Reconnaître l'arbre à ses fruits

Ainsi tout arbre bon produit de bons fruits, tandis que l'arbre gâté produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre gâté porter de bons fruits. Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. Matth. 6. 17-19

On ne peut évidemment classer les hommes en deux catégories : dans leurs productions, on peut trouver des choses excellentes et des choses éventuellement exécrables. Le jugement est difficile à nos yeux.

L'Europe semble vouloir s'appuyer sur les ''Lumières'' du XVIII e siècle : les droits de l'Homme, notamment; mais il est devenu évident que les fruits de la Révolution de 1789 sont néfastes, diaboliques même, celle-ci révélant de plus sa nature, la démocratie devenant visiblement une démoncratie. Le Contrat social de Rousseau n'a-t-il pas engendré le totalitarisme des Marx, Lénine, Staline, Pol Pot, etc.

Par ailleurs, les prétendues ''Lumières'' se sont acharnées à obscurcir le Moyen âge, ce fâcheux intermédiaire entre la sublime antiquité (....), et le règne de la Liberté (!). Des gens d'Église en rajoutent même. On trouve dans l'Écho Magazine du 8 mai 2003, un article de l'abbé Claude Ducarroz, qui darde une pointe acérée contre le Moyen âge. A propos de la récente Encyclique de Jean-Paul II sur l'Eucharistie on peut lire :

Le pape rappelle aussi le bien-fondé du culte eucharistique comme l'adoration, l'exposition et les processions du Saint Sacrement, la recommandation de la messe quotidienne pour les prêtres, etc. (n'25). On peut simplement regretter qu'il n'ait pas signalé que ces dévotions, pour excellentes qu'elles soient, ne sont apparues qu'au Moyen âge, et encore dans la seule Église d'Occident. Elles ne sont pas un héritage de l'Église universelle.

Quelle audace. Dire en somme que le témoignage grandiose des Cathédrales, ces écrins de la Présence réelle, des écrits dont la Somme théologique, des Offices dont celui du Saint Sacrement, merveilleux déroulement des splendeurs divines, l'admiration des Saints tels que St François d'Assise, St Dominique et de tant d'autres ne sont pas un héritage de l'Église universelle, c'est douter purement et simplement de la présence réelle historique permanente de Notre Seigneur.

La Messe elle-même se trouve visée. A l'élévation, le prêtre présente la formidable hostie consacrée, le pain vivant descendu du ciel. Célébrer Sa mort à ce moment me semble déplacé, en glissant dans le mémorial d'un événement passé, perdant le sens du Pain vivant actuellement présent. Il y a quelques années, un prêtre arpentait une assemblée de jeunes gens, une hostie consacrée au haut d'un bras tendu, répétant avec force et justesse : vous voyez le Christ. Comportement très supérieur à celui du célébrant qui, à la Fête-Dieu, trouvait curieux qu'on puisse adorer ''un bout de pain dans un coffret''.

Je me permets de conseiller aux détracteurs du Moyen âge la lecture d'un livre de Jean Sévilla : Historiquement correct, Perrin 2003, où notamment les bourdes ressassées couramment sur la féodalité, les serfs, le paysan collé à sa glèbe, les croisades, l'inquisition, etc. sont éjectées.

 

Au XXe siècle, les Lumières ont pénétré dans l'Église, suite au culte de l'Homme des années 1960 (les fumées de Satan). Certains ont vu en Jean XXIII une sorte de Louis XVI, en Paul VI un Robespierre, en Jean-Paul II un Napoléon. On n'oserait assimiler Jean-Paul I au duc d'Enghien. Le fait est qu'un désastre s'est produit dans la formation catéchétique et dans la relève sacerdotale et religieuse.

La moitié des diocèses français n'a eu aucune ordination en 2002. La baisse continue du nombre des séminaristes touche désormais aussi, même si c'est à un moindre degré, les communautés et les séminaires qui tacitement ou expressément récusent « l'esprit du Concile » (à titre d'exemple : le séminaire d'Ars, qui comptait une centaine de séminaristes il y a cinq ans, en a soixante-huit en 2003).

En Suisse, qui vit comme l'Autriche, l'Allemagne, la Hollande, le schisme pratique de groupes qui relèvent d'un catholicisme ultralibéral (n'a-t-on pas vu une assemblée dominicale de Suisse francophone applaudir son curé qui annonçait au prône qu'il vivait avec un « ami » ? il n'y a eu aucune entrée dans les séminaires en 2002. En Espagne, le même phénomène a frappé vingt-huit diocèses. L'Italie, jusqu'ici préservée, est de même touchée : la situation est celle d'un effondrement tardif mais aussi radical (par exemple, un des séminaires les plus en vue, celui de Milan, a maintenu ses effectifs jusqu'aux cinq dernières années environ, puis une chute s'est produite, suivie comme un peu partout, d'un véritable effondrement depuis un an).

Cf. Catholica, printemps 2003, Claude Barthe, pp. 62 ff.

Aide-toi, le Ciel t'aidera…

Lorsqu'un chef, un monarque, un président, est en fonction, il ne peut évidemment agir sans un entourage adéquat, administratif, juridique, technique, philosophique, spirituel… chargé de l'assister dans la prise des décisions. Or il y a des organisations chargées de phagocyter les chefs, des lobbies, des loges, dont les adeptes sont aptes à se glisser auprès du chef pour l'influencer. La dynamique de groupe, par exemple, démolit rapidement les esprits les plus avertis, s'ils tolèrent son intrusion.

Les forces subversives se glissent partout. Je me permets de signaler au lecteur le texte d'une conférence prononcée par le soussigné lors du premier congrès de notre association, en 1971, à Lausanne au Collège Champittet, et intitulé précisément : Forces subversives, dont voici quelques extraits.

