Sur les personnes

Toutes les civilisations dignes de ce nom tendent à la promotion des personnes. Tout homme, femme, enfant à naître, enfant, est appelé à croître comme tel, et l'histoire nous montre en principe des cortèges de personnes, extrêmement variées, chacune douée d'une unicité émouvante, plus ou moins développée, capable ou non de promouvoir à son tour la civilisation.

Il ne s'agit pas seulement de l'ensemble des êtres humains, mais encore des êtres invisibles, de nature spirituelle, personnes elles aussi, dont certains se plaisent à affirmer la non-existence, contrairement à l'Ecriture : Dieu, anges ou démons.

Un démon parle :

(cf. Abbé Schindelholz :Exorcisme : Un prêtre parle. Ed Pierre-Marcel Favre, 1983).

A la naissance d'un homme, nous et l'Autre (l'ange gardien) sommes présents et, au baptême, nous devons reculer. Lorsque l'homme commence à réfléchir, nous revenons et nous nous trouvons au même niveau que l'Autre. Ensuite, ça change constamment, nous avançons et reculons. Quand l'homme commet un péché, nous nous approchons toujours davantage de lui et l'Autre doit reculer. Ainsi, avec le temps, l'homme n'obéit plus qu'à nous, nous le tenons ensuite bien en main.

La Révélation nous enseigne l'existence d'un Dieu unique en trois Personnes, l'une d'Elles s'étant incarnée, se faisant homme, vrai Dieu et vrai homme, ''qui propter nos homines et propter nostram salutem'', pour nous les hommes et pour notre salut,...appelant chaque homme en tant que personne à accepter la filiation salvatrice. Cette Incarnation s'est réalisée avec l'acceptation d'une personne prévue de toute éternité, la Sagesse elle même : la Vierge Marie.

La splendeur de notre religion éclate notamment dans le psaume 44, où la Personne du Fils et celle de Marie se profilent irrésistiblement :

Le Christ-Roi

1 (45:1) Au chef des chantres. Sur les lis. Des fils de Koré. Cantique. Chant d'amour. (45:2) Des paroles pleines de charme bouillonnent dans mon coeur. Je dis: Mon oeuvre est pour le roi! Que ma langue soit comme la plume d'un habile écrivain!

2 (45:3) Tu es le plus beau des fils de l'homme, La grâce est répandue sur tes lèvres : C'est pourquoi Dieu t'a béni pour toujours.

3 (45:4) Vaillant guerrier, ceins ton épée, -Ta parure et ta gloire,

4 (45:5) Oui, ta gloire! -Sois vainqueur, monte sur ton char, Défends la vérité, la douceur et la justice, Et que ta droite se signale par de merveilleux exploits!

5 (45:6) Tes flèches sont aiguës; Des peuples tomberont sous toi; Elles perceront le coeur des ennemis du roi.

6 (45:7) Ton trône, ô Dieu, est à toujours ; Le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité.

7 (45:8) Tu aimes la justice, et tu hais la méchanceté: C'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a oint D'une huile de joie, par privilège sur tes collègues.

8 (45:9) La myrrhe, l'aloès et la casse parfument tous tes vêtements; Dans les palais d'ivoire les instruments à cordes te réjouissent.

 

Marie-Reine

9 (45:10) Des filles de rois sont parmi tes bien-aimées; La reine est à ta droite, parée d'or d'Ophir.

10 (45:11) Écoute, ma fille, vois, et prête l'oreille; Oublie ton peuple et la maison de ton père.

11 (45:12) Le roi porte ses désirs sur ta beauté; Puisqu'il est ton seigneur, rends-lui tes hommages.

12 (45:13) Et, avec des présents, la fille de Tyr, Les plus riches du peuple rechercheront ta faveur.

13 (45:14) Toute resplendissante est la fille du roi dans l'intérieur du palais; Elle porte un vêtement tissu d'or.

14 (45:15) Elle est présentée au roi, vêtue de ses habits brodés, Et suivie des jeunes filles, ses compagnes, qui sont amenées auprès de toi;

15 (45:16) On les introduit au milieu des réjouissances et de l'allégresse, Elles entrent dans le palais du roi.

16 (45:17) Tes enfants prendront la place de tes pères; Tu les établiras princes dans tout le pays.

17 (45:18) Je rappellerai ton nom dans tous les âges: Aussi les peuples te loueront éternellement et à jamais.

 

La Sagesse

L'Éternel m'a créée la première de ses oeuvres, Avant ses oeuvres les plus anciennes.

23 J'ai été établie depuis l'éternité, Dès le commencement, avant l'origine de la terre.

24 Je fus enfantée quand il n'y avait point d'abîmes, Point de sources chargées d'eaux;

25 Avant que les montagnes soient affermies, Avant que les collines existent, je fus enfantée;

26 Il n'avait encore fait ni la terre, ni les campagnes, Ni le premier atome de la poussière du monde.

27 Lorsqu'il disposa les cieux, j'étais là; Lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme,

28 Lorsqu'il fixa les nuages en haut, Et que les sources de l'abîme jaillirent avec force,

29 Lorsqu'il donna une limite à la mer, Pour que les eaux n'en franchissent pas les bords, Lorsqu'il posa les fondements de la terre,

30 J'étais à l'oeuvre auprès de lui, Et je faisais tous les jours ses délices, Jouant sans cesse en sa présence,

31 Jouant sur le globe de sa terre, Et trouvant mon bonheur parmi les fils de l'homme.

 

Oui, le chrétien a des personnes à aimer.

Non pas l'Homme idole des droits de l'Homme, ou l'Homme objet d'un culte. La personne à aimer, c'est le prochain, surtout le malheureux que nous rencontrons comme tel, dont nous avons connaissance, démuni physiquement, matériellement, ou affectivement, ou culturellement, ou spirituellement, l'homme concret privé d'un accès à la Personne du Christ, Fils de l'homme. Mais ouvert à ce courant de charité.

Bien plus, le sommet de l'amour existe dans la vie trinitaire, modèle insurpassable du Dieu aimant, du Dieu aimé, du Dieu acte d'aimer, en trois personnes, la seconde personne énonçant : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés, en donnant sa vie s'il le faut. Sur la croix, Jésus confie le disciple qu'il aimait à sa mère, et celle-ci à ce disciple. Merveilleux trio de personnes aimantes.

