La course à l'enfer

Il y a quelques dizaines d'années, lors d'un bal universitaire, une association à caractère éminemment laïciste avait placardé un énorme écriteau intitulé : Ecole, la course à l'enfer. Humour noir, évidemment, mais révélateur d'une intention douteuse, probablement démoniaque.

Si l'on se réfère à l'article présenté ci-dessous, signé Georg Kohler : Gottesfinsternis und religiöse Grunderfahrung, on comprend que l'esprit hégélien nie l'Au-delà, l'existence de Dieu étant réduite à une simple représentation mentale, bien incapable de produire des flammes éternelles. L'Homme n'a qu'à se prendre en mains , et à empoigner l'univers pour le façonner à son gré, même si un enfer bien terrestre en est le résultat.

Cette négation d'un enfer dans un Au-delà n'est pas le monopole de philosophes.

Dans nombre de paroisses, il est rare d'entendre évoquer le risque pour un fidèle de se trouver dans ce lieu horrible. Il faut pour cela une retraite où l'on prêche les authentiques exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola, genre exclu par le clergé en général. Que la discrétion soit de mise en parlant de ce sujet, on le conçoit, mais de là à exclure tout risque, pour les assassins, les avorteurs, les vicieux de toute espèce, c'est ce me semble assez dangereux.

La fable du curé de Cucugnan, qui voit en rêve toute sa paroisse en enfer ne saurait nous concerner, nous tous, les chrétiens adultes...

N'est-ce pas, tout le monde est sauvé d'office, car, ne le savez-vous pas, le Christ s'étant uni à tout homme, plus de problème...Voyez l'encyclique Redemptor hominis (RH) de Jean-Paul II (no 13, 14). Je cite : l'homme, tout homme sans aucune exception a été racheté par le Christ, parce que le Christ est en quelque sorte uni à l'homme, à chaque homme sans aucune exception. On pourrait donc croire que cette union fait de chaque homme un être divin, sans condition. Sans baptême par exemple. M'égarerais-je ? Ne serait-ce pas de la gnose ?

Certes, le Christ éclaire tout homme venant en ce monde, les embryons en particulier, mais cette action ne saurait être identifiée à une union. Il a Lui-même précisé comment il voulait que s'accomplisse cette union : par la communion sacramentelle. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (Joh. 6, 56). Or il y a manifestement des exceptions.

Les conséquences de l'option sont littéralement renversantes. Le Christ uni à tout homme, sans exception ?; mais alors le Christ est uni à tout damné : or, impossible à un être divin de se damner. Par suite, personne n'est damné, et l'enfer est vide, contrairement à l'Ecriture, qui prévoit des pleurs et des grincements de dents, les démons sauf erreur étant dépourvus de dents.

Mt 8:12 Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Mt 13:42 et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Mt 13:50 et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Mt 22:13 Alors le roi dit aux serviteurs: Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Mt 24:51 il le mettra en pièces, et lui donnera sa part avec les hypocrites: c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Mt 25:30 Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Lu 13:28 C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes, dans le royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors.

Par ailleurs, le mauvais riche (Luc 16, 19-31), est un damné bien réel. Voir Finalités no 257, Août-sept. 2000, p. 1 ff.

Evidemment, lors des apparitions de Fatima, la réalité de l'enfer se révèle insupportable aux théologiens ''éclairés'', qui considèrent les trois voyants victimes ''d'affabulations''; par ailleurs ces apparitions ont un caractère ''privé'', leur enlèvant tout poids théologique. 70 000 témoins le 13 octobre 1917, public négligeable...On se moque froidement de Notre Dame elle-même.

A ce propos, l'Immaculée Conception, préservée de la tache originelle en prévision des mérites du Christ, fut certainement unie au Christ. Mais tout autre homme, peut-il être uni de la sorte sans passer par le baptême ? Renaître de l'eau et de l'esprit...(Joh. 3, 5).Quant à l'enfant non encore né, il a certainement une âme immortelle, que Dieu lui-même unira au Christ selon Sa volonté.