Principe de la table rase : Un tel cercle se veut neutre : toutes les opinions s'y valent. Ne parlez pas de Dieu, s'il vous plaît ; la religion (catholique), c'est connu, produit les guerres de religion, l'Inquisition, l'affaire Galilée, la Saint-Barthélemy, etc. : vite, on agite les épouvantails. Je ne parle pas bien sûr d'un cercle de boules ferrées, où la boule est reine… Non, il s'agit de cercles où, d'une manière ou d'une autre, on discute d'idées ; ces cercles sont plus ou moins étendus, plus ou moins officiels, pas forcément subversifs. Prenons toujours garde lorsqu'il y a volonté de maintenir la table rase. Dans les cercles subversifs, l'opération visée est le lavage de cerveau, qui permet d'évacuer tous vestiges d'une structure provenant de la splendeur de l'être, de la splendeur de Dieu. L'homme se voulant à la place de Dieu, fait table rase et veut trouver au fond de lui-même sa propre cause.

Dès lors, toute vérité est liquéfiée, toute finalité est abolie ; tout est révisable ; toutes les religions se valent. Les rituels érotiques, les sacrifices humains aztèques, le culte vaudou, la messe, n'ont pas à être discernés. Pour échapper à la police, des hippies font même avaler par l'opinion que l'injection de drogues interdites relève d'un acte religieux. Rien de plus affreux qu'un dogme : la foi est en avant disent certains, il faut l'înventer, Le passé meurt à chaque instant : maintenant commence notre liberté.

 

Le noyautage produit l'intrusion dans la société d'une hiérarchie parallèle. Les organes de subordination normaux sont vidés de leur signification par le noyautage, qui introduit des décisions prises ailleurs. Les comités, commissions, sont manipulés, en ce sens que les décisions importantes sont en réalité prises dans des cercles discrets fonctionnant dans les coulisses. Beaucoup d'assemblées, de cercles, de réunions obéissent aux règles de la table rase et du noyautage, (les sociétés secrètes notamment). Il arrive que le noyau soit purement et simplement un groupe de pression.

Reprenons notre cercle : le rôle des meneurs est de faire parler tout le monde, en appuyant insensiblement sur les éléments qui vont dans le sens préparé, selon l'opinion que le cercle à la fin de la ou des réunions doit avoir sur le sujet déterminé. Si c'est nécessaire on joue sur les pulsions ; on peut aussi prolonger la séance pour faire adopter par lassitude ce qui est prévu. Les irréductibles sont neutralisés si possible par quelques arguments qui jouent sur les épouvantails. Une très bonne connaissance de cette tactique permet parfois de la contrer, par un contre-noyautage soigneusement préparé ; c'est arrivé dans certains amphithéâtres en mai 1968.

 

Le moteur de la subversion, c'est l'inversion, la négation des commandements, des préceptes et conseils divins. Regardez bien, et dites-moi si l'on n'a pas bien des caractéristiques de la vie moderne en prenant le contre-pied des dix commandements, et des vœux de religion par exemple.

Changeons de perspective:

En pratique, c'est tout à fait simple, je le répète : le cercle civique chrétien est un cercle d'étude, mais un cercle de vie, et non un cercle dialectique, On prend un texte qui émane de la Source et principe, de la Révélation donnée par l'Église, expliquée par ses fils aimants ; ce texte, de façon très simple, est pris et préparé par morceaux de quelques pages à tour de rôle par chaque personne du cercle ; elle dit ce qu'elle y a trouvé, ce qu'elle en pense, ce par quoi elle estime qu'il faudrait le compléter. Ainsi, le responsable du jour s'exprime, et chaque personne du cercle aussi ; il s'agit d'un travail de l'intelligence, qui, je vous l'affirme, est très loin d'un travail "Intellectuel". Cette doctrine ainsi reçue et explicitée doit être intériorisée et, petit à petit, vécue. Nous ne pouvons transformer le monde tout de suite, mais nous pouvons entre nous déjà former une société chrétienne, et semer, là où nous sommes, sur le plan civique, une graine chrétienne, par la rectitude de nos sources de pensée, par l'expression précise et aimable de nos réflexions échangées, et par la vie droite et charitable que nous menons autant que nous le pouvons, par l'Esprit qui habite en nos cœurs. Une Source limpide, une Vérité ferme, un Cœur embrasé.

 

Notre monde, c'est la Source, c'est le Père : jaillissement de la Tradition vivante ; notre information, c'est cette Tradition et cette Vie révélée, exprimée ; notre opinion, c'est le Saint-Esprit. En résumé, dans nos cercles, la vie trinitaire se manifeste par la vérité présentée, par la vérité exprimée, et par la Vérité intériorisée et rayonnée. Jadis, c'est l'Esprit Saint qui a intériorisé le Verbe dans le sein de la Vierge Marie, qui l'a fait chair, C'est encore l'Esprit qui va intérioriser l'ordre social chrétien dans nos cœurs et dans le tissu social. Ah ! si chacun, l'homme privé, comme l'homme de gouvernement, reconnaissait dans la Personne du Père, la source et le principe du jaillissement de la doctrine sociale ; si l'information était référée à la Bonne Nouvelle, à l'Évangile, au Verbe divin, les horreurs inévitables elles-mêmes étant reportées sur la Passion; si l'opinion n'était autre que l'Esprit Saint, capable de nous entraîner vers le bien avec force et douceur… Que de belles tiges de blé dans le champ du Seigneur !

 

Nos prêtres, nos évêques, sont entourés de personnes qui, trop souvent, ont mordu aux fruits de la subversion, présents dans la presse déjà. Les fidèles qui s'inspirent de la doctrine sociale de l'Église sont mal vus, écartés. Je me permets de demander aux évêques, s'ils veulent enrayer l'hémorragie qui nous ruine, de faire appel à ceux de leurs diocésains qui ont passé une partie de leur temps à se pénétrer de la doctrine sociale chrétienne, de constituer à leur service, des cercles de vie, au sens indiqué ci-dessus.

Le manuel du cercle trinitaire, édité par le CDC, donne des précisions.