Jean de Siebenthal

L'Europe: "vassale" des Etats-Unis

ou de l'islam?

Quel est L'avenir des rapports entre Etats-Unis et Europe? Dernièrement, observe Ralf Dahrendord, « on est en train d'utiliser un langage qui définit l'Europe par la distinction, ou mieux le contraste, avec les Etats-Unis: une Europe antithétique à l'Amérique» ("La Repubblica", 19 février 2003). Après la chute du Mur de Berlin, le lien qui, dans l'ère de la guerre froide, avait uni l'Europe et les Etats-Unis, est dissous. Charles A. Kupéhan, dans un livre au titre significatif, The End of the American Era (La fin de L'ère américaine) (Knopf, New York 2002), prévoit que le fossé entre Etats-Unis et Union Européenne est destiné à s'élargir et que l'Occident, auparavant unitaire, s'acheminera vers une division en deux sphères en forte compétition entre elles. Le nouvel ennemi paru à l'horizon le 11 septembre 2001, le "terrorisme global" de matrice islamique, n'a pas réussi à renouer l'alliance euro atlantique. L'Europe reproche aux Etats-Unis de se mouvoir en dehors de la légalité internationale, les Etats-Unis reprochent à l'Europe de ne pas ouvrir les yeux sur la réalité du danger qui menace l'Occident.

Sur le plan international, les Etats-Unis ont souvent préféré l'utopisme au réalisme. Aujourd'hui, paradoxalement, c'est la "vieille Europe " qui préfère Wilson à Metternich. L'Europe, comme a écrit Robert Kagarii, vit avec la pensée d'un « paradis post-moderne de paix et de relative prospérité, réalisation de la paix perpétuelle de Kant », tandis que les Etats-Unis restent empêtrés « dans le monde anarchique hobbesien dont les lois et les normes internationales sont non-fiables et la sécurité réelle, la défense et la création d'un ordre libéral continuent à dépendre de la possession et de l'utilisation de la puissance militaire » (''Policy Review'', n. 113, juin-juillet 2002).

La guerre du Kosovo a été conduite par la Communauté internationale, à travers l'Otan, au nom du principe wilsonien de l'ingérence humanitaire. En Irak, au contraire, la raison ultime de l'intervention américaine, comme l'a souvent répété Bush, n'est pas la "démocratisation" du pays mais la nécessité de désarmer Saddam pour préserver la sécurité interne et internationale des Etats-Unis. La guerre n'est pas conduite pour imposer des principes abstraits et démocratiques, mais pour défendre les « intérêts nationaux » d'une coalition d'Etats souverains.

L'Europe, d'autre part, doit aux Etats-Unis la possibilité de pouvoir les critiquer. Les pays d'Europe de L'Est qui, dans les dernières semaines, ont manifesté leur solidarité au gouvernement des Etats-Unis, n'ont pas oublié qu'ils les ont libérés du joug soviétique. L'Europe occidentale semble au contraire oublier que L'Amérique a garanti militairement pour plus de quarante ans sa liberté. Les archives soviétiques ont révélé l'existence de plans, toujours mis à jour, d'invasion militaire de l'Europe. Si cela n'a pas eu lieu, on le doit uniquement aux troupes américaines qui ont pris position sur la ligne de L'Elbe et, à partir des années 80, au "bouclier spatial" de Reagan et aux "euromissiles" de l'Otan. Victor D. Hanson. observe dans "Commentary" (octobre 2002): «Si les Etats-Unis, à la fin, devront intervenir seuls contre l'Irak sous les reproches de l'Europe... il sera très difficile par la suite de secourir militairement un pays européen ». Qui défendra l'Europe si les Etats-Unis ne pourront ou ne voudront pas l'aider? Oriana Fallaci affirme que L'Europe, avec ses seize millions d'immigrés musulmans « est devenue une province de l'Islam, comme l'Espagne et le Portugal au temps des Maures » ("Wall Street Journal, 13 mars 2003). Si elle ne l'est pas encore elle pourrait le devenir. Sommes-nous sûrs qu'une Europe ''vassale'' de l'Islam soit mieux qu'une Europe protégée par les Etats-Unis ? (R. d. M.)

Roberto de Mattei. Correspondance européenne, 10 mars 2003

 

La dernière trahison

Ici en Angleterre nous nous trouvons face à ce que le Times a décrit comme "la dernière trahison-, pas de questions".William Rees-Mogg écrivait (déc.2002) "Au courant de l'année dernière Tony Blair a planifié l'entrée de l'Angleterre dans une Europe unie sans permettre aux Anglais de se prononcer sur cette affaire". Ma femme Gladys et moi avons beaucoup d'amis en Europe et pas la moindre hostilité à l'égard de leurs pays. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner la Constitution ancienne et bien rodée de notre pays qui considère l'habeas corpus et le jugement par un jury comme la clé de voûte de la justice. Comme je le comprends, il est proposé sans nécessité de remplacer cela par le corpus juris européen et d'introduire un mandat d'arrêt européen donnant à la police européenne le droit d'arrêter quelqu'un en Angleterre. Tout cela est introduit avec très peu de consultation publique.

Un autre sérieux problème pour l'Angleterre c'est que notre gouvernement a perdu le contrôle de nos frontières. La reconnaissance tardive de ce fait ne peut avoir que des effets insuffisants. Nous pouvons oublier la Forteresse Angleterre et la "sceptred isle" de Shakespeare. Des étrangers entrent en flots dans ce pays par dizaines de milliers, changeant son caractère pour toujours, simplement par leur nombre. Ils sont protégés par la Convention européenne des Droits de l'Homme, une justice indulgente et non-élue. De plus ce problème est loin d'être simple. Cette invasion étrangère est largement constituée de gens qui cherchent désespérément à échapper à l'effondrement de l'ordre et de la civilisation dans ce qui fut des pays ordrés.

Mais je ne peux pas nier que notre immense population immigrée (dont la moité est, bien entendu innocente) forme la mer dans laquelle une petite minorité de terroristes peut nager. Mais comment pourrait-on refuser l'asile aux Zimbabwéens torturés et terrorisés? Il faut plus que la sagesse de Salomon pour sortir de ce gâchis, et il n'y a simplement pas de réponse chrétienne simple.

