". Ces ouvrages décrivent les opérations divines, les purifications et les diverses phases de la vie spirituelle : ce sont là des analyses théoriques qui honorent le travail de la grâce. Saint Benoît, lui, n'a pas fait de théorie : il s'est contenté de composer une méthode d'éducation, une sorte de "manuel du bon chrétien", du chrétien en campagne, du chrétien qui aspire à atteindre sans perdre de temps la patrie céleste. Cette méthode d'éducation est extrêmement précise. Il y est d'abord question de l'attitude spirituelle de l'homme en face de Dieu, des vertus qu'il doit pratiquer, des tentations qui se présenteront à lui, particulièrement la tentation de fuir, de se dérober devant l'âpreté du combat. Puis viennent les colonnes sur lesquelles va reposer l'éducation du moine : l'humilité, l'obéissance, la prière liturgique, la vie en présence de Dieu. Lorsque saint Bernard errant dans les cloîtres jeune moine à Citeau, se pose la question de savoir où il veut en venir (Arnica, ad quid venisti" ? se demande-t-il à lui-même), sa seule réponse est qu'il est là pour "chercher Dieu" ; maxime fondamentale de la sainte Règle, clé de voûte qui soutient tout l'édifice.

Lorsque des frères nous disent qu'ils ne savent pas travailler manuellement, qu'ils ont de la peine à retenir ce qu'on leur enseigne dans les cours ou que la lecture les fatigue, nous leur disons que cela a peu d'importance. Notre père saint Benoît ne nous a pas demandé des compétences ou des talents particuliers : il lui faut simplement des hommes qui ont soif de Dieu. Le reste viendra ensuite. Et dans les monastères bénédictins du temps de saint Benoît, on trouvait aussi bien des Goths que des fils de Patriciens et tous formaient cette famille extrêmement diverse mais unie par ce même propos de chercher Dieu, de ne vouloir que Lui.

Vous voyez clairement que la société bénédictine ne sera pas l'œuvre des philosophes ou d'esthètes, mais d'hommes qui ne s'intéresseront aux choses de la terre que pour les orienter vers Dieu. C'est le principe même de la civilisation. Aussi saint Benoît n'hésite-t-il pas à entrer dans les détails : ils traitent des artisans du monastère, des moissons, des jeûnes... et même des menus; il recommande pour le soir un plat de légumes cuits, mais en prévoit un second pour ceux dont l'estomac ne supporterait pas cette nourriture. Il recommande de porter attention aux vieillards et les autorise à devancer l'heure du repas. Parlant des enfants qui vivent dans le monastère, il affirme qu'ils ne doivent pas être traités comme les moines, mais avec égard pour leur jeûne âge. Il voit dans les malades des personnes sacrées qu'il faut entourer de tendresse et de soins. Saint Bernard, qui est bien son disciple sur ce point, ira jusqu'à dire qu'il faut que le moine malade à l'infirmerie, soit entouré de tant de sollicitude qu'il n'ait pas à regretter l'absence de sa mère. Le sens de Dieu doit nous amener à Lui ressembler. Car il s'agit bien de se transformer. Et si par là le cœur se purifie et l'âme se remplit du Bon Dieu, alors des gestes vont naître, qui exprimeront quelque chose de la bonté divine. Ainsi vont se préciser les traits d'une communauté chrétienne empreinte de charité, de support mutuel, de courtoisie, d'égards envers tous. On est en droit d'affirmer que la politesse est une fleur qui a pris naissance dans les cloîtres. Notre père Saint Benoît nous apprend dans ce code d'éducation qu'est la sainte Règle comment il faut procéder devant un ancien : il faut se lever, lui demander la bénédiction, s'agenouiller, toutes choses que nous pratiquons encore aujourd'hui, parce que ces industries fines et savantes modèlent parfaitement notre comportement intérieur. Puis cette vie intérieure produit et suscite une attitude corporelle en harmonie avec la présence de Dieu en nous et ce sont ces gestes eux-mêmes qui, par un juste retour, vont permettre de maintenir cette qualité d'âme, cette révérence, ce respect, ce sens du sacré.