Jean de Siebenthal

Le mensuel : La Contre-réforme catholique au XXIe siècle d'avril 2003 contient un article remarquable sur Édith Stein, dont figurent ci-après quelques extraits

Edith Stein (1891-1942), enfant d'Israël martyre pour son peuple*

« Comme l'or au creuset, comme un parfait holocauste. »

(Sagesse 3, 6)

Née à Breslau, capitale de la Silésie, aujourd'hui Wroclaw en Pologne, le 12 octobre 1891, onzième et dernière d'une famille juive, dont quatre enfants sont morts en bas âge, Édith Stein n'avait pas deux ans lorsque son père, négociant en bois, mourut d'une insolation, au cours d'un voyage d'affaires. Sa mère Augusta, indépendante et fière, énergique et femme de tête, prit en main la direction du commerce et le fit prospérer tout en élevant elle-même ses sept enfants dans l'observance étroite de la Loi juive, avec ses jeûnes et ses fêtes, et son cérémonial rabbinique, pratiqué non seulement à la synagogue, mais encore à la maison. Ainsi chaque repas était-il accompagné de la récitation des grâces en hébreu, et la vaisselle soigneusement lavée dans plusieurs eaux, selon le rituel.

À l'école, Édith, remarquablement douée, dépassa bientôt ses camarades, toutes plus âgées qu'elle. Comme elle n'en tirait aucune vanité, et se montrait toujours disposée à rendre service aux plus faibles, tout le monde l'aimait. «Dès ma jeunesse, je savais que la bonté vaut plus que l'intelligence », écrira-t-elle.

--Un peu plus jeune qu'Édith, une étudiante, qui deviendra religieuse bénédictine après s'être convertie du protestantisme, sœur Aldegonde, a tracé ce portrait:

«Édith passait tout à fait inaperçue parmi nous, malgré une réputation d'extrême intelligence... elle nous semblait même assez démodée... Toujours assise aux premiers rangs de l'auditoire, petite silhouette, mince, insignifiante, et comme absorbée par l'intensité de sa réflexion. Elle portait ses cheveux sombres et lisses, coiffés en bandeaux et rattachés sur la nuque, en un lourd chignon. Elle était d'une pâleur quasi maladive, et ses grands yeux noirs, au regard intense, se faisaient sévères, presque distants, pour écarter les curiosités importunes. Mais dès qu'on l'abordait en personne, une indescriptible douceur illuminait ses yeux, un sourire ravissant animait son visage, dont les traits conservaient un peu de la candeur et de la timidité de l'enfance. On ne peut pas dire qu'elle fût belle, ni jolie, ni qu'elle possédât ce charme féminin qui séduit les cœurs d'emblée... Mais il y avait quelque chose d'incomparable dans ce visage au front haut, plein de sagesse, aux traits enfantins merveilleusement expressifs - un rayonnement paisible - que l'on ne se lassait pas de contempler... » (p. 50)

..Cette année-là, les leçons de Husserl traitaient DE LA NATURE ET DE L'ESPRfT, développant les thèmes du tome deuxième des RECHERCHES, précisément. En outre, les cours de Max Scheler ajoutaient à la phénoménologie de Husserl, pour lequel les questions de personne ne comptaient guère, l'étude des relations qui naissent de l'amour, de la haine, du repentir, et qui aboutissent à la connaissance des autres :

Mais surtout, dans sa soif de connaître le monde réel, elle se trouve amenée à l'étude de la philosophie chrétienne médiévale et de la sagesse antique, c'est-à-dire de saint Augustin, de Duns Scot, de saint Thomas, de Platon et Aristote.

Elle devint rapidement la meilleure élève de Husserl, la confidente préférée de sa pensée. Le plus dur fut de faire la conquête de madame Husserl:

... Petite et maigre, le visage pointu, animé par des yeux noirs au regard inquisiteur et toujours étonné, répondant au nom poétique de Malvina, madame Husserl avait le don de paralyser les meilleurs élèves de son mari par ses remarques incisives et ironiques... elle en voulait à la philosophie du fait que Husserl avait végété douze longues années dans un poste obscur de Halle et elle s'employait avec ardeur à détourner ses trois enfants de cette science peu rentable ! ... Lorsqu'elle assistait aux cours de son mari, c'était, de son propre aveu, pour y compter les auditeurs... »

Édith fut véritablement « adoptée » par le ménage Husserl, et devint une amie, une habituée de la maison. Ainsi buvait-elle à la source. Mais sa quête de savoir ne se trouvait pas apaisée. Résumant d'un mot cette période d'ardente recherche, Édith écrit: « La soif de vérité était ma seule prière. En juillet 1916, elle est à Francfort, avec Pauline Reinach:

« Nous entrâmes quelques minutes dans la cathédrale et, pendant que nous étions là, dans un respectueux silence, entra une femme avec son panier de commissions ; elle s'agenouilla sur un banc pour faire une brève prière. Ce fut pour moi quelque chose de totalement nouveau.

En 1914, Édith se présente à la Croix-Rouge, passe un examen d'aide infirmière ; envoyée sur le front des Carpates, elle travaille d'arrache-pied dans un hôpital militaire pour maladies contagieuses. Madame Stein lui avait dit: Tu n'iras jamais là-bas avec ma permission...

À quoi Édith répondit: Alors, je devrai y aller sans votre permission.

« Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu'elle confère à ceux qui la portent Pour la première fois, l'Église, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m'apparut visiblement. Au moment même mon incrédulité céda, le judaïsme pâlit à mes yeux, tandis que la lumière du Christ se levait en mon cœur. La lumière du Christ saisie dans le mystère de la Croix. C'est la raison pour laquelle prenant l'habit du Carmel je voulus ajouter à mon nom celui de la Croix... » (p. 55-56)

C'est avec le judaïsme biblique qu'elle a renoué en entrant dans l'Église catholique. Devenue sœur Thérèse-Bénédicte, elle ne pouvait mieux dire qu'elle s'était « sentie de nouveau juive » parce qu'elle avait reconnu en l'Église du Christ le seul véritable Israël, «l'Israël de Dieu » (Ga 6, 16), comme dit saint Paul,

En séjour chez les Conrad-Martius, ses amis protestants, dans le Palatinat, Édith commença par les accompagner au temple pour le service du dimanche. Elle fit cette remarque : « Le Ciel est fermé chez les protestants, mais il est ouvert chez les catholiques. » Un jour, elle prit un livre au hasard dans la bibliothèque, La vie de Sainte Thérèse d'Avila par elle-même

« Je commençai à le lire; aussitôt je fus captivée et ne pus m'arrêter avant de l'avoir achevé. Quand je fermai le livre, je me dis : c'est la vérité. »

Elle se mit alors à l'étude du Petit catéchisme, et quand elle pensa l'avoir suffisamment assimilé, elle se rendit à l'église catholique pour assister à la Messe :

Elle passait de longues heures en prière, dans une chapelle latérale peu fréquentée de l'église abbatiale. Un prêtre la surprit dans cette retraite, abîmée dans une silencieuse oraison :

« Il me sembla, écrit-il, assister à la prière de l'Église primitive, celle que les orantes figurent pour nous aux murs des Catacombes. Édith me parut la vivante incarnation de cette prière que l'église, debout et cependant déjà soulevée de terre, adresse à Dieu. Elle paraissait perdue dans son union au Christ et sans doute répétait-elle avec le Seigneur la fervente supplication qu'il adressait au Père : "Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la Vérité" (Jet 17, 19). »

Une autre jeune fille la voyait prier longuement devant l'image de la Vierge des Douleurs. «Je ne la comprenais pas, avoue-t-elle, car je trouvais cette image d'assez mauvais goût et je m'étonnais de la dévotion d'Édith. Ce n'est que bien plus tard, quand j'ai appris sa mort, que j'ai pensé que dès ce moment la Vierge de Compassion instruisait son enfant des douleurs qu'elle aurait, elle aussi, à porter... »

« Au moment de nous quitter, à son dernier passage à Spire, nous avons pris notre café, seules toutes les deux. Je lui dis : "Mais, mademoiselle, vous tremblez ?

Elle de me répondre:- Comment ne pas avoir du chagrin, ni trembler, quand je sais que Hitler va se saisir bientôt de mes parents et de moi-même ! » On pense à Jésus en proie à l'agonie, le jour des Rameaux, lorsqu'il annonce aux Grecs sa glorification par sa mort: « Maintenant, mon

« "Ô COMBIEN MON PEUPLE DEVRA SOUFFRIR, AVANT QU'IL NE SE CONVERTISSE ! " Et Une pensée me traversa l'esprit, rapide comme l'éclair: Édith s'offre à Dieu pour la conversion d'Israël.»

«L'âme de David, ce chantre royal, vibrait comme une harpe sous la touche délicate du Saint-Esprit. Du cœur comblé de la Vierge pleine de grâce jaillit le Magnificat. Le cantique du Benedictus ouvre les lèvres devenues muettes du vieillard Zacharie, lorsque la parole secrète de l'ange devient une réalité visible. Ce qui monte de ces cœurs, que remplit Esprit-Saint, s'exprime en une parole, une action, se transmet de bouche en bouche. Il incombera à l'office divin, de permettre au message de passer de génération en génération.

« Ces voix multiples vont se fondre et se perdre comme entraînées dans l'immense courant du fleuve mystique, dont le grondement sonore monte, tel un cantique de louange, vers la Trinité Sainte, Dieu Créateur Rédempteur Vivificateur. »

Dans un article publié pour le dixième anniversaire de la mort d'Édith Stein, le Père Przywara évoque sa rencontre avec elle et leurs travaux communs : « Elle possédait, écrit-il, un double esprit: une compréhension illimitée des êtres et des choses, une réceptivité toute féminine; mais aussi une intelligence objective et virile. Dans la discussion il n'était pas rare que ce second aspect de sa personnalité ne l'emportât; l'on assistait alors à de véritables passes d'armes entre elle et son interlocuteur, rien ne trahissant plus l'extrême délicatesse de sa sensibilité. Son style était clair harmonieux, comme l'apparence de sa personne. » comme aussi le rythme particulier de son style. Quant à la traduction de saint Thomas, elle suscita l'admiration par la qualité des commentaires de ce texte encore inconnu de la majorité des Allemands : « C'est une merveille, écrit le Père Przywara, que de trouver une traduction qui transpose sans l'altérer la sobre clarté du latin de l'Aquinate en langue allemande... Par ailleurs l'art de la traductrice est tel, ses notes marginales sont si riches de sens, que l'esprit se sent à l'aise devant cet ouvrage comme s'il avait été composé pour nos intelligences modernes. On n'y trouve que saint Thomas et encore saint Thomas, car jamais le vocabulaire de la phénoménologie - en laquelle la traductrice est passée maître n'empiète sur le langage du saint. Cependant il semble que Husserl, Scheler et Heidegger soient ici présents, et appelés à confronter leur doctrine avec celle d'un Thomas d'Aquin qui serait descendu dans l'arène de la philosophie contemporaine, et les portes s'ouvrent sans effort entre les deux mondes.»

9 novembre 1938. La synagogue de Cologne est incendiée, les juifs sont pillés et pourchassés sans merci de par la ville ! Sœur Bénédicte parut comme interdite de douleur: « C'est l'ombre de la Croix qui s'étend sur mon peuple, dit elle. Oh ! s'il venait à se rendre à la raison ! C'est l'accomplissement de la malédiction que mon peuple a appelée sur lui [ « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants », Mt 27, 25 ]. Caïn doit être châtié [sœur Thérèse-Bénédicte assimile les juifs tuant Jésus à Caïn tuant Abel , mais malheur à celui qui portera la main sur Caïn ! [ « Aussi bien, si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois », Gn 4, 15.] Malheur à cette ville, à ce pays, à ces hommes, sur qui pèsera la vengeance divine pour tous les outrages qui seront commis envers les juifs. »

Mais alors, demandera-t-on : Qui donc obtiendra miséricorde? Les enfants de l'Église.