Zimbabwe

Vous vous demandez peut-être pourquoi je n'écris pas au sujet du Zimbabwé où la situation est totalement désespérée et évolue rapidement de mal en pire. Ma principale occupation est d'essayer d'aider quelques-unes des victimes de l'effroyable despotisme de Mugabé.

Les mots sont incapables de donner une idée de la réalité de la tragédie du Zimbabwe, mais j'ai essayé de rapporter les simples faits dans la lettre d'information de janvier du Rhodesia Christian Group (La terreur et la torture). Je pense que vous l'avez vue. Le livre de Cathy Buckles "Beyond Tearsig" est une lecture obligatoire sur le Zimbabwé d'aujourd'hui et on peut le trouver dans les librairies d'Afrique du Sud. On pourra bientôt l'obtenir à notre bureau en Angleterre (PO Box 5307 Bishop's Stortford CM23 3DZ) au prix de £14 port et emballage inclus. L'espace me manque pour écrire au sujet de la trahison du christianisme par une grande partie des cadres anglicans au Zimbabwe. Elle est conduite par l'évêque Nolbert Kunonga dont on dit que l'élection a été truquée à la manière de celle de Mugabé.

Faites, s'il vous plait, une priorité du Zimbabwé et de sa population dans vos prières. Ce pays n'a pas de pétrole de sorte qu'une des plus monstrueuses tyrannies sur cette terre n'est qu'un souci périphérique pour M. Blair - et probablement encore moins pour M. Bush.

Extraits de

Père Arthur Lewis, Lettre aux amis, Mars 2003

 

 

 

Du Beau

Etranges propos que ceux d'un vieux dandy qui se prend pour un esthète (FINALITES No 283 Mars 2003):

''Le beau est la splendeur du vrai. Cela est manifestement faux pour au moins cinq raisons :

1/ certaines choses sont vraies et ne sont pas belles

2/ d'autres choses sont belles et ne sont pas vraies

3/ pour rendre plus beau quelque personne ou objet on l'éloigne de la vérité

4/ dans certains cas, le mot vérité ne veut rien dire, en particulier en musique

5/ la vérité n'est jamais perverse même si elle peut être dure à supporter. Au contraire le beau peut être dangereux, voire pervers ''.

A mon avis, l'auteur de ces lignes me paraît faire une confusion entre les mots vérité et réalité. D'où:

 

1/ certaines choses sont réelles et ne sont pas belles

2/ d'autres choses sont belles et ne sont pas réelles

3/ pour rendre plus beau quelque personne ou objet on l'éloigne de la réalité ; etc.

Si à juste titre le beau est splendeur du vrai, c'est que le vrai (car il ne peut y avoir qu'une seule vérité) est l'expression de celui qui est vrai : Dieu.

Qu'est-ce qu'alors le beau ?

Le beau ici-bas est l'expression naturelle de l'harmonie surnaturelle trinitaire. L'homme peut avoir accès partiellement à cette harmonie par le biais du beau. L'harmonie trinitaire partielle est une grâce qui met l'homme dans un état quasiment parfait au plan de sa personne physique, intellectuelle, sentimentale et spirituelle.

L'Evangile nous révèle cela dans le texte relatif à la transfiguration du Seigneur devant les trois apôtres choisis particulièrement pour avoir part à cette révélation.

Saint Pierre toujours prompt à réagir et vivant ce moment d'harmonie trinitaire dit au Christ: "Seigneur, il nous est bon d'être ici, si vous le voulez, faisons y trois tentes... ".

Quand l'auteur affirme que le mot vérité ne veut rien dire, en particulier en musique, on lui opposera la définition donnée de la musique en général et de celle de Mozart en particulier (pas celle qui hurle des slogans sataniques avec force de décibels) par l'abbé Zundel : "La musique est la voix du silence ", c'est à dire celle de l'infiniment beau, de l'infiniment bon, de l'infiniment aimable, caractéristique de celui qui a dit: »Je suis la vérité ». Encore une fois, la belle musique mettra l'être en harmonie avec la voix du silence.

Quand Le Corbusier affirme que la belle et bonne architecture est celle où l'on est bien dedans et qu'à propos de l'architecture sacrée il parle d'espace indicible, qui ne peut pas être dit, il révèle à son tour l'état d'harmonie que cet art peut transmettre à l'homme au sein d'un espace construit.

C'est cet état d'harmonie qui fait que l'homme peut appréhender de la même manière la grotte de Lascaux, l'église abbatiale de l'abbaye de Noirlac, la cathédrale de Lausanne, l'abbaye rococo d'Einsiedlen ou l'église du Christ-Roi de Fribourg (CH), chef d'œuvre d'architecture sacrée du milieu du XX e siècle.

Oui, décidément, le beau est la révélation non pas du réel, mais effectivement du vrai.

Partant des philosophes de l'Antiquité, la Sainte Eglise qui a planché sur le sujet nous dit en gros ceci: l'harmonie du beau « est un ordre de paix, pas de discordance. La beauté forme un état où tous les éléments sont en place et constituent un équilibre de bien être, ce qui suscite la joie et le bonheur pour soi même et pour les autres. Le beau signifie autre chose que son apparence (esthétisme et goùt). C'est quelque chose de beaucoup plus intérieur. La découverte du vrai, c'est - à - dire, l'état de grâce qui a précédé le drame et la catastrophe du péché originel, dont la laideur est désordre, discordance et une réalité où tous les éléments n'ont pas leur place et forme un magma déséquilibré », en un mot, le mensonge et l'Enfer.

Claude Nicod Architecte

 

 

Pensée

"Je vis penché en avant" disait Victor Hugo et moi, redressé en arrière !

Car celui qui se penche en avant sans se soucier de l'arrière finira par basculer, dans l'avenir, certes, mais à terre ...

Tandis que celui qui, le regard fixé devant lui, tout en conservant avec soin la mémoire du passé, peut marcher hardiment.

Le véritable progrès n'est qu'un enracinement continué. S'y oppose le progrès u t o p i q u e de toutes les tables rases, qui n'est qu'une f u i t e en avant.

"On est forcé de penser en fonction d'une utopie qui apparait un peu folle" dit un professeur moderne, Bertrand Badie (émission "Si vous saviez du jeudi 30 janvier 2003, TSR 2).

Refusons donc d'être f o r c é et la pensée, avec le réalisme, le refus des utopies, retrouvera et la liberté et l'espérance, qui. est à l'utopie ce que le cauchemar est au rêve prémonitoire.