Sens de Dieu, avons-nous dit, mais aussi, par voie de conséquence, sens de l'homme. Chose curieuse, c'est aujourd'hui, où l'on ne parle que de l'homme, du culte de l'homme, des droits de l'homme, que l'on est en train de perdre le sens de l'humain. Pourtant ce terme d "humain" est très beau : ne désignait-on pas autrefois les humanités comme ce qu'il y avait de plus beau dans l'ordre de la culture et de la science ? Le mot "humain" est devenu ambigu au moment où le paganisme de la Renaissance l'a confisqué et utilisé à des f ins étrangères à l'ordre surnaturel. Alors il y a eu une réaction. Il s'est produit ce que l'on voit surgir invariablement lorsqu'une religion se constitue en état de défense : on s'arme, on contre-attaque, on se définit par rapport à l'adversaire : on oppose… et l'on va si loin dans l'opposition que l'on finit par perdre le sens des grandes synthèses ; on en arrive à un catholicisme militant, hérissé, cérébral, plein d'arguments contre tout et contre tous, plus attentif à la polémique qu'à la contemplation. Et l'on finit par cette espèce d'émiettement, d'éclatement en groupuscules, en chapelles. ces divisions internes qui, parfois, vous le savez ne nous épargnent pas. Et il faut bien voir ici un phénomène de décadence de civilisation : on veut sauver le surnaturel en méprisant l'homme, l'humain, les vertus naturelles. Cela est très grave, c'est presque fatal si l'on perd le secret du ferment de l'évangile. Voyez comme Notre Seigneur polémique peu, comme il fait peu de discours théoriques. Il communique une aspiration, très forte, vers le Royaume, il, invite à la purification du cœur ; saint Paul et les apôtres vont ensuite organiser les églises et l'on verra naître la communauté chrétienne. Et cette jeune communauté, face au paganisme qui flattait le corps humain ou le méprisait - ce qui, au bout du compte, revient au même produira une fleur de civilisation : la virginité consacrée. Fleur rare et précieuse ; vrai miracle du christianisme. À l'imitation de la Vierge Marie, les vierges chrétiennes gardant intacts leur corps et leur cœur, en vue d'épousailles mystiques avec Dieu, vont devenir à leur tour mères des âmes. C 'est le nom que l'on donne encore aux moniales, lorsqu'on les appelle "Révérendes mères". On voit par là comment la réussite spirituelle rejaillit en charité et en éducation de l'homme. Toutes ces œuvres d'enseignement, de bienfaisance, d'hospitalité vont naître de cette inspiration première qui est la maternité virginale. Relevons ici un fait du plus haut intérêt : parlant de ce sujet dans "Les deux sources de la Morale et de la Religion", le philosophe Bergson remarque ce qui distingue les mystiques orientaux des mystiques de l'Occident : les premiers se referment sur eux, tandis que les mystiques catholiques, au contraire, sont ordonnés à l'action et à la charité. Venant d'un homme qui ne partageait pas notre foi, ce témoignage prend une valeur particulière.

Mais revenons à la Règle. Saintement observée, elle ouvre à tous la porte de la sainteté ; une sainteté blanche, une charité discrète, sans grands éclats. La communauté monastique est semblable à une voie lactée : de loin, les étoiles semblent se confondre : le soldat obscur ne se distingue pas des autres, mais ils forment tous une grande armée. Appelé à vivre dix, trente, ou cinquante ans avec son compagnon de noviciat, il faudra le supporter, et la charité c'est d'abord cela. Le prochain c'est celui qui est le plus près. "Infirmitates suas patientissime tolerenf'lisons-nous dans la Règle : "Leurs infirmités (physiques, morales ou spirituelles), qu'ils les supportent avec une très grande patience". La patience ... Ce n'est pas là une vertu moderne : on va trop vite et on veut tout de suite gagner. On est sûr d'en savoir plus que tout le monde. L'homme moderne ne lit pas de grands livres ardus, mais de petits reader digest qui vont tout dire sur toute la question, très rapidement. La patience n'est donc pas son fort. À cela il faut ajouter qu'il y a beaucoup de bruit dans les grandes villes, on s'énerve vite, on ne se supporte plus, et le progrès de la sanctification est de plus en plus difficile, à cause surtout de la lente et patiente maturation qu'elle exige. La sainte Règle, elle, nous réapprend avec l'humilité, le respect, la patience, la courtoisie, l'effacement de soi, qui sont des vertus de civilisation pour la simple raison qu'elles sont des vertus sociales ; vertus utiles dans un monde trépidant où l'on voit poindre ce que Thibon appelle la montée des fanatismes. Car enfin, ou bien on est ermite, ou bien on vit en société. Et cela dès qu'on est deux : les époux savent très bien ce qu'est le support mutuel. Si l'on renonce à se perdre dans les nuages de l'abstraction pour vivre dans le réel, il faut se pencher sur les humbles vertus, ces "Petites vertus" dont parlait Saint François de Sales. Il faisait remarquer que si elles ne jouissent pas d'un prestige, elles sont comme de petites fleurs qui poussent au pied du calvaire et c'est le sang de Jésus qui les arrose. Union à Dieu doit donc rejaillir en bonté affectueuse et même peut-être en une simple bonne humeur, qui est une forme de la bienveillance. Commençons par là : ne pas opposer immédiatement une fin de non recevoir, cacher son malaise, ne pas bouder, faire l'aumône d'un sourire. Tout cela, on nous l'a appris lorsque nous étions petits et nous nous efforçons de le transmettre à nos enfants, Ces sentiments délicats expriment une civilisation. Je proposerais même l'humilité comme vertu politique : elle est la vertu qui recherche ce qui est utile aux autres plutôt qu'à soi-même, qui s'efface devant une compétence, accepte ses limites. Non pas vertu d'aplatissement, mais vertu d'ordre savoir se tenir à sa place, à son rang, à son poste de combat.