/ Sœur Marie-Pia raconte : « Édith quittait sa cellule un peu avant la cloche pour descendre à matines et se levait souvent avant le réveil. On pouvait la voir, par la fenêtre ouverte, prier silencieusement, les bras en croix. Rose et sœur Bénédicte passaient ainsi chaque jour de longues heures à prier. Sans doute y étaient elles poussées non seulement pour satisfaire à leur attrait personnel, mais encore pour intercéder près de Dieu, comme autrefois Esther et Judith. Elles priaient avec un amour intense afin de désarmer la justice divine et d'obtenir miséricorde pour les victimes et pour leurs bourreaux... »

Avec la guerre se déchaîna la persécution contre les catholiques, prévue par Édith Stein dès 1933. Une question:- Mais vous, qu'allez-vous devenir désormais ? »

Et elle avait répondu très simplement:

- Jusqu'à présent, j'ai pu prier et travailler, j'espère bien pouvoir continuer à travailler et à prier. »

Cette halte à Westerbork semble avoir duré du mercredi matin 5 août, jusque dans la nuit du 6 au 7. Le camp comptait mille deux cents JUIFS CATHOLIQUES au total, parmi lesquels dix à quinze religieux. Environ un millier furent déportés, avec sœur Bénédicte, la même nuit.

De fait, comme la Sainte Vierge, Édith Stein appartient par la chair et par le sang à ce peuple juif dont elle a pratiqué toutes les observances rabbiniques, accompagnant encore sa mère à la synagogue après sa conversion au catholicisme. Mais la chair ne sert de rien sauf.. de victime pour le sacrifice, d'hostie pour le martyre auquel sœur Thérèse-Bénédicte s'est offerte en communion au Cœur eucharistique de Jésus et de Marie, pour que son peuple comprenne, ouvre les yeux et se convertisse. Alors, l'Église revenant elle-même à l'Évangile de Jésus-Christ, le Père pourra faire miséricorde à tous, et porter remède à toutes les rivalités, contestations, guerres civiles, raciales, ethniques, religieuses qui dévorent le monde, et renaîtra la Chrétienté..

Ouvrage de référence : Elisabeth de Miribel, Comme l'or purifié par le feu, Edith Stein 1891-1952, Plon 1984,

 

frère Bruno Bonnet-Eymard

 

Droit de vote des étrangers dans la

nouvelle Constitution Vaudoise

Mesdames, Messieurs,

Vous avez suivi sans doute l'élaboration de la Nouvelle Constitution Vaudoise. Sur un point, il n'y avait manifestement pas de majorité parmi les citoyens, en l'occurrence sur la question d'accorder le droit de vote aux étrangers sur le plan communal.

Nous sommes d'avis que le droit de vote découle de la citoyenneté et qu'il est indivisible.

Accorder le droit de vote aux étrangers sur le plan communal enfreint la règle précitée et crée un dangereux précédent, déjà la Constituante Fribourgeoise l'étend au plan cantonal. S'appuyant sur l'article 79 de la Nouvelle Constitution, 12'000 citoyens peuvent demander une révision partielle de la constitution.

Par delà les clivages politiques et les groupes d'intérêts, nous cherchons des organisations politiques ou autres, ainsi que des citoyens prêts à promouvoir une initiative ad hoc, à savoir l'abrogation de l'alinéa b de l'article 142, donnant le droit de vote et d'éligibilité sur le plan communal aux étrangers.

En espérant un signe positif de votre part, nous vous prions d'agréer nos meilleures salutations.

Jean-François Borlat Michel Dupont

Economiste Docteur ès science techn.

Etats-Unis: deux votes en faveur de l'ordre naturel

Dans l'espace d'un mois la Chambre et le Sénat américains ont voté deux projets de loi, l'un sur le clonage humain, l'autre sur l'avortement, favorisant l'ordre naturel et chrétien.

Le premier vote a eu lieu jeudi 27 février à la Chambre américaine des représentants. Par 241 voix contre 155 les parlementaires ont interdit le clonage humain, qu'il soit à des fins reproductives ou thérapeutiques. Tout clonage humain à des fins de reproduction ou de recherche médicale aussi bien que l'importation d'un embryon humain cloné ou de tout produit dérivé, serait donc considéré comme un acte criminel fédéral. En revanche, des recherches sur des cellules souches humaines ainsi que des techniques de clonage sur des animaux et des plantes ou d'autres techniques pour produire des molécules ou de l'ADN sont autorisées. Un amendement au projet de loi de la Chambre interdisant le clonage humain pour la reproduction mais le permettant à des fins thérapeutiques a été rejeté par 231 voix contre 174 ("AFP", 28 février 2003).

 

Le deuxième vote a eu lieu jeudi 13 mars au Sénat où est passé un projet de loi (par 64 voix contre 33) visant à interdire une procédure d'avortement tardif, dit ""par naissance partielle", effectué généralement au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Si le projet obtient le même résultat à la Chambre des Représentants où il devra passer dans quelques semaines, l'Amérique se prépare à restreindre, pour la première fois depuis le vote de la Cour Suprême de 1973, sa loi sur l'avortement. Mais les partisans de la "culture de mort" ont déclaré être sur le pied de guerre pour s'opposer par tous les moyens à ce projet et parvenir à rendre la probable future loi inconstitutionnelle. Dianne Feinstein, sénateur démocrate de Californie, a ajouté que « ce projet de loi pourrait vraiment affecter toutes les formes d'avortement et porter un rude coup au droit des femmes de choisir » ("Présent", 15 mars 2003).