"Je ne pouvais rompre que parce que j'avais des attaches; je ne pouvais m'arracher que parce que je possédais des racines. Je croyais liquider, alors que je continuais. Et ce que vous appelez mon insurrection était en réalité le produit de la décision volontaire d'un homme qu'une culture, des paysages, des angoisses, des millénaires avaient formé."

Georges Mathieu, 18 février 1974.

Michel de Preux, 30 janvier 2003

 

La guerre de 1870

(Signe de l'abaissement et du discrédit de la France)

 

En 1789, la France est la plus grande puissance d'Europe, la plus riche, la plus peuplée, celle qui possède l'armée la plus moderne que complète la flotte victorieuse de la guerre d'Amérique. De plus l'Espagne et l'Autriche sont ses alliées ; l'Allemagne, morcelée, est impuissante; l'Italie n'existe pas; et la Russie reste encore à l'état sauvage.

En 1870, 80 ans plus tard, la France battue, écrasée, humiliée n'est plus qu'une puissance secondaire, une puissance subalterne et, jusqu'à nos jours, malgré quelques sursauts héroïques et bien des rodomontades, elle le restera. La guerre de 1870-71 a sonné le glas de nos illusions; elle a réuni, synthétisé en quelque sorte, toutes les raisons pour lesquelles nous sommes tombés si bas en venant de si haut.

En fait, toutes ces raisons peuvent se résumer en une seule: les ravages de l'esprit révolutionnaire qui a détruit l'unité nationale, fondée sur l'union simple et forte d'une dynastie et d'un peuple, cimentée et inspirée par l'Eglise catholique. Un siècle de crimes, de désordres, de sottises et surtout d'impiété, cause première de toutes les autres, va se payer alors du prix du sang et du déshonneur. Voyons comment les choses se sont passées pour en tirer quelques leçons.

 

En 1814, quand la France retrouve ses rois légitimes après la tourmente révolutionnaire, elle a certes perdu sa prépondérance mais garde des atouts; elle demeure la grande puissance de l'Europe continentale. Les leçons de la Révolution peuvent lui permettre de chasser ses démons, de retrouver le pouvoir qui a fait sa grandeur et la foi qui lui a donné son élan. Il lui faut donc un régime d'autorité - qui n'est pas un régime autoritaire d'ailleurs - et une Eglise souveraine, dont l'influence et la doctrine lui permettront de panser ses plaies et de résoudre les nouveaux problèmes que lui pose une société qui, de rurale, devient à dominante urbaine.

De 1814 à 1870, trois tentatives successives seront faites dans ce sens, toutes trois d'ailleurs d'une durée de 15 à 18 ans - le temps qu'une génération oublie les leçons de sa devancière - et ce seront trois échecs. Chaque fois la France se retrouvera plus bas jusqu'à la catastrophe finale. Chaque régime, en tombant, laissera derrière lui son cortège de rancunes et de divisions, tandis que l'esprit révolutionnaire, lui, se développera sans cesse sur ces terres meurtries et épuisées par des conflits fratricides.

Ces trois échecs, ceux de la Restauration, de la Monarchie de Louis Philippe et du second Empire, ont, au fond, une seule et même cause: le refus de reconstituer une France chrétienne et de donner à l'Eglise la prépondérance qui, par le passé, lui avait permis de guider ses pas à travers bien des épreuves. En 1814, cette Eglise, certes, a survécu, mais elle a été rabaissée, humiliée et banalisée en somme par le concordat de 1801. Ce n'est plus qu'une Eglise de fonctionnaires, nommés et étroitement contrôlés par un pouvoir laïc. Elle n'est plus religion unique mais celle de la «majorité des Français»; et protestantisme et judaïsme ont droit de cité à ses côtés. Elle n'est plus indépendante, elle n'est plus souveraine, elle n'est plus libre: elle n'a même pas le droit d'ouvrir ses propres écoles! Elle ne peut donc plus inspirer un régime politique, lui apporter une doctrine et une âme qui puissent contre-battre l'esprit révolutionnaire.

Dès 1815 pourtant, Rome avait demandé à Louis XVIII de refondre le concordat. Le roi, qui au fond était d'esprit voltairien, s'y est refusé et dès lors dès 1818 - le franc-maçon Descaze devient son premier ministre et d'anciens républicains et bonapartistes contrôlent de nouveau l'appareil d'Etat. Du coup, les idées révolutionnaires, face à une Eglise paralysée, reprennent du terrain et lorsque Charles X, justement alarmé, tente d'y mettre le holà, il est trop tard, les événements lui échappent, l'armée gangrenée ne lui obéit pas et il est renversé: la Révolution a gagné sa première manche.

Elle va gagner la seconde sous Louis-Philippe, esprit totalement areligieux, qui n'a pour doctrine que le « enrichissez-vous» de son premier ministre protestant Guizot, et pour qui l'archevêque de Paris doit toujours être vieux «car il est plus calme et la charge vaque plus souvent»! Cette nouvelle avancée dans le cynisme, ces nouvelles concessions à l'esprit révolutionnaire ne désarment pas celui-ci bien au contraire. Le monde intellectuel et la jeunesse des Ecoles, qui n'a reçu qu'une éducation laïque, deviennent agnostiques et républicains, car l'idéologie est le substitut pervers d'une religion sclérosée. Et de ce fait, c'est à cette époque, qu'une partie du clergé, devenu simple auxiliaire d'un régime qui le méprise, se rapproche de la gauche, commençant ainsi et d'une certaine manière sa longue marche vers l'apostasie du XXe- siècle.

Après la brutale et meurtrière secousse de la deuxième République, il semble que la Providence donne encore une dernière chance à la France chrétienne de se ressaisir et de retrouver dans la foi catholique le chemin de sa force et de sa grandeur. Hélas, il n'en sera rien: Napoléon III, malgré la demande instante de certains évêques refuse de réformer le concordat, le funeste concordat. L'Eglise, paralysée de plus par la défense du pouvoir temporel de la Papauté, devient alors l'auxiliaire obligé d'un gendarme impérial, qui n'a d'ailleurs plus la foi, ce qui lui vaudra la haine meurtrière d'un Victor Hugo et de la nouvelle génération républicaine, teintée désormais de socialisme et rejetant même l'idée de Patrie.