Chez nous, qu'on occupe une place à titre de prieur, d'infirmier, de novice ou de frère convers, l'humilité revient à être pleinement ce que l'on est, au service de la communauté. Dernièrement, je faisais remarquer aux frères que nous avons beaucoup de difficultés sur notre chantier : accidents qui surviennent, malfaçons, contretemps, etc., mais si nous sommes humbles, nous sommes invincibles. Dans dix ans le monastère sera achevé, rien n'aura changé dans notre vie. Mêmes vêtements, même cellule, même mobilier, même nourriture et par là nous échappons à l'ambition et à la démesure qui sont la source de tant dé désordre, dans les sociétés - grâce à l'humilité, fondement de la Règle bénédictine, l'exécrable volonté de puissance n'est plus possible : le petit moine sera toujours le petit moine ; le cellérier, le frère infirmier ou le professeur de latin seront toujours à leur place, comme les pierres de notre chantier. avec, en plus, cette douceur, cette attention aux personnes qui épargne les chocs, les rivalités : notre Règle nous impose de travailler à ce grand œuvre exactement comme s'il s'agissait d'un petit artisanat dans un atelier : même détachement, même attention, même simplicité. Et tout cela crée un climat de bonne humeur avec les ingénieurs, tes ouvriers, les entrepreneurs ou les architectes qui travaillent avec nous. Il fait bon travailler avec les moines il y a un sourire, un encouragement mutuel, un climat de confiance familiale. On est heureux de "donner la main", comme disent les hommes du peuple. Cette expression, très belle, se retrouve dans tous les continents. Lorsque j'étais au Brésil, les ouvriers l'utilisaient aussi. Il faut donc donner la main, ne pas être avare de l'effort, du service rendu : courtoisie mutuelle, bonne humeur, toutes choses bien prosaïques, mais sous tendues par la charité et un grand effort de rencontre avec la face cachée, mystérieuse de Dieu qui est le secret de nos vies.

Et je terminerai en parlant du sens du sacré. Les moines bâtisseurs qui ont édifié leur monastère ne travaillaient pas aveuglément à une construction de pierre ; ils œuvraient pour le ciel. Le monastère est à l'image du ciel, à l'image de la Jérusalem céleste. Sept fois le jour et une fois la nuit, les prières vont se poursuivre dans cet édifice. Ce n'est pas seulement l'église qui sera sainte et sacrée, ce sera aussi le cloître, pénétré de silence. Ce déambulatoire qui est comme un atrium de l'Église et une zone de silence et de recueillement. Et puis les cellules, et le réfectoire qui est aussi beau qu'une chapelle. Il nous importe donc de vivre dans le sacré, de donner à tout ce que l'on fait une dimension qui soit digne de Dieu, qui soit en rapport avec cette présence mystérieuse de Dieu dans le monde. Quand des grands poètes parviennent à nous faire sentir que les moindres choses sont porteuses d'une dignité et d'une présence qui invitent au respect à plus forte raison faudrait-il que, dans une vie consacrée, tous les gestes, tous les travaux : l'architecture, les études, la prière au premier chef, tout reçoive un caractère de noblesse et de dignité. On touche là à la valeur inspiratrice de notre liturgie. La liturgie, on pourra conclure en disant qu'elle est une source d'harmonie. Si nous passons jusqu'à six heures par jour en prière, n'y voyez pas d'héroïsme ; ce n'est pas difficile du tout. Au contraire. Même s'il y faut un effort, la joie est plus forte, c'est un sujet inépuisable de joie que de voir réunis là tous les trésors de la sainte Église : sa sagesse, son art, sa science et sa poésie. Nous savons bien que le grégorien est un art inspiré. Nous avons même ici des amis protestants qui ont émis le vœu que la messe soit célébrée selon le rite grégorien. C'est un monument de beauté, et de joie, une école de prière. Les magnifiques textes que nous lisons la nuit, pendant l'office de marines, tirés de l'Ancien Testament, sont d'une poésie si savoureuse et d'un latin si facile et si suave 1