Dieu s'est fait homme, afin que, par le chemin des sacrements, il devienne Dieu. On se demande si dans la nouvelle conception, ce n'est pas l'Homme qui se fait Dieu, afin que celui-ci s'humanise, par le chemin d'une dépossession, selon certains théologiens, car tout sur la terre doit être ordonné à l'Homme comme à son centre et à son sommet (Gaudium et spes)...y compris le comportement divin semble-t-il. Le fait que le Christ ait travaillé avec des mains d'homme (RH 8) ne l'abaisse pas au niveau de l'homme.

Quel renversement.

Et non seulement nos docteurs affirment que le Christ s'est uni à tout homme sans exception, mais disent encore qu'Il est présent dans toutes les religions. (RH, no 11). Allons donc, dans les sectes sataniques aussi ? Et la Scientologie, qui se pose carrément un Eglise, ce bouddhisme technique, selon sa propre définition, sauf erreur ? En islam, le Coran présente Jésus en tant que fils de Marie, en excluant toute filiation divine ; le Rédempteur Fils de Dieu est donc absent dans la religion islamique.

Il est correct de s'attacher à rechercher le bien partout où il peut se trouver et de ne pas insister sur les affaires scabreuses, mais de là à affirmer que tout le monde il est beau il est gentil, c'est une imprudence mortelle. Il paraît que pour capturer un ours, il faut lui enduire la gueule de miel. Beaucoup de responsables aujourd'hui opèrent de façon sirupeuse, et endorment leurs ouailles.

Sens de l'histoire

La vision hégélienne de l'univers me paraît singulièrement étriquée : l'homme dans le silence éternel de ces espaces infinis, alors que la Création présente une ampleur bien supérieure, visibilium et invisibilium. Les scientifiques n'en finissent jamais de découvrir les richesses, la splendeur du monde stellaire et du monde des vivants, mais ils pourraient prendre aussi conscience du monde invisible des esprits, qui surpasse sans doute tout le visible, avec bien plus de douze légions d'anges, des milliards certainement. Les étoiles ne sont pas simplement des lampadaires, selon Hegel, mais les Cieux chantent la gloire de Dieu selon le psalmiste.

C'est dans le monde angélique que s'est produite, on le sait, la première catastrophe, par le refus luciférien, suivi du refus adamique, le rachat des hommes (et non de tous les hommes) s'étant opéré par le sacrifice rédempteur du Christ, la Vierge Marie étant la création refaite.

Il vaut mieux reconnaître cette situation, car malheureusement, la négation de l'enfer produit une accélération de la course à l'enfer.

Jean de Siebenthal

Loin de Dieu ...la religiosité primale

Pour être dans l'air du temps il faut renoncer à une implication politique des espérances de l'Au-delà, il faut renoncer à la peur de l'enfer et à toute idée de récompense des mérites .

L'esprit moderne a débarrassé le ciel de la divinité. Il n'y a plus qu'une belle ordonnance de l'univers. Les promesses éternelles sont des vestiges du passé.

Le captivant Heine a résumé cela dans une anecdote de jeunesse. Avec Hegel, à 22 ans, il est à la fenêtre à regarder les étoiles par une belle soirée.

Il désigne les étoiles comme le séjour du spirituel. A cela Hegel grogne que les étoiles ne sont qu'un appareil d'éclairage. Heine réplique, emporté : mais il n'y a donc pas de lieu heureux où l'on est récompensé des vertus après la mort ? Hegel répondit tranchant : ''Vous voulez donc un pourboire parce que vous avez soigné votre mère malade et que vous n'avez pas empoisonné votre frère ? ''

Hegel tirait les conséquences d'une civilisation devenue scientifico-rationelle et qui donc peut se passer de stimulants et de promesses extra-terrestres. Le Bien n'est plus transcendantal mais doit se faire pour ce qu'il est et la résistance au Mal n'est motivée que par le pur amour humain et plus par la crainte du diable ou de l'enfer . Le monde humain est autonome et ne tire son humanité que de soi .