C'est sous ce Second Empire qui, plus encore que la Monarchie de Louis Philippe, n'a pour doctrine que le développement des « affaires » et l'esprit de lucre et de jouissance qu'il entraîne, que la société bascule en fait dans l'irréligion. Le régime ne peut trouver de réponse aux drames que provoque l'urbanisation fiévreuse de la France, entraînée par l'industrialisation. Un monde de déracinés, coupé de toute base religieuse et de toute formation morale, se forme dans les grandes villes, et il est disponible pour toutes les aventures. La Révolution devient alors son idole et le monde intellectuel, historiens comme Michelet, poètes comme Hugo, romanciers comme Eugène Sue, lui donne ses inspirateurs et ses grands prêtres. La corruption des élites se marque alors par la publication d'un roman comme «Madame Bovary» ou d'un recueil de poèmes comme «Les Fleurs du mal» dont le titre est parfaitement évocateur.

Le Second Empire, régime d'aventuriers au fond, sans foi ni lois, voit ainsi la situation politique lui échapper et il va commettre l'erreur classique des régimes aux abois: tenter de s'allier, de composer avec ses ennemis, ce qui ne fait toujours que renforcer l'audace et l'insolence de ceux-ci. Ce sera l'Empire libéral qui voit le jour en 1869-70, sous la houlette d'un premier ministre républicain rallié de fraîche date: le calamiteux Emile Ollivier, élément précurseur de cette future république des avocats qui détruira la France dans ses racines elles-mêmes.

En 1870, année terrible, année de tous les drames, on dirait que la Providence se lasse et que le destin dicte ses arrêts. L'Empire, usé, n'est plus que le régime de tous les cynismes et de toutes les frivolités. Au parlement, une opposition républicaine, bien que minoritaire, dicte ses lois à une majorité qui ne croit plus en rien qu'aux plaisirs de la « Vie Parisienne ». Dans la rue la révolte gronde, les agitateurs - dont de nouveaux venus, les journalistes - rivalisent d'agressivité. Le pouvoir n'ose pas réunir périodiquement, comme il l'était prévu, la garde mobile qui constitue la réserve de l'armée. La mobilisation elle-même ne fait l'objet d'aucun exercice: on ne sait jamais où cela peut déboucher! L'armée, elle aussi, est atteinte: quel idéal le régime peut-il lui offrir sinon des aventures comme celle du Mexique qui tourne à la catastrophe? Aussi, à Paris, lors du référendum de 1870, des régiments, des bataillons de chasseurs mêmes, votent majoritairement pour l'opposition. Les chefs sont inquiets. Certains, tel Bazaine, sont sensibles aux sirènes républicaines qui les flattent pour se les annexer. Aussi le désordre se répand dans l'institution, le matériel d'artillerie est obsolète, mais l'on n'ose pas demander des crédits pour le moderniser. Les magasins, les arsenaux sont vides: les munitions manquent...

L'Eglise bien sûr est plus passive que jamais. Elle soutient le régime car le premier de ses soucis est toujours de sauvegarder le pouvoir temporel du Pape que Napoléon III protège. Mais, dans l'élite, elle n'a plus ni prestige, ni autorité alors que dans le bas peuple des villes on voue le clergé à l'exécration, moyen commode et démagogique de mobiliser les esprits et d'entretenir les haines.

Face à une telle situation les derniers tenants d'un pouvoir autoritaire, l'impératrice en particulier, en viennent à envisager avec faveur l'épreuve de force: la guerre, qui permettra de reprendre le pays en mains, ressource désespérée des régimes usés qui se retournent toujours en fin de compte contre eux.

C'est dans ce contexte que la déclaration de guerre à la Prusse va apparaître comme une véritable fuite en avant devant les spectres menaçants qui se dressent de toutes parts sur les ruines intellectuelles, morales, civiques, religieuses, accumulées par 80 ans de lâchetés.

Julien Gracq a écrit, qu'en 1870, les Français étaient partis à la guerre en se haïssant bien plus entre eux qu'ils ne détestaient l'ennemi. Or, c'est un luxe qu'ils ne pouvaient plus se permettre...

Ils le pouvaient d'autant moins que l'instabilité chronique du pays, la démagogie et l'impuissance de ses dirigeants fragiles, vélléitaires et cyniques, rendaient impossible la constitution d'alliances solides et durables avec les deux seules puissances qui auraient pu soutenir efficacement la France contre la Prusse: les monarchies russe et autrichienne, assises l'une et l'autre sur des fondements religieux solides.

Aussi bien, sur le plan international, face à cette France qui a gaspillé toutes ses chances, perdu tous ses atouts, qui est divisée contre elle-même, et donc affaiblie face aux autres, où légitimistes, orléanistes, bonapartistes, républicains, paralysent la vie publique par leurs conflits, se dresse une puissance qui, elle, a suivi la voie inverse et va en recueillir les fruits grâce à une guerre longuement méditée et préparée.

Cette Prusse, elle, est un Etat religieux, luthérien. Faut-il rappeler que sa dynastie des Hohenzollern descend du grand maître des Chevaliers Teutoniques, ordre passé avec armes et bagages au Protestantisme au XVIsiècle ? Son roi est un homme pieux, un homme de devoir. Son premier ministre, Bismarck, est un génie qui impose sa volonté et écrase son opposition lorsqu'elle veut faire obstacle à son grand projet: réaliser l'unité allemande grâce à une guerre contre la France. Et cette France, Bismarck, qui y a longtemps été ambassadeur, la connaît bien: il en sait les mortelles faiblesses, la vacuité des élites, la corruption du peuple. Cette France, il doit et il peut l'écraser pour établir alors pour toujours la domination allemande sur l'Europe, qui sera à ses yeux d'ailleurs celle de la vertu sur le vice, sur ce Paris qu'il appelle Sodome et Gomorrhe. Et de fait, pour la France, l'heure du Châtiment va sonner.

Que dire de cette sinistre guerre de 70 qui sera en fait une exécution publique? Ollivier a déclaré que ce conflit, il l'acceptait «d'un cœur léger » et c'est bien la légèreté qui de notre côté y préside, cette légèreté fille du cynisme. L'armée devait réunir 600000 hommes; elle n'en regroupe pas la moitié après une mobilisation calamiteuse. On attendait 100000 engagements volontaires: il s'en produit 15 000. Rien n'est prêt et les généraux sont au-dessous de leur tâche, tant dans l'armée on méprisait « les études». Aussi Mac-Mahon est battu, Bazaine, tourmenté par l'ambition politique, s'enferme dans Metz pour y négocier bientôt avec les Prussiens.