Mais de cela nous voudrions faire un principe de rayonnement. Nous ne voudrions pas le garder Pour nous seuls mais faire en sorte que les âmes viennent s'abreuver et y puiser des provisions clé paix pour ensuite traverser le désert de la vie et garder au fond d'eux ces harmonies divines qui les aideront à cheminer plus loin. Cela est possible. Notre Règle est inspiratrice. Elle est capable de nous redonner le soin de combattre pour la chrétienté et d'enseigner aux hommes à faire de toute leur vie, une noble, une sainte liturgie en présence de Dieu.

Dom Gérard Calvet

Texte réalisé par François Triponez, d'après l'enregistrement de la conférence prononcée le 8 novembre 1981, à Lausanne, revu et remanié par l'auteur, reproduit en l'honneur de celui-ci, qui remet sa charge abbatiale en ce mois de janvier 2004.

 

 

Les partis « gouvernementaux »

incapables de gouverner

Le présent article est volontairement écrit avant le 10 décembre, bien qu'il doive paraître après cette date, afin de détacher les réflexions qu'il contient du résultat des élections qui auront eu lieu. Les partis politiques sont absolument indispensables à la démocratie. Ils assurent en effet une sorte d'ordre dans les courants socio-philosophiques qui parcourent une collectivité et évitent ainsi un morcellement total du corps électoral qui rendrait impossible toute gestion de l'ensemble. Ce rôle des partis politiques sans lesquels la démocratie s'altère en une totale démagogie toujours totalitaire est de moins en moins compris par les citoyens. La faute en est imputable aux partis eux-mêmes qui ont perdu de vue que la démocratie s'exerce primairement au niveau du législatif et que l'exécutif ne peut remplir sa tâche que s'il existe une distance entre ses membres et les partis dont ils proviennent. Ce ne sont pas les partis qui doivent gouverner, mais les membres du gouvernement. Malheureusement, les partis politiques de toute tendance ont oublié leur rôle fondamental dans l'existence de la démocratie et n'offrent plus que le visage d'amicales fournissant des prébendes, des sièges, des avantages, des influences. Ils ont perdu la capacité d'apprécier la distance entre leur représentant éventuel à l'exécutif et leurs objectifs partisans. Il faut dire que la qualité de tous nos membres de gouvernement comme chefs d'un département et non pas comme membres d'un collège totalement responsable, dans son ensemble, de la politique gouvernementale, favorise cette dépendance des partis d'origine. Et dire que certains voudraient augmenter le nombre des membres du Conseil fédéral ! Les différents psychodrames fédéraux de ces derniers mois ont tristement illustré l'incapacité des partis dits gouvernementaux, mais aussi des autres, à gouverner. L'idée de la « formule magique » serait (était ?) de permettre à un gouvernement multicolore de mieux faire comprendre sa politique aux citoyens par l'intermédiaire des grands partis qui pourraient (pouvaient ?) la relayer. Il faudrait (fallait ?) pour cela que la politique gouvernementale soit celle d'un corps et non celle de chefs de département se regardant en chiens de faïence parce qu'ils ne sont que les otages de leur parti. Quand les partis politiques étalent leurs états d'âme au sujet du nombre de sièges au gouvernement que l'arithmétique permet d'accorder à une formation ou à une autre, quand un parti ou un autre menace de passer dans l'opposition si on élit ou n'élit pas telle personne, quand un parti monnaie les sièges de ses représentants au gouvernement par des alliances ouvertes (naturellement différentes de celles conçues, discrètement, en coulisses), quand un parti met ses échecs sur le compte des réflexions d'un membre du gouvernement sur l'avenir d'une assurance-vieillesse ou autre, il est incapable de fournir des candidats valables au gouvernement. Quelles chances de collaborer au sein d'un même collège auront des élus « achetés et vendus » dans les pas perdus ? Quelle entente peut-on imaginer entre des personnes qui auront été couvertes de ridicule ou de fiel par les formations politiques dont proviennent les autres élus ? Quelle confiance aura le citoyen en des conseillers fédéraux dont ils auront lu qu'ils sont nuls ou faibles ou diaboliques ou quasi fascistes - sans parler du prestige de ces mêmes personnes quand elles iront nous représenter à l'étranger ? Il est vraiment difficile de trouver un seul parti gouvernemental qui ne se soit déshonoré ces derniers mois ; quant aux partis non-gouvemementaux qui ont l'air d'espérer la guerre entre les partis gouvernementaux pour vite « placer » l'un des leurs, ils ne montrent pas un visage plus responsable que ceux qu'ils critiquent. De projet pour le Pays ? Aucun. De programme de législature ? Nul. De respect pour les membres sortants du gouvernement quel qu'ait pu être leur défaut ou leur qualité ? Pas la moindre trace. Rapaces avides de sauver des sièges, donc, croient-ils, du pouvoir, les partis gouvernementaux font leurs petits calculs d'apothicaire. Ils croient que ce sont eux qui gouvernent. Ils oublient que c'est le gouvernement qui gouverne. Ils assumeront la responsabilité d'avoir rendu cette tâche presque impossible et d'avoir donné aux citoyens l'exemple le plus malheureux de la démocratie incomprise. Il fallait écrire ces lignes pour que les élus du 10 décembre, quels qu'ils soient, puissent éventuellement, se détacher des partis qui les ont présentés et arriver, au-delà des histoires électorales, à former un vrai gouvernement. C'est peut-être à eux que reviendront l'honneur et le mérite de redonner, envers et contre tout, au gouvernement, une dimension que les partis gouvernementaux lui avaient fait perdre. C'est peut-être eux qui, après une « naissance » mouvementée sauront « prendre de la hauteur ». Le Pays a besoin d'un gouvernement qui soit indépendant des partis dont il provient, assez fort pour trouver une ligne, assez loyal par rapport au bien commun pour regagner la confiance des citoyens.