Le processus de désacralisation est inhérent à l'époque actuelle. On peut le regretter, mais on ne peut le nier . Cette vision générale a des applications en divers secteurs particuliers par exemple la relation entre la politique et la religion, entre l'Eglise et l'Etat . La séparation des sphères est irrévocable puisque l'action politique exclut désormais les fondements métaphysiques de la Création. Et dans ces temps de ''guerres saintes'' et d'intolérance religieuse il faut défendre cet acquis libéral :la désacralisation des institutions officielles et le maintien des thèmes religieux en dehors de la légalité et de la coexistence civile est une des meilleures et plus importantes conquêtes des Lumières -

Alors pourquoi encore une ''Fête fédérale d'Action de grâce'' ?Ne serait-il pas temps de l'abolir ? Cela est arrivé en Allemagne où le '' Jour de pénitence '' a été sacrifié sur l'autel de l'économie. Ce mercredi de novembre est devenu un jour ouvrable. En Suisse, le Jeûne est traditionnellement un dimanche, donc il n'est pas menacé de ce côté. Cela dit pourquoi y a- t-il encore un jour de prière, établi par l'Etat et si contraire au système où nous vivons ?

A cette énigme, il y a une réponse historique et une réponse philosophique.

Les jours de prière et d'expiation sont des rituels extrêmement anciens. L'Ancien testament oblige souvent le peuple d'Israel à prier son Dieu et à faire pénitence pour avoir oublié les commandements. Le Moyen-Age chrétien est plein de ces jours de jeûne et d'expiation. A travers l'empire romain nous est venue une coutume païenne : ce n'est pas le prêtre, mais le chef qui conduit dans les temps de crise et de guerre le peuple à l'intercession et à la repentance .

L'Eglise a repris cet usage et la Réforme ne l'a pas sensiblement modifié. En 1532, les réformés de Strasbourg instituent un jour de prière suite à l'appel impérial de ''prier contre les Turcs'' .C'est en 1517 qu'apparait la version écrite de la " Grande prière des Confédérés" où les vieux Suisses imploraient l'assistance divine avant la bataille.

Ces journées apparaissent historiquement comme expression d'une classe dirigeante qui se refère aux canons divins. Si l'Etat se veut neutre vis-a-vis de l'Eglise, au moins il se dit ''chrétien'' .

Notre '' Jeûne'' date de 1796 où les patriciens voulaient se protéger de la ''menace révolutionnaire '' . Le jeune Etat fédéral de 1848 a repris cette journée pour des motifs de politique confessionnelle que le site internet des réformés qualifie d' ''intelligents''. Les tensions confessionnelles étaient grandes et il convenait d'assurer à cet Etat fragile les fondements d'une origine chrétienne commune .

Il est clair qu'il y a incompatibilité entre cette institution étatique du Jeûne fédéral et ce principe actuel de séparer clairement ce qui est politique et religieux. Et pourtant il semble que cela ne dérange personne . Le Jeûne fédéral est devenu inerte et anodin : il ne provoque pas de rage anticléricale et il n'incite plus à l'humilité et à l'autocritique.Ce monde moderne est si loin de Dieu que ce type d'excitation ou d'effort lui est inconnu.

Mais cette analyse nous conduit justement à d'autres considérations. Comme Hegel le disait, nous sommes tombés en nos propres mains. Toutefois l'humanité n'est pas à sa place comme maîtresse de l'Histoire. L'éloignement de Dieu, l'idée d'une rédemption purement humaine ne rendent pas le monde plus céleste, mais rendent l'enfer terrestre. C'est l'enseignement majeur de ce terrible XXème siècle : toute politique qui veut se passer des liens et des expériences religieuses conduit à une catastrophe luciférienne.

L'homme est confronté à cette situation incontournable .''Tu n'es certainement pas comme Dieu ''.

Le Jeûne fédéral est ni plus ni moins que le souvenir confus de ces principes antiques, la prière, la pénitence, l'action de grâce. Ce sont des noms qui se confondent avec des caractéristiques humaines essentielles qui nous permettent de bien se sentir dans le monde où nous sommes et d'y vivre un temps .

C'est la capacité d'espérer, la capacité de se retrouver et celle de s'émerveiller du cadeau immérité d'une existence dotée de raison .