Il faudrait se retirer sous Paris, manœuvrer sur la Marne, réunir nos derniers corps d'armée, mais l'on n'ose pas.

A Paris, le gouvernement affolé refuse un repli, preuve d'échec qui pourrait provoquer une révolution. La garde-mobile, réunie à Châlons, est en état d'insurrection larvée: elle insulte ses généraux. L'empereur se porte alors avec ses dernières troupes vers Sedan.

Lamentable équipée dont les Allemands connaîtront d'ailleurs le but et le cheminement grâce à des « indiscrétions » de la presse parisienne. Elle aboutira donc à un encerclement et à une capitulation dans laquelle l'empereur est compris. Dès que celle-ci est connue, une insurrection se produit à Paris et, à travers les républicains, c'est l'esprit révolutionnaire qui triomphe, alors que s'effondre sans retour la prééminence française.

Il n'y a pas là coïncidence. L'opposition, cette infernale opposition révolutionnaire qui depuis 1815 ronge la France de l'intérieur, a voulu, ici, la chute de l'Empire, fût-ce au prix d'une défaite de la France, que les enfants de Victor Hugo dans leur journal « Le rappel », souhaitent publiquement. Cette opposition, depuis quatre ans, luttait au parlement contre le réarmement de la France, le service militaire obligatoire, un rapprochement avec la Russie et l'Autriche, et Monsieur Thiers, tenait la menace prussienne pour une «Fantasmagorie »! Dès la déclaration de guerre, elle avait entretenu une agitation permanente, entravant la mobilisation, paralysant et dénonçant, comme on vient de le voir, les opérations. C'est elle aussi qui avait perverti l'esprit fruste d'un Bazaine, le conduisant par l'ambition jusqu'à la trahison.

Bien sûr, venue au pouvoir, l'opposition révolutionnaire voulut renouveler 93, les soldats de l'An II, la levée en masse, faisant semblant d'oublier qu'à l'époque la France ne s'en était sortie que parce que la vieille armée royale était intacte, disponible, et qu'elle était la meilleure de son temps. Mais il lui fallait, pour faire oublier ses crimes, se draper dans un patriotisme de circonstance, j'allais dire - mais ce serait injuste pour certains - de pacotille. En fait, la « Défense Nationale », lancée sous l'autorité de Gambetta, n'aboutit qu'à prolonger la guerre de quatre mois, fort inutilement et coûteusement car les jeux étaient faits. D'ailleurs, les soldats improvisés de la République, les garde-mobiles en particulier, braillards et indisciplinés, ne tenaient pas au feBien sûr, venue au pouvoir, l'opposition révolutionnaire voulut renouveler 93, les soldats de l'An II, la levée en masse, faisant semblant d'oublier qu'à l'époque la France ne s'en était sortie que parce que la vieille armée royale était intacte, disponible, et qu'elle était la meilleure de son temps. Mais il lui fallait, pour faire oublier ses crimes, se draper dans un patriotisme de circonstance, j'allais dire - mais ce serait injuste pour certains - de pacotille. En fait, la « Défense Nationale », lancée sous l'autorité de Gambetta, n'aboutit qu'à prolonger la guerre de quatre mois, fort inutilement et coûteusement car les jeux étaient faits. D'ailleurs, les soldats improvisés de la République, les garde-mobiles en particulier, braillards et indisciplinés, ne tenaient pas au feu, et la Garde Nationale sera, demain, l'instrument de la meurtrière Commune de Paris. Lors de la dernière bataille de l'armée de la Loire, au Mans, les « mobiles » abandonnèrent ainsi la crête d'Auvours, position clé par où toute l'année française risquait d'être tournée. Chanzy dut faire alors appel à la dernière unité solide qui lui restait, les Zouaves pontificaux, qui s'étaient déjà couverts de gloire à Loigny, et leur charge magnifique mais meurtrière rejeta les Prussiens. Ils avaient chargé au cri de « Pour Dieu et pour la France, en avant! ». Au fond du désespoir, de la catastrophe où l'avait conduite un siècle d'errements, de lâcheté et de trahison, la France catholique et royale montrait ainsi une dernière fois ce dont elle aurait été capable, si l'on avait su et voulu faire appel à elle, quand il l'aurait fallu. Mais les temps étaient venus et, quelques semaines plus tard, c'est dans la galerie des glaces de Versailles, qu'était proclamé l'Empire et réalisée l'unité de l'Allemagne. Bismarck avait le sens des symboles!

Ce jour-là, la France « sortait de l'Histoire ». Elle n'y est plus rentrée depuis, mais le sacrifice des Zouaves pontificaux d'Auvours reste un appel pour l'avenir, si lointain soit-il. Il montre que l'on peut parfois perdre l'espoir, mais jamais l'Espérance parce qu'elle est un don de Dieu et que, quand elle le méritera de nouveau, il saura l'offrir à la France.

Tel est le message que j'ai tenté de présenter dans un livre (1), dont j'espère qu'il retiendra toute votre attention...

Yves Amiot

 

(1) Ordalie 76, (Ed, Ulysse, 2002, Prix: 17 euro + port).

Extrait de Lecture et tradition, no 309 ,Novembre 2002

B-P. 1 F-86190 Chiré-en-M ontreuil, pp. 1-6

 

Sur le futur antérieur

Le livre de Constantin de Charrière intitulé : Le futur antérieur, présente une richesse de développements qui ne facilite guère une tentative de résumé ou de synthèse. Les lignes ci-dessous vont néanmoins s'y essayer.

L'auteur se place face à l'univers spatio-temporel, qui, dit-il, a exactement les propriétés requises pour engendrer un être capable de conscience et d'intelligence. L'espace-temps est soumis à un enchaînement de causes. Habituellement, la cause est chronologiquement antérieure à l'effet. Presser sur une détente lance un projectile. De plus, l'énergie mécanique se dégrade spontanément en énergie thermique. On précise cela en posant la notion d'entropie, mesure d'un désordre inéluctable, qui ne peut que s'accroître dans un système thermiquement isolé. La causalité est dite ici retardée.