Suzette Sandoz

 

Texte original du texte paru dans la NZZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Référendum contre le « Pacs »

L'UDF s'apprête à lancer un référendum contre le « Pacs » fédéral(Yverdon-les-Bains, le 2 décembre 2003). Suite à l'entrée en matière du Conseil national sur le projet de loi sur le partenariat homosexuel, l'UDF rappelle qu'elle demeure opposée à toute forme de reconnaissance juridique des couples homosexuels et s'apprête à lancer un référendum.

L'UDF considère que ce projet de loi est inacceptable, car il affaiblirait inexorablement la famille. Plutôt que d'affaiblir cette dernière en lui opposant des formes de partenariat, les autorités politiques et juridiques doivent la privilégier clairement, tant juridiquement que financièrement, et ont le devoir de donner à l'enfant un cadre naturel lui permettant de se développer, et de devenir ainsi un adulte capable de s'intégrer dans la société.

Pour l'UDF, un partenariat enregistré pour les couples de même sexe heurterait en profondeur les valeurs familiales. L'UDF a lancé en 1995 une pétition

« pour une famille saine et contre l'égalité juridique des couples homosexuels » qui a récolté plus de 88'000 signatures en quatre mois.

Elle estime que cet avant-projet de loi va totalement à l'encontre de la volonté exprimée à cette occasion par une grande partie de la population.

D'après l'UDF, le mariage entre un homme et une femme basé sur l'amour, la fidélité et le respect réciproque est la seule institution qui assure l'avenir etla pérennité de la société. C'est le cadre dans lequel l'enfant peut naître en espérant recevoir amour et affection garants de son développement, de son épanouissement et de son équilibre personnel, ayant besoin d'un père et d'une mère, ainsi que d'un référent masculin et féminin, comme la plupart de pédopsychiatres s'accordent d'ailleurs à le dire. Il convient ainsi d'éviter de banaliser l'institution familiale en lui opposant des formes peu contraignantes de partenariat, entraînant des effets juridiques sur simple déclaration des personnes concernées.

L'UDF estime qu'un tel partenariat enregistré aura tôt ou tard pour conséquence d'ouvrir la porte à l'adoption d'enfants par les couples homosexuels,comme ce fut le cas en France et en Angleterre, ainsi qu'à la procréation médicalement assistée. Un « Pacs » fédéral engendrerait également une confusion sur l'identité sexuelle des jeunes générations. En effet, pour les enfants, ce serait un non-sens de tenter de leur faire croire qu'il est possible d'avoir deux pères ou deux mères, alors qu'il a fallu un homme et une femme pour les concevoir. L'intérêt de l'enfant doit être recherché en tout premier lieu.

Pour l'UDF, les homosexuels ont une dignité et doivent être respectés, mais leur prétention à obtenir un statut identique à celui du couple naturel est irrecevable.

Vous pouvez obtenir tout renseignement complémentaire auprès du soussigné au tél. 079 / 600.99.68.

 

Maximilien Bernhard, secrétaire romand de l'UDF.