Traduction Denis Helfer Georg Kohler

Le crédit social

Le banquier dont il est ici question, ce n'est pas l'homme qui prête de l'argent déjà existant qui en tire de l'intérêt. C'est le banquier qui crée l'argent nouveau, sous forme de crédit financier: de l'argent nouveau qu'il prête et dont il réclame de l'intérêt comme si cet instrument social était sa propriété.

Dans Rerum Novarum, Léon XIII semble désigner cette opération quand il parle d'une "usure dévorante, sous une forme nouvelle".

Le Major Douglas, fondateur de l'École créditiste, a écrit:

''La puissance (d'argent) ne vient pas tant de la charge d'intérêt que de la création et de l'appropriation de nouveaux instruments monétaires. Lorsque l'usurier prêtait des pièces d'argent déjà existantes, il établissait une dette pour l'emprunteur et s'appropriait l'intérêt. Mais lorsque (devenu banquier) il commença à créer et à prêter de l'argent non existant, comme le font nos banques en combinant les opérations d'émissions et de prêts, il s'appropria à la fois le capital et l'intérêt."

Autrement dit, l'usurier d'autrefois n'est qu'une pâle figure en comparaison du banquier moderne.

Pour comprendre cette accusation, il faut savoir que la banque moderne n'est pas ce que trop de gens s'imaginent encore: une institution, pour recevoir les épargnes et les prêter, faisant des profits et récompensant les épargnants en leur versant un intérêt fixe moindre que celui qu'elle charge aux emprunteurs. Cette notion n'est pas conforme à la réalité. La banque moderne ne prête pas l'argent de ses déposants: elle prête de l'argent qu'elle crée elle-même, qui s'appelle crédit et qui est aussi valable dans le commerce que les pièces d'argent ou d'or et que le papier-monnaie légal. Comment cela se passe-t-il, et en quoi est-ce pour le banquier une appropriation de ce qui ne lui appartient pas? Il est peut-être bon de le repéter ici pour de nouveaux lecteurs moins au courant.

Supposons que vous soyez un industriel demandant à la banque, et obtenant d'elle, un emprunt de 50 000$. Sortez-vous de la banque en emportant dans votre poche 50 000$ de l'argent des épargnants, que le banquier aurait pris dans son tiroir ou dans sa boîte pour vous les remettre? Non, il vous a fait signer un papier, puis il a pris un grand-livre (ledger), dans lequel il a inscrit à votre nom un crédit de 50 000$ (moins, bien souvent, l'intérêt qu'il retient tout de suite). Puis il a inscrit le même montant, à votre crédit encore, dans votre carnet de banque (pass-book), que vous avez par devers vous.

Le banquier a donc fait pour vous ce qu'il aurait fait si vous étiez venu déposer de l'argent, alors que vous êtes venu lui en demander. Vous pourrez vous servir de cette somme, au moyen de chèques, tout comme vous faites quand vous tirez des chèques sur de l'argent que vous avez vous-même déposé.

Mais ce n'est pas vous qui avez déposé cette somme, et pourtant elle est bien déposée à votre compte. C'est le banquier qui l'a déposée pour vous. Fort bien, puisque vous êtes venu chercher un prêt. Mais où a-t-il pris cet argent qu'il a déposé sur votre compte?

La réponse est intéressante. Il n'a pas pris cet argent dans sa poche: ce n'est donc pas son propre argent qu'il vous a prêté. Il n'a pas pris cet argent dans les dépôts des épargnants qui lui en ont confié: chacun de ces épargnants a encore exactement le même crédit dans son compte. Ce n'est donc pas de l'argent des déposants qu'il vous a prêté. Pas un sou n'est sorti d'aucun tiroir, ni d'aucun compte; et cependant, il en est entré dans votre compte. Il en est entré là sans qu'il en sorte de nulle part: de l'argent que vous n'aviez pas en entrant à la banque.

C'est donc bien de l'argent nouveau, ajouté à l'argent total qu'il y avait dans le pays auparavant. Er pour créer cet argent nouveau, le banquier n'a eu besoin ni de métal précieux, ni de presse à imprimer. Seul matériel utilisé: une plume et une goutte d'encre.