Mais on peut, révolution copernicienne, mettre l'accent sur des causes chronologiquement postérieures à leur effet. L'apparition de l'homme sur la terre, par exemple, est la cause du développement des espèces, donc d'une évolution créatrice.

On ne peut ici s'empêcher de penser à Bergson, auteur précisément de ''L'évolution créatrice'' où la cause avancée fait figure d'élan vital.

Nous revenons ainsi, par un long détour, à l'idée d'où nous étions partis, celle d'un élan originel de la vie, passant d'une génération de germes à la génération suivante de germes par l'intermédiaire des organismes développés qui forment entre les germes le trait d'union. Cet élan, se conservant sur les lignes d'évolution entre lesquelles il se partage, est la cause profonde des variations, du moins de celles qui se transmettent régulièrement, qui s'additionnent, qui créent des espèces nouvelles.

...Tous les vivants se tiennent, et tous cèdent à la même formidable poussée. L'animal prend son point d'appui sur la plante, l'homme chevauche sur l'animalité, et l'humanité entière, dans l'espace et dans le temps, est une immense armée qui galope à côté de chacun de nous, en avant et en arrière de nous, dans une charge entraînante capable de culbuter toutes les résistances et de franchir bien des obstacles, même peut-être la mort.

Loc. cit. PUF, 1966, p. 88 et p.271.

Ici, pour l'auteur, l'après explique l'avant ; le futur explique le passé : renversement de la conception du temps, à tel point que le monde présent et le monde passé sont des résidus dégénérés du monde futur. La causalité est dite ici avancée. Le singe ''descendrait'' de l'homme ,.. Observons que l'univers, soumis à l'accroissement du désordre entropique, est animé par une évolution ''anti-Carnot'', produisant des êtres voués au futur. On sait que selon Aristote, on fait état des quatre causes : formelle, matérielle, efficiente et finale. Mais ici, la cause finale comporte bien plus qu'un but posé dans l'esprit, car la fin réalisée a quelque chose de plus que la fin conçue : l'ébauche posée se soumet à un futur qui oriente la recherche. Le futur oriente en somme le devenir : c'est la cause avancée du présent, et l'existence procède concrètement dans l'ordre inverse du sens apparent du temps. L'idée n'est-elle pas un futur ?

L'auteur voit l'univers soumis à une Evolution, processus d'action avancée, conditionnée par un futur dynamique. Sa conception est bien supérieure à celle faite pour endormir les naïfs, où, fréquemment, par évolution, on imagine une matière primitive brute, une ''soupe'' agitée se mettant à former des structures, à l'aide d'un hasard créateur produisant subitement la vie, par sauts qualitatifs brusques, d'où des organismes mutants, pour engendrer, par hasard toujours, des êtres pensants. Une séquence télévisée montrait un dinosaure à figure humaine. On ''voit'' même un singe à quatre pattes se redresser progressivement et se muer en homo sapiens, ou homo faber.

M. Constantin de Charrière, un croyant d'envergure si l'on remarque nombre de citations de l'Ecriture, a certainement une vision différente. Ce qu'il appelle Evolution, n'est autre que l'univers dans la totalité de son expansion à partir du big-bang, promu par causalité avancée . Je dirai qu'il s'agit de la Création et de sa finalité. La cause avancée de la Création, c'est la vie éternelle trinitaire. On peut faire intervenir ici des considérations dues à Jacques Maritain, extraites de son Court traité de l'existence et de l'existant (Paris 1947) pp. 141-145.

 

Le temps et l'éternité

26. Aux considérations qui ont retenu notre attention dans le chapitre précédent et qui concernaient le sujet ou l'existant, le suppôt qui détient ou exerce l'existence, se rattache le problème ou plutôt le mystère le plus élevé et le plus redoutable dont les sciences qui « balbutient les choses divines » aient à traiter : le problème de la relation entre la liberté de l'existant créé et les desseins éternels de la Liberté incréée. Ce problème regarde de soi la théologie, qui le pose en termes de prédestination à la gloire et de réprobation, de grâce suffisante et de grâce efficace, de volonté divine antécédente et de volonté divine conséquente. Il regarde aussi, d'une certaine manière, la métaphysique, car déjà dans l'ordre naturel la question se pose du rapport entre ces deux libertés. Et pour la métaphysique il se pose avant tout, me semblet-il, dans les termes suivants : quelle est la place de l'homme et de sa liberté faillible devant le plan éternel, absolument libre et absolument immuable, fixé par L'Incréé à l'égard du créé ? C'est de ce point de vue que je voudrais en traiter ici, en résumant sous une forme aussi condensée que possible une méditation poursuivie pendant de longues années sur les principes thomistes. Pour rendre plus clair un exposé où beaucoup de qestions diverses se commandent les unes les autres, il me faudra classer sous un certain nombre de considérations les points que j'ai à traiter.

Première considération : relation entre le temps et l'éternité. - Chaque moment du temps est présent à l'éternité divine, non seulement selon qu'il est connu d'elle, mais « physiquement » ou dans son etat, lui-même. Jean de Saint-Thomas a clairement établi là-dessus la doctrine de son maître (1). Tous les moments du temps sont présents à l'éternité divine, - où il n'y a nulle succession, et qui est un instant qui dure sans commencement ni fin, parce que les idées créatrices tiennent sous leur propre mesure à elles, qui est l'éternité, et qui transcende infiniment le temps, le créé qu'elles font être et dont la mesure propre est la succession du temps. « Cet aujourd'hui divin est l'éternité incommutable, indéfectible, inaccessible, à laquelle rien ne peut être ajouté, de laquelle rien soustrait. Et toutes les choses qui ici-bas surviennent en se succédant les unes aux autres et en coulant à mesure dans le non-être, et qui se diversifient selon les vicissitudes des temps, se tiennent devant cet aujourd'hui et persévèrent immobiles devant lui. Dans cet aujourd'hui-là, ce jour est encore immobile, où le monde a pris son origine. Et déjà néanmoins ce jour est aussi présent, où il sera jugé par le juge éternel'. »

 