 

 

Liechtenstein:

les pouvoirs du Prince sont renforcés

Dimanche 16 mars, au terme d'une vive campagne référendaire, les citoyens de la Principauté du Liechtenstein ont approuvé, avec 64,3% des voix, la réforme constitutionnelle proposée par le Prince Hans-Adam-II. Critiquée par une commission du Conseil de l'Europe, cette réforme accorde au Prince un droit de veto sur toutes les lois votées par le Landtag, le parlement de Vaduz, et le droit de révoquer le Parlement et d'intervenir dans la nomination des juges. Un texte de compromis, présenté par les opposants de la réforme qui visaient à garder le statu quo, n'a obtenu que 18,5% des suffrages.

Le Prince Hans-Adam II, sur le trône depuis 1989, a toujours manifesté son désir de jouer un rôle actif dans le gouvernement de son pays. C'est pourquoi il avait proposé un référendum sur une initiative modifiant considérablement la Constitution et faisant de lui un monarque régnant, doté de larges pouvoirs. En cas de refus de la part de ses sujets, il aurait quitté la Principauté avec toute sa famille pour s'établir en Autriche.

« Sans Prince nous ne sommes rien » avait déclaré le président du Parlement Klaus Wanger. Et la population a confirmé ce sentiment.

 

FILLEUL de PIE XII

"Votre dignité consiste à vous tenir aux aguets, du haut de la montagne sur laquelle vous êtes placés, toujours prêts à veiller sur toutes les peines, les souffrances, les angoisses dans la basse plaine, et vous empressant de descendre pour les soulager, comme de compatissants consolateurs et sauveteurs. En ces temps calamiteux, quel vaste champ s'offre au dévouement, au zèle et à la charité du Patriciat et de la Noblesse !

Pie XII : Allocution du Il janvier 1943 au Patriciat et à la Noblesse romaine

Malgré la distinction, rappelée par Vladimir Volkoff, entre monarchie et royauté - celle-ci n'est qu'une forme de pouvoir pouvant s'accommoder de la démocratie moderne, alors que celle-là se définit comme le gouvernement d'un seul - il semble que les royalistes de France, jeunes principalement, ne s'en soucient guère. Je lisai récemment dans une revue traditionaliste (1) les réflexions de l'un d'entr'eux, Patrick Danais, portant sur son itinéraire philosophique et politique le conduisant à ses actuelles convictions monarchistes, de forme royale, cela semble aller de soi. En lisant ces réflexions, rassemblées sous le titre: "Pour une restauration royale", je ne pus m'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Quelle fraîcheur pour une cause si trouble ! Quelle droiture pour des princes si retors ! Un seul exemple : ce jeune homme est pour la peine de mort. Le Comte de Paris et Duc de France, héritier formellement légitime des anciens rois de France, est contre...

Et ce n'est qu'un exemple. Tout l'exposé de ce jeune homme repose sur l'organicité d'un état social aujourd'hui éclaté et parcellisé en une myriade de groupes de pression politiques, économiques, religieux, occultes ou pas, plus ou moins puissants, tous évoluant en cercles fermés et dont les rapports d'alliance sont essentiellement de complaisance et d'intérêts circonstanciels. Le cadre où évoluent ces ensembles porte encore le nom de France quoiqu'on parle de plus en plus souvent de "l'Hexagone" - mais l'idée que chacun s'en fait, ou refuse de s'en faire, s'est depuis longtemps substituée à la réalité historique et spirituelle de la France authentique, laquelle n'est certainement plus portée par les princes du sang ou même issus de ce sang, et espagnols. Tous, ou presque, sont démocrates; tous, ou presque, n'aspirent au mieux qu'à une monarchie dite "constitutionnelle", c'est-à-dire, en pratique, au maintien de la République et des mœurs démocratiques, tant décriées par ce jeune homme. "Il n'y a point de rois de par le peuple" écrivait Joseph de Maistre dans la conclusion du Livre premier de son étude "Du Pape". Et si les rois actuels veulent le rester ou parfois le devenir, cela ne se peut, ils ne cessent de le répéter, que par la volonté du peuple. Force est donc de conclure qu'ils ne sont plus princes du tout, ni rois a fortiori. Ils ne sont que des fantômes du passé, des sortes d'illusionnistes.Quand je lis sous la plume de ce jeune homme que : "plus de la moitié de l'Europe d'aujourd'hui est monarchique!', je suis navré et consterné. Comment peut-on être à ce point dupe des princes de notre temps ?

Les monarchistes voudraient les voir régner pour continuer l'œuvre de leurs ancêtres. Marché de dupes : les princes sont les derniers à le vouloir, et pas seulement en France, partout en Europe : en Espagne, où le Roi, don Juan-Carlos, s'est empressé d'abandonner tous les pouvoirs importants que lui avait laissés Franco et qui pouvaient être repris sans fausse compromission dans le cadre d'une monarchie royale. Ce prince n'est dorénavant qu'un soliveau, au demeurant peu consistant, comme le sont tous les autres princes régnants en Europe, dont certains sont à peine estimables, le roi de Suède par exemple, ou les princes ou princesses monégasques. Parmi eux, un seul se distingue honorablement: Hans-Adam II von und zu Liechtenstein, filleul de Pie XII. Lui au moins prend sa qualité de prince au sérieux !

Les démocrates de son État, le dernier du Saint Empire romain germanique à n'avoir pas été englobé dans l'unité allemande ou autri-chienne, auraient bien voulu l'assimiler à tous les autres. La classe politique de la Principauté, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celle de toutes les démocraties actuelles, programmait déjà la chose avec force arguments tirés de la philosophie politique officielle des Européens: rien, même dans une principauté, ne devrait subsister qui ne soit rigoureusement et pleinement démocratique, c'est-à-dire procéder de l'unique et exclusif critère de légitimité qui est admissible : le suffrage universel. Le Prince dit tout simplement non, un non net et précis, définitif ! La Principauté tiendra compte de son existence de prince effectivement régnant, ou Monseigneur s'en ira !