 

Cet argent est bon, parce que le pays pourra fournir du travail, des produits, des services, pour y répondre. Ce n'est pas le banquier qui donne de la valeur à l'argent: c'est la richesse du pays en ressources matérielles et humaines. Sans cela, le banquier aurait beau écrire des chiffres, ils ne vaudraient rien comme argent, parce qu'ils ne pourraient rien obtenir.

L'argent nouveau devrait donc, à sa source, être reconnu comme un bien de la société. Le banquier, en le déclarant son bien propre et en le prêtant à son seul profit, s'approprie un bien qui ne lui appartient pas. On appelle généralement cela un vol. Mais comme nos gouvernements autorisent les banques à faire cette opération, c'est un vol "légalisé". Légalisé par des gouvernements qui sont eux-mêmes obligés de recourir à des emprunts quand ils ont atteint le plafond de saturation des taxes.

Sur cet argent volé avec la permission du gouvernement, le banquier demande de l'intérêt à l'emprunteur; il taxe pour ainsi dire un producteur qui va créer de la richesse. Le banquier s'approprie donc un capital financier qui appartient à la société; et il s'approprie par l'intérêt, une partie du fruit du travail de ceux que ce système contraint de s'endetter auprès des voleurs légalisés.

Le banquier fait aussi des créations de crédit, tous les jours, par les découverts consentis aux marchands et autres hommes d'affaires. Ce sont des sortes de prêts à demande, convenus entre le voleur légalisé et le commerçant, et toujours effectués par de simples écritures de chiffres.

Le banquier peut refuser des prêts ou les rendre plus difficiles. On appelle cela restriction du crédit: c'est assez connu ces années-ci. De sorte que la population, gouvernants et gouvernés, est soumise au bon plaisir et aux conditions du voleur légalisé, noblement appelé banquier.

Voilà ce qui explique la citation ci-dessus de Douglas.

De son côté, Pie XI, dans Quadragesimo Anno, a dénoncé cette dictature de l'argent et du crédit:

'L'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré.

"Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique, si bien que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer."

Devant cette dictature qui pèse sur tout le réseau de la vie économique, que fait le gouvernement? Hélas! le même Pape, dans la même encyclique, a dû également dénoncer un mal qu'il qualifie d'une extrême importance: la déchéance du pouvoir; lui qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, il est tombé au rang d'esclave et devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l'intérêt."

Il n'y a pas aujourd'hui de problèmes de capacité de production, pas de problèmes de savoir-faire, pas de problèmes de bonne volonté, pas de problèmes de moyens physiques de produire ou de distribuer. Il n'y a que des problèmes d'argent, parce qu'il y a une dictature de l'argent, arbitre de la vie économique - parce qu'il y a des voleurs autorisés qui opèrent sur une grande échelle. Or, qui, à part des créditistes, dénonce vrairnent et sans répit ce monopole des monopoles dont les victimes ne se comptent plus?

Louis Even Vers Demain ler novembre 1960

 

Quand le Tribunal fédéral fait de la politique

 

En tant que greffier au Tribunal fédéral, j'ai participé à plusieurs reprises à des procédures dans lesquelles, des avocats, afin de mieux défendre leurs clients, ont tenté de mélanger justice et politique (par ex. en matière agricole, d'armement ou de politique extérieure). A chaque fois, le tribunal leur a fait comprendre de façon claire et nette que son devoir était d'interpréter et d'appliquer la loi et qu'il ne pouvait de ce fait s'immiscer dans la politique (cf ATF 96 IV 178, cons. III/1).