L'éternité contient et mesure le temps tout entier en le possédant d'une manière indivisible, et ainsi tel événement futur, qui n'existe pas encore en lui-même et dans sa durée propre, est déjà actuellement présent à l'éternité, avec tous ceux qui l'ont précédé et qui le suivront, ils sont tous là comme termes de l'action créatrice qui sans ombre de succession les fait se produire successivement, et comme indivisiblement possédés et mesurés par l'instant éternel qui est la durée propre de cette action. « Il n'y a rien de futur pour Dieu (2). »

Il suit de là qu'à proprement parler Dieu ne prévoit pas les choses du temps, il les voit, et en particulier les options et décisions libres de l'existant créé, qui en tant même que libres sont absolument imprévisibles ; - il les voit, dans l'instant même qu'elles ont lieu, dans la pure fraicheur existentielle de leur émergence à l'être, dans l'humilité de leur propre instant d'éclosion, la ligne du bien et la ligne du mal

27. Deuxième considération : la liberté de l'existant créé et la ligne du bien. - S'il est vrai, comme nous l'avons remarqué dans une section précédente, que nulle cause créée n'agit que dans la vertu de la supercausalité de l'Ipsum esse per se subsistens, et que d'autre part la liberté de choix consiste dans l'indétermination active et dominatrice de la volonté qui rend elle-même efficace le motif qui la détermine, alors il est clair que la liberté de l'existant créé ne peut s'exercer que si elle est mue ou activée, pénétrée dans son fond et dans l'intégrité de ses déterminations par l'influx de causalité transcendante par lequel la Liberté créatrice meut chaque existant créé à agir selon son mode propre, active à agir nécessairement...

Ensuite, Maritain détaille la manière dont le mal se glisse dans le monde. C'est justement ce qui manque à mon avis dans le livre Le futur antérieur. Un auteur dont je n'arrive pas à retrouver la référence, voyant la Création bien faite, attribuait au péché originel les dégats subséquents, l'axe de rotation du globe ayant subi une inclinaison, cause de saisons déréglées, les carnassiers ayant été primitivement simplement nécrophages. La Rédemption commence la restauration généreuse de l'état initial, inaugurée par l'Annonciation, la Vierge Marie étant alors la Création refaite.

Ces considérations sont loin d'épuiser la richesse des notions traitées par Constantin de Charrière. Je pense y revenir.

Jean de Siebenthal

1. JEAN DE SAINT-Thomas, Cursus theol., LII, Disput. 9, a.3.1.

S. PIERRE DAMIEN, Épitre IV, De Omnipotentia, cap. 8.

2. Saint THOMAS in I Sent., Dist. 38, 9, 1, a. 5.

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Le glas de l'armée de milice

C'est entendu : les temps ont changé, nous ne sommes plus à l'époque de la guerre froide, l'ennemi potentiel n'est plus une grande nation disposant d'une puissante armée moderne contre laquelle nous devions noua prémunir.

Depuis la chute du mur de Berlin et le raffermissement de l'Union européenne une guerre entre les nations d'Europe est devenue invraisemblable à court terme. Dès lors les pays qui nous entourent ont réduit leurs forces armées et les ont professionnalisées.

En Suisse, notre Conseil fédéral a voulu lui aussi adapter notre armée aux risques qui menaceraient encore notre sécurité et s'est adressé à Monsieur Brunner, ancien diplomate, pour qu'il fasse l'inventaire des dangers qui nous menacent encore. Par la suite il a chargé les hauts dignitaires de l'armée de concevoir une "Armée XXI" adaptée à ces dangers résiduels.

Ce projet a été soumis aux chambres fédérales qui l'ont accepté. Mais le peuple des anciens soldats et des sociétés patriotiques a réagi en lançant un référendum parce qu'ils ne reconnaissaient plus l'armée de milice dans laquelle ils avaient servi et qui avait fait la force de la Suisse pendant des siècles.

Cet attachement à l'armée de milice a des racines très profondes qu'on ne peut balayer d'un revers de manche en disant que l'obligation générale de servir, la conscription est maintenue.

La conscription est une invention de la révolution française alors que l'armée de milice existait en Suisse depuis des siècles. Jamais l'armée française n'a été nommée armée de milice alors que la conscription a subsisté, en France, jusqu'à ces dernières années !

Définition de l'armée de milice

L'armée de milice c'est la société civile en armes. Cette notion était évidente il n'y a pas longtemps. Les Appenzellois se rendaient à leur Landsgemeinde avec leur arme personnelle, les Fribourgeois chantaient: « il s'arme de sa carabine alors il se sent souverain ».

Interfécondité de la milice et de l'esprit civique

Nicolas Machiavel (1460-1527) secrétaire de la République de Florence ayant souffert de la débandade de ses troupes à la bataille de Préto (1512) et constatant la remarquable tenue des troupes suisses à Novarre (1513) voulut connaître le secret des Suisses. Se rendant en Allemagne il inspecta les milices de Genève et de Fribourg. De cette visite il tira la conclusion que, dans ces républiques, les milices et la vie civique se fortifiaient mutuellement.

Or ce qui était vrai eu XVIème siècle l'est encore de nos jours : pendant la dernière guerre le général Guisan était devenu le chef de tous les Suisses, ses "ordres d'armée" pénétraient dans tous les foyers.

Pour illustrer cette symbiose "Armée-société" que nous connaissons en Suisse Bernard Wicht utilise cette formule: « La milice n'est pas une simple forme « d'organisation militaire, elle est le produit de la communauté qui la soutenu et dont « elle reprend généralement l'organisation. Elle apparaît ainsi comme la pointe « émergée du corps social tout entier, témoignant de la solidarité de celui-ci »

Le colonel Ardent du Picq dans son "Etude sur le combat" remarque lui aussi que les soldats qui se connaissent dans la vie civile se battent mieux parce qu'ils ont confiance les uns dans les autres et devant leurs concitoyens ils ne peuvent se montrer capons.

Conclusions

En engageant le peuple suisse à voter non le 18 mai nous ne contestons pas le rapport Brunner, ni les parades qui ont été prévues pour répondre aux dangers actuels, mais nous espérons qu'une forte opposition à Armée XXI engagera les chefs de notre armée à revoir leur projet pour rétablir une vraie armée de milice ne serait ce qu'en organisant cette "réserve" à la française en un vrai landsturm territorial qui jouerait son rôle protecteur par sa seule présence.

Dr B. de Montmollin, ancien officier d'infanterie

texte communiqué in extremis parA.F. de Bosset, présidente de Libertas Suisse.