La chance de cette monarchie est dans son exiguïté même et dans le prestige, la richesse sans commune mesure locale de la Maison princière. Une telle situation crée naturellement l'État monarchique, et le peuple le sent avant même de le savoir. La conséquence de cet état de fait s'est naturellement vérifiée : les sujets de S.A.S. plébiscitèrent leur souverain. Ils avaient bien perçu leur intérêt ' Sans un prince, sans ce prince-là, cet État n'attendrait pas longtemps sa dissolution. Le Prince régnant le sait et joue avec adresse la carte démocratique formelle. Mais ce n'est pas cette carte qui lui assura son triomphe récent, c'est sa situation éminente dans l'État et dans la société liechtensteinoise.

Heureux peuple qui a encore, au-dessus de ce que le Souverain lui-même nomme justement "une oligarchie de fonctionnaires, de politiciens, de banquiers et de conseillers de fortune" une autorité sociale et publique indépendante, sans égale dans le pays par la richesse et la puissance, et donc en mesure de contraindre toutes les autres à limiter leur arbitraire. Cette position suréminente dans l'État et dans la société, aucune monarchie européenne ne les possède plus sauf exceptions, et c'est bien pourquoi ces monarchies ou espérances dynastiques ne sont plus en mesure de remplir le rôle arbitral de monarque indépendant que les monarchistes leur demandent d'assumer. Et ces princes déchus, régnant ou non, ont parfaitement conscience du fait,ce qui explique leur allégeance publique aux lois de la démocratie et leur volonté forcenée d'échapper à toute responsabilité sociale ou politique, même en Belgique, où pourtant la monarchie semble essentielle à la survie de l'État. Mais partout, les peuples sont livrés, corps et biens, à ces oligarchies qui sous couvert de pacte républicain ou d'idéaux démocratiques font le lit du despotisme moderne, les aristocraties n'existant plus et l'Église étant désertée par ses propres pasteurs ! Si bien que le sort des peuples est l'aliénation et la servitude, la perte irrémédiable de l'indépendance politique.

Un État ne peut se mettre en monarchie selon les vœux arbi -traires du peuple ou le choix d'une idéologie, fût-elle celle de Charles Maurras, au demeurant assez équivoque, comme l'avait fort bien perçu Georges Bernanos. L'échec de la monarchie en France ne s'explique pas par l'échec d'une pensée monarchique auprès des Français, mais uniquement parce que la Famille de France a cessé depuis longtemps d'être la première en France, dans l'État comme dans la société française. Aujourd'hui, le Comte de Paris ne représente pratiquement plus rien, et les autres princes de Bourbon, encore moins ! Ils ne sont tous que des icônes d'un passé réellement aboli. Il n'y a de monarchie concevable dans un État que dans l'hypothèse où la survie effective de cet État dépend réellement de la puissance d'une famille avant même que celle-ci règne officiellement. Relisez l'histoire : comment les Carolingiens et les Robertiens eux-mêmes ont accédé au pouvoir royal ? En devenant plus puissants que la famille régnante. Aucune tradition culturelle ou idéologique ne peut suppléer au défaut de puissance.

Et c'est pourquoi je dis à mes compatriotes français que c'est perdre leur temps que de courir après des princes de la Maison de Bourbon, quels qu'ils soient. Aucun n'est plus en mesure de tenir devant les Français le langage que le filleul de Pie XI a tenu devant ses sujets. Donc aucun n'est à même de restaurer une vraie monarchie. Si néanmoins une restauration monarchique est souhaitable en France, ce que je persiste à penser, eh bien il faut l'attendre de la Providence qui révèlera l'authenticité princière à ce signe seulement : la sincérité de ses promesses garantie par la capacité effective de les tenir et de les imposer... parce qu'il sera le plus puissant dans l'État et dans la société, et que cette puissance, il ne la tiendra pas des suffrages mais de lui-même et de Dieu.

Michel de PREUX

Sierre, le 22 mars 2003

 

Créon et les lois fondamentales

...CRÉON commence à réfléchir. Au lieu d'exécuter Antigone séance tenante, comme il venait de l'annoncer, il décide de la murer dans un caveau en lui laissant de la nourriture, et en laissant les dieux décider de son sort, ou plutôt pour lui laisser le temps à lui de décider ce qu'il fera finalement de la jeune fille.

Puis Créon a un autre entretien important, avec le prêtre Tirésias, qui est le vénérable chef des augures. Tirésias est venu apprendre au roi que les sacrifices ne marchent plus du tout. Il est devenu impossible de faire des présages, parce que les viscères des animaux sacrifiés ne brûlent plus normalement. Ils ne font plus de flamme, mais la graisse fume et crépite, elle coule en laissant les os à nu, le fiel s'en va en vapeur, etc., je vous passe les détails. Et le responsable, c'est Créon : « Je dis que la cité souffre de ton fait », affirme Tirésias. Parce que le cadavre de Polynice, resté à nu sur le sol, est déchiqueté par les oiseaux, et que les autels sont pleins des lambeaux de son cadavre transportés par les oiseaux. De ce fait, « les dieux n'agréent plus les prières des sacrifiants, et les oiseaux ne font plus éclater des cris de bon augure, car ils ont dévoré le sang coagulé d'un cadavre ».

Créon résiste encore, et discute. Mais Tirésias va être plus explicite. Tirésias parle d'Antigone murée dans un cachot. Il parle de Polynice dont le corps est privé des rites funèbres et de sépulture. Et il dit: « Tu n'as pas de droits sur eux, tu leur fais violence. » Et cela ne sera pas sans conséquences. Le résultat, c'est que Créon sera frappé par les dieux : « Je t'avertis que plusieurs soleils n'accompliront pas leur course que tu ne donnes à la mort un enfant de tes entrailles en expiation des crimes dont tu as à répondre. »

Voilà donc que ce que Créon pouvait faire valoir au début comme une manifestation de vertu politique est devenu un crime, si on l'examine au regard des lois divines, au regard de la loi naturelle.