 

Cependant, depuis quelque temps, c'est exactement ce que fait le Tribunal Fédéral. En effet, en s'arrogeant le droit de contrôler à tous points de vue, les décisions communales en matière de naturalisation, voire en les taxant d'inadmissibles lorsqu'elles sont le résultat d'une votation, le Tribunal Fédéral ne pratique plus une jurisprudence convaincante mais bel et bien de la politique! Le nombre de naturalisations qu'une collectivité publique est censée tolérer et la manière d'en décider, est l'affaire de ses citoyens. Il n'est, dès lors, pas étonnant que ceux-ci aient à se prononcer à ce sujet. Cela paraît d'autant plus évident dans les petites communes où tout le monde se connaît, car dans ces cas, les citoyens savent mieux que quiconque, ce que leur commune est disposée à tolérer. Ainsi, la question de savoir, si une naturalisation est un gain pour la collectivité ou plutôt une demande impudente, doit leur être réservée. Soupçonner les citoyens de discrimination ou de racisme quand ils se méfient de certains candidats, serait une interprétation naïve.

 

De même, ne peut-on assimiler une décision populaire en matière de naturalisation à un acte émanant d'une autorité administrative et partant, la soumettre aux conditions juridiques d'un tel acte (droit d'être entendu, motifs suffisants dépourvus d'arbitraire, droit de recours... ). On ne peut en d'autres termes: faire comme s'il existait un droit à la naturalisation. Des citoyens ne sont ni individuellement, ni collectivement une autorité administrative, mais constituent une instance politique avec des compétences souveraines. Dès lors, rien n'oblige ces personnes à motiver l'expression de leur volonté, quand elles recommandent d'accepter ou de refuser une naturalisation, que ce soit lors d'une votation ou lors d'une assemblée communale. L'expression de volonté des citoyens est une décision politique qui leur appartient et dont les motifs leur sont propres, ce double droit étant garanti par l'art. 34 de la Constitution fédérale.

Osons espérer que des politiciens aient le courage de parer à une jurisprudence douteuse et lourde de conséquences, ce dans l'intérêt des communes et de leurs citoyens.

 

Prilly, le 24 août 2003

 

Hermann Imboden

Le destin du Calife

Avez-vous lu Micromégas, Le Taureau blanc, La Princesse de Babylone? Avez-vous lu L'Âne d'or? Si vous connaissez ces ouvrages, les lignes qui vont suivre ne vous étonneront point; si vous ignorez ce genre de littérature, mon récit va vous y initier. Mais j'aimerais bien que tous mes lecteurs aient en mémoire Le Loup et l'Agneau.

Il était une fois un pays de plus de 9 millions de kilomètres carrés, fort de plus de 220 millions de citoyens aussi industrieux que le sol qu'ils foulaient était riche. Cette nation, dont l'étranger recherchait la monnaie au même titre que l'or, possédait une flotte puissante, des fusées redoutables, des chars de combat innombrables. Ses avions pouvaient obscurcir le ciel plus aisément que les flèches des archers de Xerxès. Il n'était armement dont elle n'avait cherché à tirer quelque parti. Ses laboratoires détenaient des formules de gaz mortels, et, dans la dernière des grandes guerres, elle avait foudroyé l'Empire du Soleil levant par deux bombes effroyables dans lesquelles étaient utilisés les secrets mêmes de la matière. En un mot, disposant de quoi vaincre tous les autres peuples coalisés contre elle, cette nation aurait pu vivre tranquillement de l'agriculture, de l'industrie et du négoce en honorant les arts et en pratiquant la vertu.

Mais il est de la nature des humains d'ignorer ici-bas le parfait bonheur. Cet empire se connaissait un ennemi, un ennemi mortel qui menaçait sa quiétude, sa sécurité et sa puissance. Était-ce l'empire qui s'étend de la mer de l'Océan arctique au Pacifique? Non. Était-ce l'Empire du Milieu aussi peuplé en hommes que les eaux en poissons? Pas du tout. Une nation de la vieille Europe comme Monaco ou le Lichtenstein dont les savants subtils auraient mis au point, outre le fusil à tirer dans les coins, une arme secrète aux effets imparables? Contes bleus!

Un ennemi qui menaçait le Mississipi et le Potomac vivait près du Tigre et de l'Euphrate. C'était le successeur de Sargon et d'Assourbanipal, un tyran effroyable auprès duquel Attila n'était qu'un touriste turbulent qui avait visité l'Europe avec sans-gêne, Tamerlan un vulgaire chef de bande et Gengis Khan un doux libéral. Ce génie malfaisant avait réussi à transformer en une puissance capable de faire trembler sur ses bases l'ordre du monde, un pays de 440 000 kilomètres carrés, peuplé de moins de vingt millions d'habitants, qu'il ne cessait de terroriser grâce à ses sicaires, qu'il livrait au massacre de temps à autre et dont il détournait les richesses issues de l'or noir pour bâtir de somptueuses demeures inhabitables. Par une magie ignorée de l'Occident, le pays était décimé, affamé, apeuré, abruti, mais ses troupes étaient nombreuses, rayonnantes, triomphantes et armées jusqu'aux moustaches,

Un attentat avait-il lieu sur les bords du lac Michigan? C'était le dictateur ! Menaçait-on la bannière étoilée entre Karachi et Oulan-Bator? C'était lui encore. Bien que le grand Sachem Vieux-Buisson-qui-lance-la-tempête eut bombardé ses villes, ses usines et ses ouvrages d'art, il narguait la terre entière - on avait écrasé l'élite de son armée mais, comme Pompée le sol du Picenum, il semblait suffire au Calife de frapper du pied le sable du désert pour en faire sortir des légions!

Mis à bout de nerfs par les insomnies provoquées par ses phantasmes, las de tourner en rond des nuits entières dans son bureau ovale, le grand Sachem Buisson-prédicateur-de-paix, fils de Vieux-Buisson-qui-lance-la-tempête, décida d'en finir. Il commença, en s'adressant à son peuple puis au reste de l'Univers, par mettre en garde contre le danger que représentait le Calife. Il possédait de puissantes fusées; il disposait d'armes chimiques qui, portées par les premières, pouvaient semer la peste, le choléra, le charbon et le tournis dans les paisibles et laborieuses populations. Et puis, ne fallait-il pas délivrer de son oppression le cher peuple qu'on bombardait depuis plus de dix ans, la larme à l'oeil et pour son bien. Buisson-prédicateur-de-paix invoquait le Seigneur, le Dieu des armées. Il fallait que tous les peuples de la terre se croisassent contre l'Empire du Mal derrière la bannière étoilée de l'Empire du Bien, du Propre, du Correct et du Rentable. Connaisseur des ruses de la Prairie, le grand Sachem envoya un ultimatum au Calife : il devait détruire publiquement ses fusées. Résigné, ce dernier obtempéra.

- Encore! ordonna le Sachem. On sortit d'autres fusées. - Et les gaz ? - Je n'en ai point! - Je veux vérifier! Venez!

Il envoya des experts qui revinrent bredouilles.

-Vous voyez bien qu'il ment! Nous savons qu'il possède des obus à gaz, or nous ne les trouvons pas! C'est donc qu'il les cache!

La tête pleine d'images, d'ondes et de papier journal, le peuple du Sachem fut convaincu par ce syllogisme barbare. On vociférait contre le Calife. La haine montait.

Alors l'attaque fut déchaînée.

Sans même qu'un héraut d'armes allât signifier à l'ennemi qu'on allait l'assaillir, un déluge de feu s'abattit sur les bords du Tigre et le siège du gouvernement fut réduit en cendres. Si Agamemnon avait pu frapper ainsi le palais de Priam, quoi qu'en eut pu dire Giraudoux, la guerre de Troie n'aurait pas en lieu. Mais en Oriental subtil, le Calife avait transporte ses pénates en un autre point de sa bonne ville. Tandis que les bombardements continuaient, délivrant avec application les populations civiles et du calife et de la vie, les chars de combat se ruèrent dans le désert. Les envahisseurs, qui s'attendaient à la guerre des gaz, au choc des blindés et aux échanges d'artillerie, tombèrent sur un adversaire au matériel suranné et mal entretenu qui ne pouvait que se retrancher pour résister. Ils rêvaient également, après la bataille, d'entrer dans des villes qui acclameraient les libérateurs. Les hommes applaudissaient, les femmes poussaient des youyous, les enfants tendaient la main pour un bonbon, comme à Hollywood, en technicolor. Entracte, crême glacée, nuit de rêve sous les dattiers, et demain, à nouveau, la chevauchée fantastique et la charge héroïque. Mais le paysan, le citadin les maudissait et leur lançait des pierres, quand il ne saisissait pas le fusil du soldat qu'ils avaient abattu. Les responsables trépignaient : pas un obus à gaz ! Le tricheur! De temps en temps on exultait à la découverte d'un fût de désinfectant qu'on donnait en pâture aux journalistes, mais ça ne prenait pas. Et on arriva en vue de la capitale dans un désordre qui aurait été fatal à toute armée qui aurait eu en face d'elle, même beaucoup moins puissante, une autre armée équipée. Ou le général en chef des envahisseurs, atteint de crétinisme, ignorait les principes de l'art militaire ou il savait qu'il pouvait se permettre n'importe quoi. Je penche pour la seconde hypothèse. Il n'y eut, par exemple, pas un seul combat aérien.