Alors Créon est troublé. Et il finit par se déjuger publiquement. Il demande à des serviteurs de prendre des haches, et il dit: « Cette jeune fille que j'ai mise aux fers, je vais la délivrer moi-même. Le mieux, je le crains fort, est de respecter, jusqu'à la fin de ses jours, les lois fondamentales. »

Respecter jusqu'à la fin de ses jours les lois fondamentales. C'est Créon lui-même qui finit par reconnaître la primauté de la loi naturelle, par reconnaître que la loi morale prime sa loi civile. Malheureusement, c'est trop tard. Quand Créon arrive, Antigone s'est pendue et Hémon se tue en la voyant morte. Puis c'est la femme de Créon qui se tue en apprenant la mort des enfants. Pas de happy end dans la tragédie grecque. La conséquence du viol de la loi naturelle est inéluctable. Chez les anciens Grecs, le sort est inexorable.

Le devoir de piété

MAIS ceux qui connaissent Antigone savent qu'il manque quelque chose dans mon exposé. Il manque la clef de tout, il manque le fondement. Ce fondement, c'est la piété, c'est l'amour.

Ce que commandent les dieux, à propos du cadavre de Polynice, ce sont les devoirs de piété. La piété, c'est l'axe même de la loi morale naturelle. C'est le premier commandement de la deuxième table du Décalogue : tes père et mère honoreras. La piété, c'est l'hommage qui est dû à tous ceux qui nous ont précédés, l'hommage dû à nos parents, l'hommage dû à tous ceux qui ont fait la patrie dans laquelle nous vivons, et sans qui nous ne serions rien. Car tout ce que nous avons nous a été donné en héritage, et nous sommes des débiteurs insolvables. Ce qui me frappe le plus chez Jean-Marie Le Pen, c'est cette conscience aiguë qu'il a de la piété filiale, de l'hommage qui est dû aux morts de la patrie, à toutes ces générations qui nous ont légué un somptueux héritage dont nous ne sommes que des usufruitiers et que nous avons le devoir de transmettre aux générations futures, enrichi si possible, en tout cas pas trop abîmé. Car cet héritage ne nous appartient pas. C'est sans doute pourquoi le commandement "Tu honoreras ton père et ta mère" est le seul du Décalogue qui comporte une promesse de récompense temporelle: « Honore ton père et ta mère, afin de vivre de longs jours et d'être heureux sur la terre. » Cette promesse n'est pas à prendre sur le plan personnel, mais sur le plan social, sur le plan de la civilisation. La civilisation dont on hérite ne peut durer dans l'avenir, et ne peut être heureuse, que si l'on pratique la piété envers ceux qui nous l'ont léguée. Cela va autrement plus loin que le "développement durable" dont on nous bassine ces jours-ci au "Sommet de la terre" de Johannesburg.

Dans Antigone, le devoir de piété est à son extrême limite. Et c'est toute la force du drame. La piété, cela va jusqu'à respecter le devoir dû aux morts même quand le mort est un traître et un criminel. Parce que ce mort fait partie de la famille, parce que ce mort fait partie de la patrie, même s'il l'a trahie. Et surtout parce que ce mort est un membre de l'humanité, et que la loi morale naturelle s'applique à tous les membres de l'humanité, quels qu'ils soient. Je ne peux m'empêcher de penser ici au jeune lieutenant Jean-Marie Le Pen, qui se distingua en Égypte en ensevelissant les morts musulmans selon leur rite, sans se demander s'ils étaient amis ou ennemis.

Que la piété naturelle soit au cœur de la pièce de Sophocle, ce n'est pas une interprétation de ma part, c'est dans la conclusion même de la pièce, que voici : « Ce qui compte avant tout, pour être heureux, c'est d'être sage. Et surtout il ne faut jamais manquer à la piété. Les présomptueux, de grands coups du sort leur font payer cher leur jactance et leur enseignent, mais un peu tard, la sagesse. »

Dans le corps de la pièce, Antigone revendique elle-même ce devoir de piété. Et elle dit publiquement, au peuple de Thèbes, quand elle est condamnée : « Voyez quel traitement je subis, à cause de ma piété. »

 

 

Au cœur de la loi naturelle : l'amour

La piété, c'est une forme de l'amour. Il

Il n'y a pas de piété filiale sans amour filial. Et c'est une des plus belles répliques d'Antigone à Créon que celle-ci : « je suis faite pour partager l'amour, non la haine. » Ce ne sont pas là des mots. Il ne s'agit pas de belles paroles. Il s'agit de l'amour concret, de l'amour en action, de l'amour comme règle de vie. À sa sœur qui tergiverse sur la conduite à tenir tout en assurant Antigone de son soutien, celle-ci répond : « Je n'ai point d'amour pour qui ne m'aime qu'en paroles. »

Ce n'est pas la contrainte qui est au cœur de la loi morale naturelle, ce n'est pas la peur des dieux, c'est l'amour. Voilà pourquoi l'Église catholique, qui prêche le Dieu d'Amour, est tellement à son aise avec la loi naturelle. Voilà aussi comment une démocratie devient totalitaire : quand elle remplace l'amour entre les citoyens, l'amour entre les générations, l'amour qui s'épanouit dans l'harmonie de la loi naturelle, par l'envie, par la haine, par la division, par l'exclusion, par la diabolisation des serviteurs de la loi naturelle. Car le totalitarisme, c'est le renversement, la subversion de la loi morale naturelle. C'est Créon qui devient Staline au lieu de reconnaître ses torts. C'est Chirac qui pour sauver son poste impose à l'opinion publique tout entière le mensonge absolu d'un Le Pen nouvel Hitler.

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Yves Daoudal

Extraits de Reconquête, no 195, février 2003, pp-16-17

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