Tout s'effondra sous les bombes, les tirs des hélicoptères, l'avance des chars. Les rives du Tigre ne vécurent pas les horreurs d'un siège et de combats de rue. Mais elles connurent le chaos, le pillage dont les assaillants furent les responsables. Quand on a pris une ville, quand l'ennemi vaincu n'est plus à même d'assurer l'ordre sous sa forme la plus élémentaire, on se substitue à lui et, première mesure conservatoire, on impose le couvre-feu. Mais les masticateurs de gomme accordent autant de prix aux cunéiformes que Mummius aux vases de Corinthe.

Mais où était passé le Calife? Ou se trouvaient ses ministres? C'était pour les prendre, pour les juger, pour se rendre au Capitole avec le Calife enchaîne devant lui que Buisson-prédicateur-de-paix avait lancé son armée possible. Un effacement soudain de tout le pouvoir demeure un mystère. Si les agresseurs ne le retrouvent pas vivant ou ne trouvent pas une preuve incontestable de sa mort, Buisson-prédicateur-de-paix aura perdu, sinon la guerre, une importante bataille. Sous la botte de l'étranger ou du rallié à ses ordres on rêvera longtemps du retour du Calife comme le paysan mexicain a rêvé de Zapata. - Vous verrez, « il » reviendra, et notre peuple sera libre.

Le mollah Omar qui, cerné de toutes parts, s'est enfui d'Afghanistan sur sa moto, on nous l'a dit, n'a-t-il pas pris le Calife au passage, après avoir fait le plein à Mossoul ? Le Calife, dans ses campagnes en Perse, a pu s'emparer de tapis. Qui nous dit qu'il n'a pas quitté un de ses palais en flammes sur un de ces tapis volants qui sont encore moins décelables, cela est prouvé, qu'un bombardier furtif? Quel épisode pour un poème épique! Imaginons-le, maintenant, gagnant sa vie en écoulant discrètement dans des souks de montagne, les armes de destruction massive dont il n'a jamais disposé du temps de sa puissance. Mais de telles considérations se révèlent trop épineuses pour un buisson.

 

Traduit de l'arabe par Abdul ben Bedel

 

Extrait de Lecture et Tradition no 317, juillet 2003,

B.P`1, F-86190 Chiré en Montreuil

Le devoir d'instruction

De nos jours, on se rend malheureusement de moins en moins compte du rôle de l'État en matière d'enseigne ment. Le cas vaudois (EVM) est un triste exemple d'une destruction cautionnée par les autorités, voire délibérément souhaitée. L'école se détourne de son but. Il est nécessaire de refaire l'école. Cet article reprendra quelques idées tirées du philosophe et professeur de philosophie à l'université de Genève Jean Romain, dans son livre Lettre ouverte à ceux qui croient encore en l'École, paru en 2001 aux Éditions l'Âge d'Homme à Lausanne.

Dans notre société, le service public passe pour une entreprise, ayant comme clients les contribuables qui paient leurs impôts. «Dans un service public, le client est roi (en l'occurrence les parents qui paient leurs impôts), et ce client payeur peut demander, au même titre qu'il exige qu